Anabases Traditions et réceptions de l’Antiquité 16 | 2012 varia La classificat

Anabases Traditions et réceptions de l’Antiquité 16 | 2012 varia La classification des songes de Macrobe en moyen français : continuité, ruptures et déplacements Mireille Demaules Édition électronique URL : http://anabases.revues.org/3886 DOI : 10.4000/anabases.3886 ISSN : 2256-9421 Éditeur E.R.A.S.M.E. Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2012 Pagination : 31-46 ISSN : 1774-4296 Référence électronique Mireille Demaules, « La classification des songes de Macrobe en moyen français : continuité, ruptures et déplacements », Anabases [En ligne], 16 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://anabases.revues.org/3886 ; DOI : 10.4000/anabases.3886 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Anabases Anabases 16 (2012), p. 31-46. La classification des songes de Macrobe en moyen français : continuité, ruptures et déplacements MIREILLE DEMAULES POUR NOMMER L’EXPÉRIENCE ONIRIQUE, le français moderne dispose essentiellement de trois substantifs : le plus courant est le mot rêve, le plus littéraire est le mot songe, un peu suranné ; à côté, pour dénommer le mauvais rêve existe le substantif cauchemar. D’une certaine manière, la dénomination n’est pas très riche et nous avons coutume de ranger sous les hyperonymes songe ou rêve, selon le niveau de langue, des expériences très diverses que les Anciens distinguaient par des dénominations propres. Ainsi, il existait dans l’Antiquité grecque et latine de savantes classifications des rêves, qui ont permis de penser le rêve et sont restées valides jusqu’à l’aube de la Renaissance. L’une d’entre elles a été particulièrement célèbre au Moyen Âge, c’est celle de Macrobe, un grammairien latin de la fin du IVe siècle – début du Ve siècle après Jésus-Christ, qui a été transmise en langue latine par des traités savants, puis en langue vulgaire par des traductions dans des ouvrages didactiques. Ces transpositions en langue vernaculaire à l’usage d’un lectorat cultivé, voire savant, témoignent d’une certaine continuité dans la transmission de la classification antique des songes, mais également de ruptures ou de déplacements dans la dénomination que nous aimerions examiner, en tant qu’ils révè- lent des changements dans la représentation du rêve. De plus, il faudra se demander pourquoi les termes français issus des classifications antiques ne se sont pas imposés dans la langue vulgaire. Pour finir, nous tenterons de déterminer pourquoi des mots d’origine obscure, tels que rêve et cauchemar, ont fini par s’imposer au détriment de termes reliés à la culture antique. 32 MIREILLE DEMAULES La classification des songes de Macrobe Macrobe est célèbre au Moyen Âge pour avoir écrit un commentaire mathématique, astronomique et philosophique sur un récit de rêve, composé par Cicéron dans le livre VI de son traité De re publica 1. Dans ce récit, Cicéron prête à un général romain, Scipion Émilien, un rêve prémonitoire alors qu’il était venu en Afrique pour donner l’assaut à Carthage. Scipion Émilien voyait en rêve apparaître son grand-père, Scipion l’Africain, qui lui annonçait qu’il allait détruire Carthage. Outre cette prophétie, le rêve dévoile des secrets de l’univers. Scipion Émilien monte en effet dans les régions célestes d’où il contemple le monde. Son père et son grand-père l’invitent également à se tourner vers le bien pour gagner l’immortalité de l’âme. Commentant cette fable, Macrobe écrit un traité encyclopédique d’inspiration néo-platonicienne, qui initie aux sciences de la nature et à la philosophie. Pour lui, la fable du rêve est une voie d'accès au dévoilement de mystères sur l’immortalité de l’âme, que l’on ne peut approcher directement par le discours rationnel. En préambule à son commentaire, Macrobe veut prouver la valeur de vérité du rêve auquel il accorde la même fonction que Platon attribuait au mythe : il peut révéler des vérités inaccessibles à la raison. Il entame donc une dissertation sur les songes en distinguant d’une part les songes vrais et d’autre part les songes faux 2. Parmi les songes faux, illusoires, il distingue tout d’abord l’insomnium. Le mot est un composé de la préposition in- et du mot somnium signifiant le sommeil. L’insomnium désigne ainsi la vision intérieure au sommeil et qui s’évanouit avec lui sans laisser de trace. L’insomnium est d’origine physique ou psychique. Il peut être provoqué par les besoins du corps, la faim ou la soif, ou inversement par un excès de nourriture ou de boisson. Lorsqu’il a une origine psychique, il s’agit d’un rêve provoqué par les préoccupations de la veille, les désirs, l’amour et les soucis. Par le terme visum, Macrobe désigne les visions hypnagogiques qui apparaissent entre la veille et le sommeil. Ce sont des visions confuses et désordonnées. Il classe dans