Musicorum N° 11 - 2012 Université François-Rabelais de Tours Les mélodies de Cl

Musicorum N° 11 - 2012 Université François-Rabelais de Tours Les mélodies de Claude Debussy La revue Musicorum, réalisée avec le soutien de l’Université de Tours, et plus particulièrement de l’équipe d’accueil Histoire des Représentations, permet de situer le domaine des sciences de la musique dans un cadre pluridisciplinaire. Son objectif est de favoriser la diffusion de la recherche en musicologie sans exclusivité d’époque. La revue accueille des articles originaux, des actes de journées d’études et de colloques. Direction : Laurine Quetin laurine.quetin@orange.fr Comité de rédaction : Pierre Degott (Université de Metz), Albert Gier (Universität Bamberg), Sylvie Le Moël (Université de Tours), Denis Vermaelen (Université de Tours). La responsabilité éditoriale de ce numéro a été assurée par Denis Vermaelen. Site internet : www.revuemusicorum.com SOMMAIRE Les mélodies de Claude Debussy Préface Denis Vermaelen 5 Somme atéléologique : Verlaine et Debussy Vincent Vivès 9 Une particulière mise en place Denis Vermaelen 17 La mélodie française comme déclamation de poèmes : l’exemple des Ariettes oubliées de Claude Debussy Mylène Dubiau-Feuillerac 35 « Debussy l’obscur... » : les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé à travers le prisme de la critique et Jean-Louis Leleu et de la littérature musicologique entre 1913 et 1951 Paolo Dal Molin 53 Université François-Rabelais de Tours Janvier 2012 - Tiré en 100 exemplaires La mélodie française comme déclamation de poèmes : l’exemple des Ariettes oubliées de Claude Debussy L’étude de la genèse des mélodies de Claude Debussy sur des poèmes de Paul Verlaine, qui présentent différentes versions et plusieurs remaniements, révèle la place importante accordée à une adéquation entre la musique et l’énonciation du texte. Au-delà d’un rapprochement entre la sémantique des mots et leur prise en charge illustrative directe par la musique, Claude Debussy semble s’attacher à des réalités de diction poétique d’une musicalité et d’une métrique particulièrement travaillées par Paul Verlaine. La connaissance par le compositeur des recherches poétiques de l’avant-garde artistique des années 1880 1 est avérée par ses biographes et doit être exploitée pour comprendre son approche de la composition et de l’interprétation d’une œuvre de mélodie française. Katherine Bergeron, dans son livre Voice Lessons, French Mélodie in the Belle Epoque, 2 a récemment relevé l’importance de la recherche littéraire sur la langue à la fin du dix-neuvième siècle en France, et son influence sur le travail du son, de la diction d’un texte. Les compositeurs de mélodies françaises de cette même période s’appliquent de plus en plus à retranscrire ce travail de la langue française et de ses spécificités, telles que le fameux « e muet » (qui n’a de muet que le nom) ou ses accents de vers. « Ce qui émerge, au fil des années, est un changement frappant des valeurs musicales : comme l’accentuation française devient de plus en plus centrale, la ligne mélodique doit « dire » de moins en moins ». 3 Les recherches se concentrent ainsi sur la diction du texte, alors que les témoignages et écrits théoriques 4 de l’époque, ainsi que les tous premiers enregistrements, permettent de faire émerger l’importance de la prosodie, de l’accentuation, de la lecture interprétative d’un texte. La formule d’un critique et acteur de l’époque, Auguste Mangeot, 5 est révélatrice de la réception des mélodies de Debussy (et de son collègue Maurice Ravel, ici), et, si elle est postérieure à mon corpus, elle s’applique cependant à ses mêmes interprètes, ici Mme Jane Bathori : Que de monde chez Madame Boulanger ! Madame Bathori y chantait, ou plutôt y récitait, du Debussy et du Ravel. Melle Nadia Boulanger y était en compagnie de Raoul Pugno - du Saint-Saëns, 1 - François Lesure, Claude Debussy, biographie critique (Paris, Fayard : 2003), cf. particulièrement le chapitre « 1887-1889. Les débuts de la période bohème », pp. 91-108, ainsi que les courts dossiers « Culture littéraire » et « Le théâtre », pp. 425-431. 2 - Katherine Bergeron, Voice Lessons, French Mélodie in the Belle Epoque (Oxford, Oxford University Press : 2010). 3 - Katherine Bergeron, Voice Lessons, op. cit., p. xi. “What emerges, over time, is a striking shift in musical values: as the French accent becomes more and more central, the melodic line has less and less to « say ».” (traduction personnelle). 4 - On pourra relever les écrits des chanteurs Enrico Delle Sedie, Manuel Garcia, Reynaldo Hahn, ainsi que ceux, postérieurs, de Jane Bathori ou Claire Croiza. 