Revue des Études Grecques La notation archaïque grecque d'après Aristide Quinti
Revue des Études Grecques La notation archaïque grecque d'après Aristide Quintilien Jacques Chailley Résumé Pour présenter l'échelle par diésis (quarts-de-ton) qu'il attribue aux Anciens, Aristide Quintilien (Meibom, 14-15) utilise une notation aberrante qui n'a jamais reçu d'explication et devant laquelle tous les musicologues ont déclaré forfait, la déclarant sans signification aucune. L'auteur recherche les mobiles qui ont poussé Aristide à utiliser pour ce seul passage une notation archaïque (le système des triades de la notation classique ne se prêtait pas à un échelonnement, par quarts-de-ton) et en étudie la graphie. Il conclut à une notation cohérente, bien que parvenue avec des perturbations. Elle serait différente de celle d'Alypius, mais comme elle d'origine alphabétique ; on présume qu'il s'agit d'une notation d'intervalles, et ce pourrait être elle dont parle Aristoxène (Meibom 39) en des termes incompatibles avec la notation classique, mais qui s'appliquent bien à celle-ci. Cette notation archaïque, des signes de laquelle l'auteur propose une remise en ordre rationnelle, aurait été en usage au — IVe siècle, on ne peut dire depuis quand, et aurait cédé la place à celle que nous connaissons vers le milieu du — IIIe siècle, ce qui recoupe l'hypothèse présentée par A. Bataille et l'auteur en 1961-67 sur la date de cette dernière. Citer ce document / Cite this document : Chailley Jacques. La notation archaïque grecque d'après Aristide Quintilien. In: Revue des Études Grecques, tome 86, fascicule 409-410, Janvier-juin 1973. pp. 17-34; doi : https://doi.org/10.3406/reg.1973.4001 https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4001 Fichier pdf généré le 18/04/2018 LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN Loin d'être le compilateur sans intérêt que dépeignent certains commentateurs, Aristide Quintilien est peut-être, sur certains points du moins, l'un des théoriciens les plus originaux de la musique grecque. Il est en tout cas à peu près le seul technicien qui nous ait transmis quelques bribes des traditions archaïques antérieures à la doctrine commune des musicographes alexandrins. Faute de l'effort nécessaire pour les comprendre, ces passages ont été en général déclarés négligeables, peut-être parce qu'ils dérangeaient des notions reçues que l'on ne tenait pas trop à remettre en cause. Parmi ces passages figure un curieux témoignage (Mb. 14-15) selon lequel, après avoir défini les intervalles et parmi eux le diésis, <( le plus petit intervalle que forme la voix quand elle semble se perdre », Aristide nous dit que les anciens « ont composé leurs systèmes en inscrivant chaque corde dans un diésis ». Et il nous propose « l'harmonie procédant par diésis en vigueur chez les anciens. La première octave, dit-il, s'étend sur 24 diésis, tandis que la seconde progresse par demi-tons » (1). Suit un diagramme de notation que tous les commentateurs ont déclaré incohérent et que nous nous proposons d'examiner ici. On ne peut évidemment, pour l'étudier, se fier à la transcription de Meibom (p. 15). Lui-même nous avertit honnêtement dans ses notes (p. 224) qu'il l'a entièrement remaniée pour tenter de la faire cadrer tant bien que mal avec les tables d'Alypius. Cependant, la (1) Cette phrase est répétée textuellement après le diagramme : «Telle est l'harmonie en vigueur chez les Anciens. La première octave s'étend... par demi-tons. » II s'agit sans doute d'une glose incorporée. 18 JACQUES CHAILLEY variante qu'il indique à cet endroit comme étant le texte original, bien que plus fidèle, est encore insuffisante. Ni Perne ni Ruelle n'ont résolu le problème, bien que leurs relevés soient plus corrects. L'article de H. Potiron (les notations d'Aristide Q. (...) dans Revue de Musicologie, déc. 1961, p. 159-176) est décevant : il déclare forfait d'emblée, et après quelques remarques sommaires sur l'existence de doublons (p. 164), conclut rapidement que «l'interprétation et la traduction semblent impossibles, la notation ne révélant aucun ordre ressemblant à une succession de diésis ». R. P. Winnington Ingram, dans son édition de 1963, n'apporte pas de solution ; mais du moins il nous munit d'une édition critique soignée permettant un établissement du texte aussi correct qu'il est possible (2). Mme Marie-Claire Mussat le Moigne, dans une récente thèse par ailleurs bien documentée, ne fait pas non plus a\*ancer la question. Il nous faut donc la reprendre à la base. I. Examen des deux