François Richaudeau La phrase de Proust, de J. Milly In: Communication et langa

François Richaudeau La phrase de Proust, de J. Milly In: Communication et langages. N°30, 1976. pp. 123-124. Citer ce document / Cite this document : Richaudeau François. La phrase de Proust, de J. Milly. In: Communication et langages. N°30, 1976. pp. 123-124. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1976_num_30_1_4309 Les livres 123 1. La forme transforme les faits. Un style ne photographie pas la réalité ; il plie celle- ci à une esthétique. 2. L'autoportrait est aussi une création. 3. Tout écrivain habite à distance de sa propre vie, occupé à chercher la meilleure façon d'en considérer le spectacle. Et il ne décrit pas le spectacle, mais les images, les émotions, les idées, les rêves qui viennent à « Je » regardant vivre « Moi ». Proust ne cesse d'affirmer que le Marcel du Temps perdu n est pas Proust, imais un personnage de roman. Goethe n'appelle pas son autobiographie la Vérité sur ma vie, mais Poésie et Vérité de ma vie. Aragon intitule un récit dont il est le sujet : Théâtre/Roman, et écrit : « L'honnêteté, sans » nul doute, exigerait que tous les livres «intitulés "Mémoires" soient considérés » comme des romans ou, pour mieux dire, » du roman. » Cocteau trouva la formule exacte : « Tout art vrai est de la vérité » mentie. » Le beau livre de Brassaï sur Henry Miller n'est pas seulement un recueil de souvenirs sur une bohème partagée, dans les années 1930, à Paris. On sait qu'au cours de ces années parisiennes Miller se découvrit et composa sa première grande œuvre : Tro pique du Cancer. Brassaï nous fait assister à la naissance d'un génie créateur. Une formidable soif de vivre. Une égale ivresse de liberté. Une boulimie de lecture. Et, contradictoirement, le besoin de rejeter toute culture (« Ce que je veux, c'est arrê- » ter mon évolution... régresser, régresser... » II est temps que nous commencions à » sentir, à penser, à voir l'univers d'une » manière non cultivée, primitive »...). Le torrent créateur se débonde à partir du mo ment où Miller découvre que sa matière romanesque et poétique est sa propre existence vue par un sauvage innocent. Il va se raconter, il va tout dire. Ou, plutôt, il va dire tout ce que l'homme originel voit (ou croit voir) en regardant vivre un nommé Henry Miller, à des millénaires de distance, dans un monde qui ressemble à un songe. Dans un chapitre justement intitulé : « L'au- » tobiographie n'est que du plus pur roman », Brassaï multiplie les exemples de fabula- tions et de transpositions, qui sont moins des truquages que des effets d'un lyrisme de l'innocence. Miller-Adam ne fait pas le partage entre ce qui arrive à Miller-Henry et ce qu'il croit qu'il lui arrive. « Moi » est pour « Je » une fiction véritable. Miller dira lui-même plus tard (dans Histoire de ma vie) : « La vie ne peut être saisie » ni par le réalisme ni par le naturalisme, » seulement par le rêve, le symbole, la » fabulation. » Brassaï rapporte que la découverte du Voyage au bout de la nuit influença Miller au point que celui-ci reprit le manuscrit du Tropique pour en accentuer l'aspect légen daire et onirique, à l'exemple de Céline pour qui Bardamu est un docteur Destouches plus grand que nature, le héros d'un grand cauchemar récurrent. Céline (comme Cen drars et Delteil) aida certainement Miller à perfectionner l'art de la vérité mentie. Gide à écrit sur Céline ce qu'il faut aussi écrire de MHIer comme de tout autobio graphe-artiste : « La réalité qu'il peint, c'est » l'hallucination que la réalité provoque. » Le livre de Brassaï a pour titre Miller gran deur nature. Mais c'est « grandeur surna ture » qu'il faut lire. Louis Pauwels. Jean Milly LA PHRASE DE PROUST Larousse, 1975, 38,75 F. La bibliographie de cet ouvrage signale qua rante-sept auteurs ayant publié une ou plusieurs études (articles ou livres) sur Marcel Proust ; et plus particulièrement sur son écriture. Comme l'écrit Jean Milly : « Le » lecteur de Proust est toujours frappé par » le caractère spécial de sa phrase... tantôt » en admirant la richesse et la souplesse..., » tantôt s'en irritant, la qualifiant d'inverté- » brée et d'assommante. » D'où, malgré ces travaux antérieurs, l'intérêt de cette nou velle étude de plus de deux cents pages. Elle est menée en prenant précisément comme point de départ les notations de Proust sur les phrases de deux des person nages secondaires de « A la recherche du «temps perdu»: l'écrivain Bergotte et le musicien Vinteuil. Une partie importante de l'ouvrage est consacrée à l'analyse phono logique des phrases, Jean Milly faisant ressortir les chaînes d'associations pho niques proustiennes les plus fréquentes : répétitions, anagrammes l. Une autre partie — la plus intéressante peut-être — traite de la « dynamique » des phrases proustiennes, montrant comment nombre d'entre elles sont construites à partir d'un tronc central qui se scinde par dédoublement en séries de bras. Jean Milly n'étudie, hélas, que quelques phrases qui tendent à expliquer cette structure par un phénomène de mémoire involontaire. 