cette catégorie un type de songe qu’il dénomme par un terme grec, ephialtes, et qu’il définit en se référant à une croyance populaire : il serait provoqué par un démon incube qui, pesant sur la poitrine du dormeur, produit un cauchemar oppressant. À ces songes illusoires, Macrobe oppose ceux qui contiennent une vérité oracu- laire et qui induisent chez le dormeur qui les reçoit une disposition mentale propice à la divination. L’oraculum est un songe clair, de nature programmatique : il se produit lorsqu’un parent, un ami ou une personne inspirant le respect – ce peut être un dieu ou un prêtre – révèle clairement un événement à venir ou invite à tenir une conduite de toute urgence. La visio préfigure en clair un événement qui se réalise peu de temps 1 Voir Macrobe, Commentaire au Songe de Scipion, texte établi, traduit et commenté par M. ARMISEN-MARCHETTI, 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, 2001-2003. 2 Id., I, 3, 1-20, p. 10-16. 33 LA CLASSIFICATION DES SONGES DE MACROBE EN MOYEN FRANÇAIS après. Quant au terme somnium, il désigne le songe allégorique. Il cache sous des symboles, des voiles et des énigmes la signification du rêve qui demeure incompréhen- sible sans interprétation. Cette classification des songes appelle quatre remarques. 1. Le latin somnium, qui est l’hyperonyme de toutes les catégories de songe dégagées, dérive de somnus, terme désignant le sommeil et la divinité du sommeil chez Virgile et Ovide. La forme crée un rapport étroit entre les deux mots. Indirectement, le rêve appartient au sommeil, ce qui peut être un critère permettant de le distinguer des autres expériences oniriques, telles que l’apparition ou l’extase. Le mot somnus possède des connotations négatives en latin, puisque au sens figuré il peut désigner la paresse, l’inaction, l’oisiveté, notamment chez Cicéron. Il peut aussi par métaphore évoquer la mort. Par contamination métonymique, le songe peut prendre des connotations négatives et ainsi être perçu comme une illusion. En français, somnium a donné par évolution phonétique le mot songe, mais le lien entre le songe, le sommeil, le somme n’apparaît plus si nettement qu’en latin dans la forme des mots 3. 2. La catégorie du visum est assez hétérogène chez Macrobe, puisque le mot traduit deux termes grecs distincts que donne le grammairien : celui de phantasma qui désigne une apparition, une image sans consistance, et celui d’ephialtes qui dénomme un spectre induisant un songe oppresseur. Pour la catégorie de l’ephialtes, Macrobe ne produit pas de correspondant latin. La création lexicale des langues vernaculaires remédiera à ce manque dans la terminologie latine. 3. Tout autant qu’une suite d’images ou de choses vues, le songe est compris comme un message oral qui s’entend : il est un oracle, c’est-à-dire une parole prophé- tique. Il dit quelque chose. C’est une conception qui est commune à la Bible et à l’Antiquité gréco-latine. 4. La conception des rêves véhiculée par la typologie de Macrobe est ambiguë : elle est à la fois empreinte de magie et rationaliste. En effet elle rend compte de croyances populaires. Elle confirme le lien du songe au domaine de la magie en lui accordant une valeur oraculaire. Elle fait également référence de manière indirecte à des pratiques religieuses propres au paganisme et dont héritera la culture chrétienne. Ainsi dans la catégorie des songes insignifiants le terme ephialtes renvoie à la croyance selon laquelle des démons oppressent la poitrine du dormeur. Macrobe rapporte que selon la croyance populaire (publica persuasio), il s’agit d’un être réel. Mais lui-même attribue une origine naturelle au songe oppresseur : l’être fantastique qui agresse le rêveur entre veille et sommeil n’existe que dans son imagination. Enfin la catégorie de l’oraculum renvoie sans doute au songe homérique, mais implicitement aussi à la prati- que du songe incubatoire : dans l’Antiquité, il était d’usage de dormir dans les temples 3 Voir F. SCHALK, « Somnium und verwandte Wörter in den romanischen Sprachen », in Exempla romanischer Wortgeschichte, Francfort-sur-le-Main, éd. Klostermann, 1966, p. 295-337. 34 MIREILLE DEMAULES dans l’espoir d’obtenir un rêve curatif ou un rêve oraculaire qui prophétise le destin du rêveur 4. Le terme oraculum désigne d’ailleurs en latin à la fois un lieu de prières, de culte, et l’oracle des dieux obtenu par un songe. Toutefois Macrobe ne développe pas cette catégorie de rêve par des exemples précis, ce qui suggère peut-être une certaine réserve de sa part. Mais le point de vue rationaliste de Macrobe ne va pas toutefois jusqu’à rejeter l’oniromancie, en particulier parce que son but est de montrer la uploads/Litterature/ la-classification-des-songes-de-macrobe-en-moyen-francais-continuite-ruptures-et-deplacements.pdf

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