LE RÊVE DU RÉVEIL Jacques-Alain Miller L'École de la Cause freudienne | « La Ca
LE RÊVE DU RÉVEIL Jacques-Alain Miller L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir » 2020/1 N° 104 | pages 13 à 23 ISSN 2258-8051 ISBN 9782713227059 DOI 10.3917/lcdd.104.0013 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2020-1-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il faudra que je lise mon cours de cette année pour y comprendre quelque chose du Séminaire de Jacques Lacan. Comment suis-je arrivé jusque-là ? Je ne sais plus, mais je m’en félicite. Alors, une fois encore, la dernière, je m’y remets. Est-ce la même perplexité ? Je voudrais toujours retrouver le fil de Lacan dans des leçons qui apparaissent parfois décousues. Je conserve l’hypothèse que des idées intermédiaires ne sont pas dites et qui, si on les découvrait, rendraient compte du passage d’un énoncé à l’autre. J’en donnerai l’exemple tout à l’heure, l’exemple d’un progrès que j’ai fait. Enfin, pour faire court, il faut choisir un fil et voilà celui que j’ai choisi de tirer. Rêve de sortie hors du temps Quoi que Lacan dise contre la logique, et Dieu sait s’il dit beaucoup contre la logique dans son tout dernier enseignement – non pas en étendue, il s’agit seulement de quelques phrases, mais en intensité –, c’est pourtant à la logique qu’il recourt pour situer celui-ci, puisqu’il l’a mis sous le chef du « Moment de conclure ». Sur le moment de conclure, sur cette expression et son concept, qui sont de lui, il ne dit rien dans son Séminaire XXV, sinon qu’il en fait son titre, après avoir confié à ses auditeurs, pour commencer l’année, qu’il n’avait pas la moindre envie de s’ex primer et qu’il aurait pu saisir le prétexte d’un incident – on ne sait plus lequel, une grève, une coupure de courant… – pour ne pas le faire. Il s’esbaudit sur la gentillesse de ceux qui viennent suivre ce qu’il a à dire, qu’il place sous le titre du « Moment de conclure », et nous laisse rêver là-dessus. * Leçon du 6 juin 2007 du cours de J.-A. Miller « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII. Version établie par Pascale Fari. Texte oral non relu par l’auteur et publié avec son aimable autorisation. JACQUES-ALAIN MILLER LE RÊVE DU RÉVEIL © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 22/07/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 22/07/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) Ce n’est pas un simple C’est fini, même si c’est ainsi que je l’avais entendu quelques jours avant le début de cette année-là, quand il m’avait confié ce titre en me regardant dans les yeux, m’avait-il alors semblé. Ce n’est pas un simple C’est fini, c’est une réfé rence à une élaboration sur le temps qui date d’avant le commencement de son ensei gnement proprement dit. Vous la trouvez dans le volume des Écrits sous le titre « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée ». Lacan a apparemment élucubré ce texte pendant la dernière guerre et, ayant décidé de s’abstenir de toute publication durant cette période, il a publié ces pages à la Libération. Le temps, cela l’occupe dans la première leçon du « Moment de conclure ». J’ai déjà eu l’occasion de citer et d’uti liser le passage, mais permettez-moi de le relire comme je l’ai fait pour moi-même. L’analyse dit quelque chose. On peut se demander s’il n’aurait pas fallu transcrire ou établir l’analyste, mais la phrase précédente, qui se termine sur le mot l’analyse, pousse à conserver le terme. L’analyse dit quelque chose. Qu’est-ce que ça veut dire, dire ? Dire a quelque chose à faire avec le temps. L’absence de temps est une chose qu’on rêve, c’est ce qu’on appelle l’éternité, et ce rêve consiste à imaginer qu’on se réveille. Là, j’ai placé un paragraphe, dans le rythme que je donne à ces énoncés – On passe son temps à rêver. On ne rêve pas seulement quand on dort. L’inconscient, c’est très exactement l’hypothèse qu’on ne rêve pas seulement quand on dort. Je l’ai souligné, l’éternité occupe le dernier Lacan. On trouve sur ce mot tel passage que je vous ai resservi du Séminaire XXIII, Le Sinthome. Les termes sont chaque fois les mêmes : la récusation de l’éternité 1. Cette récusation prend ici la forme de définir l’éternité comme un rêve, et précisément le rêve du réveil. Cette jolie assonance m’a conduit à vérifier l’étymologie de ces deux mots pour m’aperce voir que, si cela sonne bien à notre oreille dans la langue française, leurs étymolo gies n’en sont pas moins hétérogènes : « rêve » viendrait – selon Le Robert, que je me suis contenté de consulter 2 – du verbe gallo-romain esvo. Ce verbe voulant dire « vagabond » procédait du latin populaire exvagus. Tandis que « réveil » procède d’« éveiller », qui vient de exvigilare, avec la mention qu’il s’agit d’un verbe du latin populaire – « veiller sur ou s’éveiller ». Voilà deux mots qui n’ont apparemment rien à voir ensemble et qui, dans ce passage de Lacan, se trouvent poétiquement associés dans la langue. Définir l’éternité comme le rêve d’un réveil ne va pas de soi. L’éternité, ce pourrait être la continuation indéfinie du temps. Or l’indication donnée par Lacan est qu’il s’agit du rêve d’une sortie du temps, une sortie hors du temps. À le dire ainsi, dans le contexte culturel que nous partageons tout de même avec Lacan, cela s’associe avec la notion de contemplation, du vrai, du pour toujours. Il y a là une note platonicienne. LA PSYCHANALYSE AU XXIe SIÈCLE 14 1. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 148. 2. Cf. Dictionnaire historique de la langue française (s/dir. A. Rey), Paris, Le Robert, 2012. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 22/07/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 22/07/2022 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) JACQUES-ALAIN MILLER, LE RÊVE DU RÉVEIL la cause du désir n° 104 15 De toute éternité Mais, au-delà, cela n’évoque-t-il pas l’expression, relativement familière, utilisée dans de nombreux contextes, du sub specie æternitatis – sous les espèces de l’éternité, de toute éternité – ? Le sub specie æternitatis est de Spinoza ; très occupé par la notion d’éternité, il en a fait le pivot du moment de conclure de son Éthique, le pivot du Livre V, De libertate – « De la liberté ». Si vous suivez toujours le fil, vous vous apercevez que « Le moment de conclure » de Lacan débute par un dialogue avec Spinoza, qui fait déjà entendre ses premières notes dans le Séminaire du Sinthome. Je vais jusque-là : il s’agit d’une réplique à Spinoza. Bien sûr. Comment ne pas s’en être aperçu plus tôt ? N’est-il pas tout à fait naturel qu’au moment de se lancer dans son « Moment de conclure », Lacan soit remonté jusqu’à Spinoza, comme à son instant de voir ? La dilection particulière qu’il a montrée très jeune pour L’Éthique de Spinoza est un fait connu, publié, de sa biogra phie ; vers ses 13-14 ans, il aurait essayé de dresser la cartographie qui lie entre elles les propositions. Il faut se représenter ça, Lacan avec le plan total de L’Éthique de Spinoza, comme on représente Paul Flechsig avec un cerveau agrandi. Et Lacan avait choisi comme exergue de sa thèse une proposition du Livre III de L’Éthique dont j’avais jadis commenté la pertinence à cette place. uploads/Litterature/ le-reve-du-reveil-jam.pdf
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- Publié le Oct 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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