L'INTERTEXTUALITÉ COMME CLÉ D'ÉCRITURE LITTÉRAIRE Violaine Houdart-Merot Armand

L'INTERTEXTUALITÉ COMME CLÉ D'ÉCRITURE LITTÉRAIRE Violaine Houdart-Merot Armand Colin | « Le français aujourd'hui » 2006/2 n° 153 | pages 25 à 32 ISSN 0184-7732 ISBN 9782200921088 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2006-2-page-25.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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À observer les sujets donnés au baccalauréat ou un certain nombre d’exercices d’écriture présents dans les manuels, il semblerait que cette approche ne soit pas toujours mise en œuvre. Un grand nombre de sujets ramènent en fait l’écriture d’invention, sous une forme déguisée, à la seule écriture argumentative et se soucient bien peu de « faits d’intertextualité » ou d’écriture littéraire, sinon de manière très ponctuelle. Plus généralement, on peut faire l’hypothèse que les critiques émises à l’égard de l’écriture d’invention reposent sur une méconnaissance de ce que pourrait signifier cette « approche par expé- rience directe des faits d’intertextualité » et des ressources très fécondes qu’elle offre pour saisir le fonctionnement de l’écriture littéraire, et par conséquent pour offrir des clés de lecture et d’écriture des textes littéraires. Tantôt en effet, on assimile invention et écriture spontanéiste, en dehors de toute perspective intertextuelle, tantôt on ramène l’intertextualité à une « imitation » elle-même conçue de manière très appauvrissante, comme application de règles ou forme déguisée de plagiat, et l’on parle alors du danger d’académisme ou de contraintes qui interdiraient l’expression personnelle, l’épanchement ou la subjectivité. Je souhaiterais donc montrer pourquoi et comment l’intertextualité2 peut fonder une pratique féconde de l’écriture littéraire et par conséquent être « scolarisable », à l’école comme à l’université, en insistant en particu- lier sur trois points : le rôle essentiel de cette pratique d’écriture littéraire par la réécriture comme entrée en littérature, son importance comme expression de soi « oblique » et sa possibilité de renouveler l’approche de l’histoire littéraire. Cette réflexion s’appuie sur une pratique effective d’écriture littéraire fondée sur la réécriture et l’intertextualité, menée depuis plusieurs années avec des étudiants en licence de lettres. 1. BOEN du 28 juin 2001, pp. 90-91. 2. Je prends ce terme dans son sens extensif, celui dans lequel l’emploient J. Kristeva, R. Barthes, L. Jenny, M. Riffaterre ou P .-M. de Biasi (et en général les textes officiels pour le lycée) et non dans le sens restrictif que propose G. Genette dans Palimpsestes. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.102.71.237 - 08/03/2020 15:07 - © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.102.71.237 - 08/03/2020 15:07 - © Armand Colin Le Français aujourd’hui n° 153, Enseigner l’écriture littéraire ? 26 L’écriture comme dévoration Cette notion d’intertextualité est délicate à utiliser du fait qu’elle a déjà une histoire derrière elle, en sorte que l’on ne sait pas toujours à quelle défi- nition ou représentation font référence ceux qui l’emploient. De plus, on a souvent la tentation de rabattre cette notion, introduite en France en 1966 sous la plume de Julia Kristeva, sur une notion beaucoup plus ancienne et largement scolarisée, celle de la critique des sources3, qui la dénature. Assurément, depuis très longtemps4, les écrivains ont conscience que leurs ouvrages se nourrissent des écrits d’autrui qu’ils pillent, butinent, absorbent et transforment. Les diverses images utilisées par les écrivains se rejoignent autour de la conviction que l’on écrit toujours à partir de ses lectures : image de l’écrivain-abeille qui butine et transforme en miel le pollen pillé (Montaigne), image de l’écriture-digestion ou dévoration (Du Bellay), image du feu que l’on prend chez son voisin et qui appartient à tous (Voltaire), image de la « fusion de quelques redites comptées » (Mallarmé) ou encore du livre qui pousse sur l’« épais terreau de la littéra- ture qui l’a précédé » (Gracq). Sans doute l’imitation revendiquée par un auteur comme Aragon5 diffère-t-elle de l’imitation prescrite à l’âge clas- sique (et à priori focalisée sur les auteurs antiques), mais ce terme d’imita- tion est source lui aussi de malentendus et