Par Pierre Teilhard de CHARDIN (Désert de l’Ordos,1923) LA MESSE SUR LE MONDE (

Par Pierre Teilhard de CHARDIN (Désert de l’Ordos,1923) LA MESSE SUR LE MONDE (Condensé) « Le pain symbolise assez bien ce que la création arrive à produire Le vin (sang), ce qu’elle fait perdre en épuisement et en souffrance dans son effort » L’OFFRANDE « Je Vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde ». « Je placerai sur ma patène la moisson attendue de l’effort de ce jour et verserai dans mon calice la sève de tous les fruits qui seront aujourd’hui broyés ». « J’évoque la masse innombrable des vivants, et plus particulièrement ceux qui croient au progrès des Choses et poursuivent passionnément la lumière…J’évoque tout ce qui va augmenter dans le Monde aujourd’hui, qui va diminuer, qui va mourir, aussi…j’évoque tout cela pour vous le tendre, Seigneur, car l’offrande que vous attendez ce n’est rien moins que l’accroissement du Monde emporté par l’universel devenir. » « Au fond de cette masse des vivants vous avez mis, un irrésistible et sanctifiant désir : Seigneur, faites nous un ! Et, sur tout ce qui, dans la Chair humaine , s’apprête à naître ou à périr sous le soleil qui monte, j’appellerai le Feu. » LE FEU AU DESSUS DU MONDE « Au commencement il y avait le Verbe souverainement capable de s’assujettir et de pétrir toute Matière qui naîtrait. Au commencement il y avait le Feu, ce principe de l’Être. C’est la lumière préexistante qui progressivement élimine nos ombres. » Vous êtes, Mon Dieu, la stabilité du milieu éternel, sans durée ni espace, en qui, graduellement, notre Univers émerge en perdant les limites par où il nous parait si grand. Vous êtes le Terme réel d’une union mille fois plus désirable que la fusion imaginée par n’importe quel panthéisme. Daignez descendre, pour lui donner une âme, sur la frêle pellicule de matière nouvelle dont le Monde va s’envelopper aujourd’hui. Par vos mains puissantes qui atteignent en nous et autour de nous tout ce qu’il y a de plus vaste et de plus intérieur, préparez l’effort terrestre dont je vous présente en ce moment, ramassé dans mon cœur, la totalité. Remaniez-le, cet effort, refondez-le, vous qui savez pourquoi il est impossible que la créature naisse autrement que portée sur la tige d’une interminable évolution. Et prononcez, par ma bouche, la Parole efficace avec laquelle tout se rejoint et tout se consolide à perte de vue dans nos spéculations et notre pratique de l’Univers : Ceci est mon corps – Et sur toute mort, qui s’apprête à ronger, flétrir, couper, commandez (mystère de foi par excellence) : Ceci est mon sang ! » LE FEU DANS LE MONDE « C’est fait. La Flamme a tout illuminé par le dedans. Dans la nouvelle humanité qui s’engendre aujourd’hui, le Verbe a prolongé l’acte sans fin de sa naissance. Au contact de la substantielle parole, l’Univers, immense Hostie, est devenu Chair. Maintenant, Seigneur, par la Consécration du Monde, la lueur et le parfum flottant dans l‘Univers prennent corps et visage en Vous. Ce qu’entrevoyait ma pensée, ce que désirait mon cœur, vous me le donnez magnifiquement : Que les créatures soient tellement solidaires entre elles, qu’aucune ne puisse exister sans toutes les autres pour l’entourer, que la Vie subie en commun leur donne en définitive leur consistance et leur union. Révélez-Vous enfin à ceux qui vous aiment comme l’Ame supérieure et le Foyer physique de la Création. Merci, mon Dieu d’avoir conduit mon regard jusqu’à découvrir l’immense simplicité des Choses ! J’en suis venu à ne pouvoir plus rien voir ni respirer hors du Milieu où tout n’est qu’Un. Comme le moniste, je me plonge dans l’Unité totale,- mais l’Unité qui me reçoit est si parfaite qu’en elle je sais trouver le dernier achèvement de mon individualité. Comme le païen, j’adore un Dieu palpable, que je touche par toute la surface et la profondeur du Monde de la Matière où je suis pris. Comme le quiétiste, je me laisse bercer par la divine Fantaisie, mais je sais que la Volonté divine ne me sera révélée qu’à la limite de mon effort et que je ne toucherai Dieu, dans la matière, que lorsque j’aurais été vaincu par lui. Parce que m’est apparu l’Objet définitif sur lequel est accordée ma nature, les puissances de mon être se mettent spontanément à vibrer suivant une note unique. Riche de la sève du Monde, je monte vers l’Esprit drapé dans la splendeur concrète de l’Univers. Faites, Seigneur, que votre descente sous