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Tous droits réservés © Tangence, 2017 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 juil. 2021 15:56 Tangence Traduction et art poétique, de Valéry à Bonnefoy Translation and poetic art, from Valéry to Bonnefoy Nelson Charest Miroirs de la poésie. Regards sur l’art poétique aux XXe et XXIe siècles Numéro 113, 2017 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1040009ar DOI : https://doi.org/10.7202/1040009ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Tangence ISSN 1189-4563 (imprimé) 1710-0305 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Charest, N. (2017). Traduction et art poétique, de Valéry à Bonnefoy. Tangence,(113), 87–100. https://doi.org/10.7202/1040009ar Résumé de l'article Cet article tente de tracer un départage des poétiques du xxe siècle, entre ce que nous proposons d’appeler une ère poïétique et une ère herméneutique. Ces deux poétiques sont particulièrement visibles dans les oeuvres critiques de Paul Valéry, d’une part, et d’Yves Bonnefoy, d’autre part. Leurs traductions respectives, et tout particulièrement les réflexions qu’elles leur permettent d’établir sur leurs créations propres, semblent un lieu privilégié où ils élaborent des poétiques qui se veulent d’emblée comparatives et générales. Ainsi se comprennent mieux, à notre sens, leurs visions respectives de l’oeuvre mallarméenne et de sa philosophie du langage. Alors que Valéry considère la traduction et la création poétique comme un moyen d’accéder aux sources du travail poétique, maintenu constamment dans ses exigences, Bonnefoy les considère plutôt comme une tentative, toujours ouverte et a posteriori, de questionner le poème et de relancer sa précarité, son espérance. no 113, 2017, p. 87-100. Nous autres, civilisations, nous savons mainte- nant que nous sommes mortelles. Paul Valéry 1 L’attitude d’Yves Bonnefoy envers l’œuvre et la personne de Paul Valéry est absolument sans commune mesure avec celle qu’il mani- feste devant les autres œuvres, abondantes, qu’il a commentées. Les quelques mots qu’il en a offerts explicitement dans L’improbable, Le siècle de Baudelaire ou L’inachevable sont au moins injustes, sinon mes- quins, ce qu’il reconnaît lui-même, en partie, dans le dernier de ces textes. Pourtant les trajectoires de ces deux auteurs, qui se sont partagé presque exactement tout le xxe siècle, présentent plusieurs points com- muns. L’un et l’autre se sont attachés à peu près aux mêmes poètes, Mallarmé, Baudelaire et Rimbaud notamment. Ils ont tous deux pro- duit une œuvre où la poésie accompagne une large activité de réflexion, marquée par des essais critiques, poétiques 2 ou métaphysiques. Ils ont tous deux eu leur chaire au Collège de France, à presque quarante ans 1. Paul Valéry, « La crise de l’esprit », Œuvres I, éd. Jean Hytier, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 988. 2. Poétique d’auteur entendue comme « la quête d’un discours rigoureux sur la littérature » comme le précise Jean-Marie Klinkenberg, qui cite d’ailleurs Valéry. Article « Poétique » dans Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala, Le dic- tionnaire du littéraire, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige/ Dicos poche », 2004, p. 469. Traduction et art poétique, de Valéry à Bonnefoy Nelson Charest Université d’Ottawa 88 Tangence d’intervalle. Or, on peut observer un autre point de rencontre entre eux, peut-être moins évident, et certainement moins abordé : c’est qu’ils furent tous deux traducteurs, d’une manière que nous aime- rions rapprocher. Il nous semble que la façon dont chacun envisage la traduction, et les liens qu’ils établissent entre le traduire et le créer, permettront de mieux comprendre leurs particularités propres, sur fond de base commune. Et nous espérons, par cette voie, mieux saisir la profonde aversion que Bonnefoy a pu avoir pour Valéry, qui serait la manifestation visible d’une dissension plus profonde entre ces deux écrivains, et qui marque peut-être une fracture propre au siècle passé. Nous devons tout de suite préciser que la traduction elle-même n’a pu tenir la même place dans les œuvres de l’un et de l’autre. Bonnefoy a pratiquement toujours été traducteur, commençant dès 1957 la tra- duction des pièces de Shakespeare, puis des œuvres de Keats, Yeats et John Donne, dans le domaine anglais, et de Leopardi et Pétrarque, auteurs italiens. Il ne s’agit donc pas pour lui d’une activité passagère, mais au contraire d’un accompagnement constant de son activité poé- tique. Valéry, a