1. Exemple d'anagramme : rime et mire. Mais l'auteur manque visiblement de connaissances en psychologie scientifique qui auraient pu lui permettre de jeter un pont entre l'écrit proustien et son émiss ion, d'une part : le processus d'écriture par l'écrivain ; sa réception, d'autre part : le processus de lecture par les lecteurs. Ces lacunes, lorsqu'il se risque à aborder ce domaine, l'amènent à proférer des contre- vérités du type : « La lecture silencieuse » permet de voir simultanément un grand » espace de texte », ce qui contredit d'ailleurs une autre de ses affirmations suivant laquelle « toute lecture silencieuse » est accompagnée d'une ébauche mentale » sinon physique d'articulation ». Ce comportement n'est pas nouveau. Marianne Koestler raconte qu'en 1947 Arthur Koestler révélait à Camus, Sartre et Merleau-Ponty les récentes découvertes anglo-saxonnes se rapportant aux struc tures du cerveau ; avec, pour seul résultat, des regrets polis (de leur ignorance) de ses interlocuteurs et même, de Camus, l'affirmation « que rien d'intéressant n'était » jamais sorti des travaux de laboratoire et » qu'en particulier il était peu probable que » rien qui en vaille la peine ait jamais été » accompli dans les laboratoires améri- » cains2 ». Trente ans après, rien n'est fondamentale ment changé dans le comportement des théoriciens français de la littérature. L'ou vrage de Jean Miily est d'ailleurs la reprise d'une thèse de doctorat d'Etat soutenue devant l'université de Paris III. Les amoureux de Proust et les spécialistes de la littérature le liront avec profit. Peut-être un jour pourront-ils aussi lire un ouvrage plus ambitieux qui traiterait de l'écriture de Proust en intégrant les travaux récents de psycholinguistique, et plus par ticulièrement de psychologie de la lecture. François Richaudeau. Alain Bentolila Colette Durand Marie-Thérèse Gauthier COMMUNICATION ET CODAGES Hachette, 1976. Au terme d'école maternelle on préfère aujourd'hui celui d'école préélémentaire. En effet, les finalités de cette dernière ne sont pas tant l'acquisition de connaissances 2. Arthur Koestler (Paris, Cahiers de l'Herne n° 27, 1975). adaptées à cet âge que la préparation du terrain destiné à les recevoir, en préser vant notamment toutes les forces vives de création. C'est ainsi que l'école préélément aire n'a pas à apprendre à lire aux enfants, mais a pour mission de faire éclore et de développer les aptitudes nécessaires à l'apprentissage de la lecture qui se fera au cours préparatoire. C'est dans cet esprit que s'inscrit l'ouvrage d'Alain Bentolila, Colette Durand et Marie-Thérèse Gauthier : « Communication et Codages ». Les auteurs proposent une voie originale, j'allais dire naturelle, pour la mise en place de ce qu'on a coutume d'appeler les pré requis à l'apprentissage du savoir-lire. De même qu'historiquement notre code écrit est le produit d'un long tâtonnement, parti des pictogrammes préhistoriques pour aboutir, à travers les hiéroglyphes et autres idé ogrammes, à notre code alphabétique très élaboré, on invite les enfants à coder eux- mêmes, à leur façon, par des dessins, les éléments de la chaîne parlée. Ils découvrent ainsi un découpage de plus en plus fin de l'oral et une traduction écrite de plus en plus pénétrante : plus même, on les amène à passer du signe au symbole, de l'idé ogramme au phonogramme. Toutes ces acti vités, dont l'ouvrage regorge d'exemples, permet une mise en place progressive et sans heurts de l'ensemble des aptitudes nécessaires à la réussite de l'apprentissage de la lecture à l'école élémentaire : symbo- lisation, codage, organisation spatio-tempor elle, affinement et enrichissement de l'oral, etc. A lire les témoignages fournis par maîtres et parents, cette préparation, qui est l'inverse d'un conditionnement, a donné de bons résultats lors du passage au cours préparatoire. Scepticisme qu'au départ on est tenté de partager. Laisser les enfants inventer leur propre code écrit, les habituer à s'en servir, n'est-ce pas les encombrer d'une symbol ique artificielle et inutile ? Leur univers scolaire dans les classes supérieures n'en est-il pas déjà trop chargé (lecture, langues étrangères, uploads/Litterature/ la-phrase-de-proust.pdf

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