LA LITTÉRATURE MAGHRÉBINE DE LANGUE FRANÇAISE On a coutume de considérer que le

LA LITTÉRATURE MAGHRÉBINE DE LANGUE FRANÇAISE On a coutume de considérer que le premier texte littéraire maghrébin de langue française important est de peu antérieur aux débuts de la Guerre d'Algérie, qui a plus ou moins marqué aussi la plupart des lecteurs qui se tournent vers cette littérature. Ce texte est Le Fils du Pauvre (1950) de Mouloud Feraoun, autobiographie au déguisement volontairement transparent d'un instituteur issu de la paysannerie kabyle pauvre, et "civilisé" en quelque sorte par l'Ecole française dont il deviendra un des plus fervents défenseurs. Mais il y eut bien d'autres écrivains maghrébins de langue française avant Mouloud Feraoun, à commencer par Jean Amrouche qu'on redécouvre depuis peu. De plus doit-on, ou non, associer aux écrivains maghrébins des écrivains français du Maghreb, dont le plus prestigieux est Albert Camus? Ou Jean Pélégri? ou Emmanuel Roblès? Allons plus loin: le plus grand écrivain tunisien, Albert Memmi, n'a-t-il pas parfois été renié comme écrivain maghrébin par ses pairs, à cause de ses engagements sionistes? Enfin, quel sera le "statut" des jeunes écrivains issus depuis 1980 de ce qu'on appelle faute de mieux la "deuxième génération de l'émigration", ou "de l'immigration"? La plupart d'entre eux sont nés en France où ils ont toujours vécu, mais la Société française effrayée les renvoie souvent à l'identité de leurs parents, du pays desquels ils sont fréquemment ignorants et ignorés, mais dont ils cultivent une image mythique à la fois dépréciative et valorisante. Autant dire que la définition d'une littérature, comme celle de l'identité dont elle est censée être l'emblème, est problématique. L'idéologie n'est jamais absente de ces définitions, mais en même temps elle y montre son incapacité à saisir un objet nécessairement fuyant, parce qu'inscrit dans une historicité très complexe et dont les forces en compétition, toujours actives, n'autorisent pas encore l'élaboration d'une définition "objective". SUR L' ORIGINE ET LA NÉCESSITÉ D'UNE LITTÉRATURE Ce précis est d'abord un état de la question, qui se veut le reflet de la recherche sur ce domaine. C'est pourquoi les études qu'on va lire reprennent pour l'essentiel le découpage chronologique le plus pratiqué jusqu'ici, en reconnaissant cependant à Jean Amrouche le précurseur la place qui lui était injustement refusée jusqu'ici. Mais il voudrait souligner d'emblée l'arbitraire de ce découpage idéologique. Cette périodisation à partir de 1950 en effet est discutable, parce que liée à une lecture française qui ne voit encore le Maghreb qu'au prisme de la Guerre d'Algérie, écran finalement bien commode pour camoufler tant un passé colonial que l'ambiguïté actuelle des relations françaises avec le Maghreb, ou encore l'impensé de l'Immigration. La littérature maghrébine de langue française est née en Algérie d'abord - aux alentours de 1930, année de célébration du centenaire de la colonisation - puis s'est étendue aux deux pays voisins. Les conditions les plus apparentes qui ont rendu possible, voire nécessaire, la prise de parole des Algériens dans la langue française découlent du parachèvement de l'entreprise d'occupation, consolidée par l'instauration de protectorats français, en Tunisie d'abord (1881), puis au Maroc (1912). La lutte anti-coloniale, une fois écrasée la dernière grande révolte armée, va alors se déplacer du terrain militaire au terrain politique avec une diversification des moyens, dont l'un, adopté par toute une frange d'intellectuels, consistait à accepter la gageure de l'assimilation. Après le démantèlement des institutions locales, les premiers résultats d'une structuration nouvelle apparaissent dans les années 1880. L'imposition du français comme langue de l'administration, de la justice, de l'enseignement va déterminer un nouveau statut des Lettres à l'intérieur d'une nouvelle hiérarchie linguistique. En effet, si l'enseignement de l'arabe se maintient, c'est de façon rudimentaire. Il est plus ou moins confiné au rituel religieux. Et si la production littéraire, tant dans les langues populaires (arabe et berbère) qu'en arabe classique, se 1 perpétue, c'est sous le signe de la résistance à la déculturation. Aussi le renouvellement des thèmes, plus sinon autant que celui des formes, est-il caractéristique de cette production. Parallèlement, le système scolaire français, avec sa maigre filière pour indigènes et ses quelques lycées bilingues, promeut un nouveau modèle de lettré algérien. Les intellectuels de cette époque sont, dans leur écrasante majorité, bilingues. Même ceux formés aux universités arabes de Fès, de Tunis ou du Caire, n'ignorent pas absolument le français. D'autre part, l'incorporation de nombreux Algériens dans l'armée française, lors de la première guerre mondiale, va en quelque sorte "démocratiser" le procès d'assimilation programmé par l'école et donc jusque là réservé essentiellement aux enfants de notables. Dans le champ culturel, si le modèle européen