contrario, est un traducteur beaucoup plus rare. À part quelques exercices de jeunesse, il n’a traduit, à la fin de sa vie et pour donner suite à une commande de la société de bibliophiles Scripta et Picta, qu’un seul texte, les Bucoliques de Virgile. Pendant deux ans, en pleine guerre, de 1942 à 1944, il a travaillé à cette traduction — en plus de dispenser des cours au Collège de France — au milieu des bombar- dements, de même qu’il avait composé La jeune Parque, simple « exer- cice », pendant le premier conflit. Tout indique que c’est pendant ces mêmes années que Bonnefoy a pu assister à quelques-uns de ses cours, donnés par un Valéry déjà très malade, ce qu’il rappelle plusieurs fois sans beaucoup de sympathie. On est donc placés devant des traduc- tions qui, en nombre et en durée, sont absolument incomparables. Par ailleurs, on remarque évidemment que la traduction de Valéry est faite à partir du latin, langue qu’il a apprise à l’école, ce qu’il note d’emblée dans sa préface 3. Bonnefoy, pour sa part, traduit principalement l’an- glais, une langue moderne comme chacun sait, même s’il la trouve sous une forme et dans des œuvres déjà anciennes 4. 3. Aussi, dans « Le bilan de l’intelligence », il distingue ce qu’il appelle les « langues antiques », le grec et le latin, des langues étrangères (dans Variété. Œuvres I, ouvr. cité, p. 1077). 4. Voir le riche article de Christine Lombez, qui esquisse un lien entre ces deux entreprises : « Traduire en poète. Philippe Jaccottet, Armand Robin, Samuel Nelson Charest 89 Mais laissons de côté, momentanément, ces différences, certes majeures, pour mieux y revenir après un examen plus approfondi des ressemblances entre ces deux entreprises, qui nous semblent fon- damentales. On remarque, au premier titre, que chez l’un et l’autre la traduction a pu mener à une réflexion centrale sur leur poétique particulière, qu’ils ont présentée dans des textes denses et révélateurs. Valéry est, comme on sait, le fondateur de la Chaire de Poétique au Collège de France, là où Bonnefoy, de 1981 à 1993, aura sa propre Chaire d’Études comparées de la fonction poétique. La poétique, la réflexion sur la littérarité et le désir de proposer un retour critique sur leur propre activité créatrice sont donc constants chez eux. Et c’est là que se montre une profonde « communauté » entre les deux entre- prises, terme que nous utilisons sciemment. Car si Bonnefoy a tra- duit toute sa vie, c’est au tournant des années 2000 qu’il propose une réflexion synthétique sur ce que la traduction a pu lui apporter, dans un ouvrage intitulé La communauté des traducteurs. Si, dès 1959, il avait amorcé une réflexion sur la traduction dans « Shakespeare et le poète français », celle-ci a commencé à prendre véritablement forme dans les Entretiens sur la poésie de 1981 et dans la seconde partie de Shakespeare et Yeats, en 1998 5. Il a bien sûr préfacé la plupart de ses traductions, mais c’est pour chaque fois offrir, d’abord et avant tout, un commentaire critique du texte traduit, où les réflexions sur la tra- duction dans son ensemble et sur les liens entre traduction et créa- tion, ne sont que marginales. En ce sens donc, tous les deux ont pro- duit sensiblement au même moment dans leur carrière une réflexion fondamentale qui conjoignait les actes de traduire et de créer. Nous allons maintenant tracer les grandes lignes de ces poétiques issues de la traduction, en commençant par Valéry. Traductions et poétiques Au début de ce qu’il appelle des « Variations sur les Bucoliques », Valéry 6 mentionne les circonstances et les quelques personnes qui Beckett », Poétique [En ligne], no 135, septembre 2003, p. 355-379, consulté le 5 janvier 2017, URL : www.cairn.info/revue-poetique-2003-3-page-355.htm. 5. Yves Bonnefoy, Entretiens sur la poésie, Neuchâtel, La Baconnière, 1981 ; Théâtre et poésie : Shakespeare et Yeats, Paris, Mercure de France, coll. « Essais », 1998. 6. Voir l’article de Pauline Gill, qui expose très clairement comment cette tra- duction est pour Valéry une occasion de revenir aux origines de la culture et du poème (« Paul Valéry traducteur de Virgile : des rapports entre poésie et traduction… », dans Francesca Manzari et Fridrun Rinner (dir.), Traduire le 90 Tangence l’ont amené à traduire ce poème, comme il est courant chez lui ; il considère qu’une œuvre est le plus souvent le fruit d’une commande, et qu’elle est « abandonnée » plus uploads/Litterature/ nelson-charest-traduction-et-art-poetique-de-valery-a-bonnefoy.pdf

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