tableaux du diagramme de notation Le diagramme se présente sous forme de deux tableaux distincts, l'un par diésis pour la lre octave, numérotée à la suite de 2 à 24, l'autre par demi-tons pour la 2e octave, numérotée de deux en deux de 26 à 48. Dans presque tous les mss, la première octave est disposée synoptiquement sur deux rangées ; seuls quelques mss comme A et Ν conservent cette disposition pour la seconde. Nous reproduisons en fig. 1 la disposition du ms. Ν (3) en traduisant les chiffres grecs et en ajoutant par anticipation, sur une dernière ligne, les lettres alphabétiques de dérivation qui découlent de notre étude. Le premier point, qui semble évident, est qu'il ne s'agit pas de notation d'Alypius dont aucun principe n'est respecté. Nous sommes (2) Les mss relevés (Winnington Ingram, p. vm) sont au nombre de 62 : on nous excusera de n'avoir pu les collationner tous. Nous remercions vivement M. Winnington Ingram, qui a bien voulu nous communiquer les photographies de notre tableau dans les mss les plus importants. A (Venetus Marc. gr. 322, xve s., f° 3) ; Florentinus Riccardianus 41, xvie s. f° 94' ; Ν (Neapol. gr. III G. 4, xve s., f° 6') ; R (Vatic, gr. 192, xive s., f° 166) ; le ms V (Venetus Marc. app. cl. VI 10, xive s., f° 150) est reproduit pi. 1 de son édition. (3) Les signes sont ceux de Ν sauf 7, 11', 12, 12', 13, 14', 19, 22' et 24' dont la graphie semble meilleure dans V ; 13', 23' et 46' dans A ; 24 et 40 dans F, les différences étant parfois minimes. LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 19 N" du ms. ) ?. ? t- ^ ,_ ? *. ?- rectifié ^ ±Z3^S/8^t0 41 Rangée 1 - «3 ? ? U ^K J 1 y ? .3 » 2 (n» prime) 1 <G 0-^^né_/rV-^-3 ? Lettre d'origine /^ _Q ' A fc 13 J^ ir /6 /^ 13 /f te Zi tt 13 ZH { ?G ff fi l^ t^ (i| tP ? K.K. K./S ?G ?G ?" rectifié-* 12 Î3 flf <«£>'* \J 18 /f fil] 10 U II <?3 < =>- -p h 9 ? y ·* > < y v '-t??./7 9 y y 3* > > /A ?- H ? ? [?] ? A < ?) « ?» rectifié _> $8 *y 30 32. 3<? 3* J? 40 42. 44 4é 4* ?») J2 ? 42 ?/3 4* 30 3é 26 /* J4 4é ? 24 ^ ?" 3 -e- -a c C < -?7 -6 ? ? F -> LT D ? > 0- 3- "V r/ ? p f -a 0 c ?/ ? ? ? /? Fig. 1. Le tableau original avec sa numérotation (l'astérisque indique les lignes originales du ms). d'autant plus fondés à y voir un vestige d'une notation plus ancienne, que nous savons désormais la notation alypienne beaucoup plus jeune qu'on ne le croyait précédemment (4). Écartons donc toute préoccupation d'assimilation avec la notation que nous connaissons, et examinons les deux parties du tableau l'une après l'autre. (4) ?. Bataille, Remarques sur les deux notations mélodiques de l'ancienne musique grecque, Recherches de papyrologie, P.U.F., I, 1961, p. 5-20 ; complété par J. Chailley, Nouvelles remarques sur les deux notations mélodiques de l'ancienne musique grecque, ibid., V, 1967, pp. 201-216. 20 JACQUES CHAILLEY I. Première partie du tableau : Γ octave par diésis La numérotation des signes commence au chiffre 2 : l'alpha initial séparé du bêta par un dessin disjonctif, correspond manifestement au bêla isolé qui ouvre le second tableau, et non à celui qui suit le signe disjonctif. Le groupe iota gamma qu'il surmonte n'appartient pas au tableau ; c'est évidemment une répétition fautive du même groupe placé juste au-dessous (même disposition dans le ms. V). Les mss à disposition linéaire ont ensuite copié les lignes l'une après l'autre sans se préoccuper des concordances. L'octave notée comporte donc 23 signes doubles, numérotés de 2 à 24, alors qu'une octave divisée en quarts de ton (diésis) comporte 24 intervalles, sans compter le point d'origine mais en comptant l'octave d'arrivée. On en déduit qu'il manque un signe à la lre octave. En outre, comme les numéros de la seconde octave, disposée par demi-tons, sont tous des nombres pairs, on déduit que les demi-tons de l'octave par diésis doivent correspondre aux chiffres pairs, les impairs étant réservés aux diésis intercalaires, et le point de jonction, octave du point d'origine doit porter le numéro 24. Quant au point d'origine lui-même, il ne peut pas être numéroté, car il ne pourrait l'être que par 1, et entraînerait à sa suite les chiffres impairs pour les demi-tons. De tout ceci semble résulter que nous avons affaire à une notation d'intervalles et non de degrés : le chiffre 1 doit désigner le premier uploads/Litterature/ la-notation-archaique-grecque-d-x27-apres-aristide-quintilien-article-par-j-chailley-1973.pdf
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- Publié le Jan 18, 2022
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