est à peu près seul à être patenté, la culture arabe savante s'efforce de se maintenir dans certains îlots géographiques et sociologiques au prix d'un certain immobilisme. La culture populaire, quant à elle, plus subversive, incorpore des thématiques nouvelles liées à la conjoncture historique et réactive, non sans énormes difficultés, ses formes d'expression traditionnelles, tandis que d'autres tombent irrémédiablement en désuétude. LES PRÉCURSEURS C'est alors que, pour la première fois, des romans, des nouvelles ou de la poésie écrits en français par des Algériens, sont publiés. Les auteurs ont nom : Mohammed Benchérif, Abdelkader Hadj Hamou, Chukri Khodja, Mohammed Ould Cheikh, Rabah Zénati, Bamer Slimane Ben Brahim entre autres. Ils sont pour la plupart fonctionnaires de l'administration coloniale. Le titre qui inaugure la série est le roman, en partie autobiographique, du caïd et capitaine Benchérif : Ahmed ben Mustapha, goumier. Il donne le ton, inscrivant la fiction algérienne dans le procès d'acculturation. Le héros relate ses campagnes militaires au Maroc et en France, sa captivité en Allemagne et dit, à la faveur de cette narration, son apprentissage de nouveaux comportements et son initiation à une étiquette et à des schèmes de conduite dans les relations sociales, notamment avec des femmes européennes. Mais l'itinéraire s'achève, significativement, dans la solitude et la maladie, en Suisse. Dans cette période qui correspond à la floraison du roman colonial sous toutes ses formes (qu'il soit indigénophile ou indigénophobe), le petit noyau d'écrivains algériens qui arrive sur la scène littéraire produit un roman qui se constitue quasiment en sous-genre par rapport au genre dominant. En effet, comme le roman colonial de l'époque, le roman algérien souscrit aux conventions réalistes et les exploite pour exposer, de façon didactique, une thèse à caractère social. D'où des traits formels tels que la faiblesse de l'intrigue, des personnages typés, exemplaires et symboliques construits à partir d'une psychologie sommaire, l'absence ou la marginalité de l'histoire d'amour et, plus généralement de la femme. Ce qui le différencie de son modèle européen, c'est un discours idéologique qui, tout en reconduisant le dualisme éthique et sociologique du discours colonial dominant, laisse entendre que le bon et le méchant, le civilisé et le barbare ne se situent pas irrémédiablement de tel ou tel côté de la barre. Il suggère aussi, comme en une discrète mise en garde ou un obscur fantasme de revanche, que la puissance politique et militaire a maintes fois changé de camp au cours de l'histoire des civilisations. En fait cette timide contestation n'est pas évidente à première lecture et ce roman semble plutôt faire allégeance au pouvoir colonial qui lui consent un espace - si limité soit-il - dans ses institutions éditoriales. "Echantillons" de la réussite de la mission civilisatrice de la France, ces auteurs semblent n'avoir acquis leur statut d'écrivains et d'intellectuels qu'au prix d'une "trahison" et peuvent être exhibés comme justification de la politique d'assimilation. De fait, la forme romanesque importée, hétérogène à la culture du terroir, autant que l'adoption de la langue étrangère comme langue d'expression littéraire n'ont pu "prendre" (au sens où une greffe prend) 2 que dans la mesure où une cassure était consommée dans la relation de médiation que ces nouveaux lettrés pouvaient établir entre leurs conditions de vie et leurs représentations imaginaires d'une part et, d'autre part, entre eux-mêmes et leur public naturel. Dans la mesure, en particulier où l'arabe perdait sa place de langage d'autorité et se trouvait supplanté par le français, le lien entre pratiques de la vie concrète et constructions symboliques se trouvait perturbé. La perméabilité de la nouvelle couche intellectuelle - et même de l'ensemble du corps social, à des degrés divers - à la langue et aux schèmes de pensée étrangers semble aller de pair avec le procès de déstructuration. Mais, acte étant pris de ce procès, les écrivains s'engagent - sous l'effet de la "morsure" de l'Occident - dans le procès inverse de restructuration.1[1] Cependant cette appropriation de la langue française et de la forme romanesque avec les représentations du monde qu'elles impliquent nécessairement, n'est pas toute négativité ou toute positivité. Certains y perçoivent surtout un procès d'aliénation à l'œuvre, tandis que d'autres y appréhendent une conquête enrichissante, "un butin de guerre" selon l'expression de Kateb. Quoi qu'il en soit, les termes mêmes de la contradiction inhérente au système colonial - à la fois entreprise de déculturation systématique et tentative plus ou moins audacieuse et persévérante d'assimilation - sont perceptibles dans l'ensemble de cette littérature. En même temps, se manifeste, dans et par le travail de l'écriture, et en rapport avec les transformations uploads/Litterature/ la-litterature-maghrebine-de-langue-francaise.pdf

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