les espèces universelles me devienne une Présence réelle. Si je crois que tout, autour de moi, est le Corps et le Sang du Verbe, alors pour moi (et en un sens pour moi seul) se produit la merveilleuse « Diaphanie » qui fait transparaître dans la profondeur de tout fait et de tout élément, la chaleur lumineuse d’une même Vie. Pour que dans toute créature je vous découvre et je vous sente, Seigneur, faites que je croie ! » COMMUNION « Je me prosterne, mon Dieu, devant votre Présence dans l’Univers devenu ardent. Je vous désire et je vous attends sous les traits de tout ce que je rencontrerai, de tout ce qui m’arrivera et de tout ce que je réaliserai en ce jour. Je veux, mon Dieu, que par un renversement des forces dont vous pouvez seul être l’auteur, l’effroi, qui me saisit devant les altérations qui s’apprêtent à renouveler mon être, se mue en une joie débordante d’être transformé en Vous. Seigneur Jésus, j’accepte d’être dépossédé par Vous et mené vers des solitudes où, seul, je n’aurais jamais osé monter… Pour que mon être soit décidément annexé au vôtre, il faut que meure en moi la monade et le Monde, que je passe par une diminution que rien de tangible ne viendra compenser. Voilà pourquoi, recueillant dans le calice l’amertume de toutes les séparations, de toutes les limitations de toutes les déchéances stériles, vous me le tendez. « Buvez-en tous. » Celui qui aura aimé passionnément Jésus caché dans les forces qui font mourir la Terre, la Terre en défaillant, le serrera dans ses bras géants, et, avec elle, il se réveillera dans le sein de Dieu. » PRIERE « Et maintenant, je ferai passer dans une même aspiration l’ivresse de ce que je tiens et la soif de ce qui me manque et je vous répéterai les paroles enflammées où se reconnaîtra le Christianisme de demain : « Seigneur, enfermez-moi au plus profond de votre Cœur. Brûlez-moi, purifiez-moi, enflammez-moi, sublimez-moi jusqu’à satisfaction parfaite de vos goûts, jusqu’à la plus complète annihilation de moi-même. » Aujourd’hui, Vous transparaissez pour moi à travers toutes les Puissances de la Terre et je vous reconnais comme mon Souverain : je me livre délicieusement à Vous. Par la « révélation » de votre Cœur, vous avez voulu, Jésus, fournir à notre amour le moyen d’échapper à ce qu’il y avait de trop étroit dans l’image que nous nous faisions de Vous. Plus je fixe ce foyer ardent plus les contours de votre corps semblent s’agrandir au-delà de toute mesure jusqu’à ne plus distinguer en Vous d’autres traits que la figure d’un Monde enflammé. C’est Vous que mon être appelait d’un désir aussi vaste que l’Univers : Vous êtes vraiment mon Seigneur et mon Dieu ! Au nom de ce qu’il y a de plus essentiel dans mon être, au nom de mon âme,.. pour étancher ma soif d’exister jusqu’aux replis les plus intimes du Centre de votre Cœur, Seigneur attirez-moi ! Lorsque, emprisonné dans l’intimité jalouse d’un sanctuaire divin, je me sentirai cependant errer librement à travers le ciel de toutes créatures- alors je saurai que j’approche du lieu central où converge le cœur du Monde dans le rayonnement descendant du cœur de Dieu. Apprenez à mon cœur la pureté vraie, celle qui n’est pas une séparation anémiante des choses mais un élan à travers toutes beautés. Révélez-lui la charité véritable qui est la volonté vigoureuse de forcer, tous ensemble, les portes de la vie. Donnez-lui, par une vision grandissante de votre omniprésence, la passion de découvrir, de faire et de subir toujours un peu plus le Monde, afin de pénétrer toujours davantage en Vous. A votre corps dans toute son extension, c’est-à-dire au Monde devenu par votre puissance et par ma foi le creuset vivant où tout disparaît pour renaître,- par toutes les ressources qu’a fait jaillir en moi votre attraction créatrice, par ma trop faible science, par mes liens religieux, par mon sacerdoce, par le fond de ma conviction humaine,- je me voue, pour en vivre et pour en mourir, Jésus. » =-=-= La Messe sur Le Monde Puisqu'une fois encore, Seigneur, dans les steppes d'Asie, je n'ai ni pain, ni vin, ni autel, je m'élèverai par-dessus les symboles jusqu'à la pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l'autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde. Le soleil vient d'illuminer, là-bas, la frange extrême du premier Orient. Une fois uploads/Litterature/ la-messe-sur-le-monde-teilhard-de-chardin 1 .pdf

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