de confusions, puisque la doxa romantique a amené à opposer l’imitation classique à l’originalité ou à l’inventivité, alors qu’elle est toujours liée à des processus de transforma- tion6, d’appropriation ou de détournement des textes sources, parfois même des genres imités. On occulte même la dimension souvent irrévé- rencieuse de la pratique classique de l’imitation, que l’on pense aux nombreux travestissements burlesques de l’Énéide qu’a connus le XVIIe siècle ou, plus audacieux encore, aux parodies de textes bibliques, comme celles de Rabelais ou de Cyrano de Bergerac dans les États et Empires de la lune. De surcroit, les modèles affichés sont parfois moins présents que d’autres hypotextes beaucoup plus indirects, voire occultes : songeons au dialogue subversif que La Fontaine entretient avec la pensée d’Épicure et de Lucrèce dans ses contes comme dans ses fables. Le terme d’imitation est donc trompeur pour qualifier ces réécritures éminemment créatrices qui ont été celles de la Renaissance et de l’âge classique comme des siècles suivants. 3. C’est d’ailleurs ce risque de confusion qui amena J. Kristeva à renoncer à ce terme, voué pourtant à un grand succès. 4. Voir Denys D’Halicarnasse, Sur l’Imitation, (1er s. après J.-C.), extrait cité et traduit par Sophie Rabau (2002, p. 84). 5. « Car j’imite. Plusieurs personnes s’en sont scandalisées. La prétention de ne pas imiter ne va pas sans tartuferie, et camoufle mal le mauvais ouvrier. Tout le monde imite. Tout le monde ne le dit pas. » Louis Aragon, Les Yeux d’Elsa, Seghers, 1942, p. 13. 6. C’est pourquoi la distinction faite dans le BOEN du 7.11. 2002 pour la classe de seconde entre les écrits d’invention qui procèdent à « des imitations, des transformations et des transpositions des textes lus » me parait ambigüe : toute « imitation » (au sens du terme au XVIIe siècle) engage, par définition, des transformations. À moins que le texte ne fasse allusion à l’imitation indirecte du style d’un écrivain (pastiche), mais la formulation serait pour le moins allusive. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.102.71.237 - 08/03/2020 15:07 - © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.102.71.237 - 08/03/2020 15:07 - © Armand Colin « L’intertextualité comme clé d’écriture littéraire » 27 Qu’apporte donc la théorisation de l’intertextualité depuis les années 1970, en particulier dans la perspective de l’écriture littéraire ? Il me semble que le lien de cette notion avec la théorie du texte au moment de son émergence en France est essentiel pour éviter des dérives formalistes qui aboutiraient à confondre des pratiques intertextuelles avec la seule application de règles. J. Kristeva et R. Barthes mettent en effet au cœur de l’intertextualité la notion de productivité : tout texte, écrit R. Barthes (1975), est un intertexte, une productivité, non seulement parce qu’il s’élabore à partir d’autres textes, assimilés et transformés, relus et inter- prétés, mais aussi parce qu’il a besoin du lecteur pour accéder à la signifi- cation. Dès lors, le texte n’est plus abordé comme un ensemble clos, signifiant en lui-même et par lui-même, mais comme un texte ouvert, résultat d’une interprétation et s’ouvrant sur l’interprétation du lecteur : il n’est plus question, comme dans la critique des sources, de simple filiation par rapport à un texte source. Rappelons que J. Kristeva présente cette notion d’intertextualité comme étant issue des réflexions de M. Bakhtine sur le dialogisme et la polyphonie7. De fait, l’idée de dialogisme est présente en filigrane dans cette conception du texte comme productivité : l’auteur n’est pas « sous influence », copiste ou héritier d’une tradition, mais il entre en dialogue avec ses lectures, qu’il interprète à sa façon, le texte nouveau amenant même à relire différemment ses hypotextes. L’intertextualité suppose donc une altérité constitutive de tout texte, s’il est vrai, comme l’affirme M. Bakhtine, que tous les mots de la langue sont habités par la voix d’autrui et que chaque mot est « un drame à trois personnages » (Bakhtine, 1979/1984, p. 331). Rappelons aussi que l’intertextualité, pour ses premiers théoriciens, J. Kristeva, R. Barthes et le mouvement Tel Quel, uploads/Litterature/ la-intertextualidad-como-clave-de-escritura-literaria.pdf

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