5 - Il fut co-fondateur de l’Ecole Normale de Musique de Paris avec Alfred Cortot, en 1919. Les Ariettes oubliées de Claude Debussy 36 du Nicolaïeff et la Petite Suite de Debussy, bien petite en effet.6 La déclamation des poèmes, en plus de la facture du texte lui-même, est une donnée peu relevée, et pourtant manifeste, pour son influence sur le travail de composition de Debussy. En prenant en compte l’apport spécifique des recherches poétiques actuelles, mettant à jour des notions telles que l’oralité des poèmes, ma contribution, focalisée sur le rythme – notion à l’intersection du texte poétique et de la musique – tend à réinsérer la réalité de l’oralisation de la poésie dans les mélodies. Comment réciter un poème, comment « dire » en musique l’accentuation musicale de Verlaine ? Quels liens la mise en musique du poème entretient-elle avec la diction de celui-ci, et quelle plus-value la mélodie apporte-t-elle à l’oralisation parlée ? L’étude de la musique des Ariettes oubliées, que ce soit dans le phrasé mélodique, dans la prosodie, ou dans la conduite du discours harmonique, mène à repenser le rapport que le compositeur entretient avec le texte. Dans une approche comparatiste et analytique, je convoquerai quelques témoignages d’enregistrements anciens de performances de déclamation, qu’elles soient poétiques ou musicales. En incluant par endroits les différentes versions des Ariettes 7, et leur remaniement en Ariettes oubliées, ainsi qu’en m’appuyant sur l’étude philologique des sources, je présenterai ce que cette approche vivante de la poésie oralisée apporte à l’interprétation des mélodies. Une poésie écrite pour être récitée Si, de nos jours, la poésie semble surtout graphique – disposition visuelle imprimée – et destinée à une lecture intérieure et solitaire, elle fait cependant partie d’un ensemble de pratiques artistiques orales, culturelles et sociales à la fin du dix-neuvième siècle. Lecture, diction, prononciation, récitation, déclamation… les termes abondent pour dire l’articulation d’un texte à voix haute – témoins de la réalité d’une vie sonore des poèmes. Au vu de ces différentes appellations se substituant souvent les unes aux autres, j’utiliserai le terme plus général de diction – « manière de dire » – dont le sens usuel met l’accent « sur la qualité de l’articulation, de la prononciation de mots, de vers, etc. ». 8 Ma réflexion portera tout d’abord sur les relations d’influence qui ont pu s’engager entre un poème, avec sa facture, son sens et son oralisation, et sa mise en musique. Les nombreux réajustements prosodiques et rythmiques que Claude Debussy apporte dans ses mélodies sur des textes de Paul Verlaine, corpus majeur de ses premières années de composition, m’ont interrogée. Si les premières mélodies de Debussy sur des poèmes de Verlaine (Clair de lune, Mandoline, Fantoches, dans leurs premières versions) comportent des courbes mélodiques très vocales, les Ariettes, écrites entre 1885 et 1888, puis reprises en Ariettes oubliées en 1903, présentent des lignes vocales plus rythmiques que mélodiques. Mon approche de ces œuvres tient compte de la remarque déjà citée d’Auguste Mangeot : ces lignes vocales ne seraient-elles pas portées par une forme de diction des poèmes plutôt que par un phrasé musical propre ? La tessiture employée, souvent centrale pour la chanteuse, le registre resserré avec seulement 6 - Auguste Mangeot, « Soirées et Auditions diverses », Le Monde Musical, n° 6, Paris, 30 mars 1912, p. 99. C’est moi qui souligne. 7 - Notes relevées lors du travail d’édition critique de la première version de ces mélodies, sous la direction de Marie Rolf, Œuvres complètes, Mélodies, volume 2 (Paris, Durand : à paraître). 8 - Trésors de la Langue Française, entrée « diction ». http://www.cnrtl.fr/definition/diction Mylène Dubiau-Feuillerac 37 quelques éclats de voix à des endroits spécifiques, déterminent un grain de la voix proche du parlé déclamatoire. Ne pourrait-on y voir aussi, comme le suggère Katherine Bergeron, un recentrage sur le rythme de « l’accentuation française », élément marqueur de la fin du XIXe siècle ? Les conseils des traités de chant de professeurs (Delle Sedie) ou d’interprètes masculins (Reynaldo Hahn) et féminins (Claire Croiza, Jane Bathori, ou Mary Garden) portent en grande partie sur la diction du texte mis en musique, sur le respect des rythmes et des nuances. Dans le chapitre « De la déclamation et du geste », Enrico Delle Sedie indique d’emblée : La déclamation chantée est à peu près soumise aux mêmes règles que la déclamation parlée, de sorte qu’il est nécessaire d’en faire l’étude comparée. […] La déclamation parlée est libre dans ses mouvements, ses intonations, ses inflexions et ses accents, ne relevant que de la logique du sentiment ; la déclamation chantée, au contraire, doit combiner les éléments de la première avec les accents, les inflexions, uploads/Litterature/ la-melodie-francaise-comme-declamation-d-pdf.pdf

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