1 This is a post-print version of “La relecture postcoloniale d’œuvres « canoni
1 This is a post-print version of “La relecture postcoloniale d’œuvres « canoniques » européennes et la question de l’identité culturelle. Perspectives à partir d’Une tempête de Césaire et The Odyssey de Walcott“, in Comparatio. Zeitschrift für Vergleichende Literaturwissenschaft, 2016, Ausgabe 2, pp. 199-214. When quoting please refer to the published version. See : https://comp.winter- verlag.de/article/COMP/2016/2/3 La relecture postcoloniale d’œuvres « canoniques » européennes et la question de l’identité culturelle. Perspectives à partir d’Une tempête de Césaire et The Odyssey de Walcott1 Summary : This paper compares the rewritings of Western Classics by two major West Indian writers: Aimé Césaire and Derek Walcott. By means of the sociopoetics method developed by Alain Viala and Jérôme Meizoz, it shows the correspondence in the two authors between their literary work on the one hand and their political and theoretical standpoints about black and West Indian identity issues on the other hand. At the same time, it shows the absence of a unified West Indian conception of identity, given that on this theme, Césaire and Walcott almost entirely disagree. Parmi les différentes recherches qui ont occupé et occupent encore les comparatistes, la question de la réécriture – toute réécriture étant évidemment aussi une relecture – de mythes anciens ou modernes, de “figures littéraires“ ou de textes devenus des “classiques“ constitue sans doute l’une des plus fécondes. Cet article se situera dans le droit fil de ces études en se concentrant sur deux relectures d’“œuvres canoniques“ de la littérature européenne dans un espace géographique et culturel différent de celui de leur hypotexte, à savoir les Caraïbes anglophone et francophone. Il s’agit de la réécriture sous forme théâtrale de l’Odyssée en 1992 (The Odyssey. A play, publié en 1993)2 par l’auteur saint-lucien Derek Walcott et d’Une tempête3 de l’écrivain martiniquais Aimé Césaire en 1969, réécriture de The Tempest, l’ultime pièce de Shakespeare (vers 1610-1611). Je souhaiterais en fait poser deux questions à partir de ces textes. Celles-ci ont pour but de mettre en lumière, dans ma conclusion, le problème, la question de l’identité culturelle, de l’identité d’un espace littéraire, de ce qui fait l’appartenance d’un texte à un espace culturel et la manière qu’a l’auteur d’envisager celui-ci. 1 Cet article est la version augmentée d’une communication originale présentée à la Dublin City University (DCU) le 25 août 2015 à l’occasion du VIe Congrès du réseau européen d’études littéraires comparées (REELC/ENCLS). 2 Derek Walcott, The Odyssey. A play, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1993. 3 Aimé Césaire, Une tempête, Paris, Seuil, 1997 [1969]. 2 La première de ces questions consiste à interroger les raisons qui poussent des auteurs caribéens de la seconde moitié du XXe siècle à choisir d’adapter, de réécrire de manière contrapuntique de grands “classiques“ européens et d’examiner ce que signifie cette réécriture sur le plan de leur identité culturelle. Pour y répondre, j’utiliserai notamment la notion de posture d’auteur développée dans les recherches sociopoétiques d’Alain Viala et de Jérôme Meizoz.4 La seconde question consiste à s’interroger sur le public de ces réécritures, de savoir à qui les auteurs s’adressent ou, pour ceux qui préfèrent le langage sartrien, de savoir « pour qui Césaire et Walcott ont-ils écrit ». Shakespeare, Césaire et l’identité du peuple noir Si pratiquement toutes les pièces de Shakespeare n’ont cessé d’être jouées depuis leur création, nombre d’entre elles se sont également vues réécrites, nombre de thèmes shakespeariens se sont vus retravaillés. On peut mentionner pour la période récente les deux pièces du dramaturge Heiner Müller, Macbeth. Nach Shakespeare (1971) et Die Hamletmaschine (1979) ou encore Lear d’Edward Bond en 1972.5 Néanmoins, comme le note David Norbrook, à la fin du vingtième siècle et cela est sans doute également valable en ce début de vingt-et-unième siècle, la pièce qui bénéficie de la plus grande attention critique, mais aussi créatrice, est The Tempest. 6 L’une des raisons de cette attractivité tient certainement selon Norbrook au développement dans ce même temps des littératures que la critique appelle « périphériques » ou « dominées »7 et à l’attention portée à ces dernières par le monde académique. Le thème et les personnages de la pièce se prêtent en effet volontiers à une relecture dans le monde ex-colonisé, en particulier semble-t-il dans les Caraïbes. Rob Nixon souligne, dans un article de 1987, trois importants textes caribéens autour de Prospero et Caliban : un essai de 4 Cf. Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine 2007. 5 Pour une étude de trois réécritures de pièces de Shakespeare dont Lear d’Edward Bond, cf. Estelle Rivier, «Réécriture des pièces de Shakespeare : l’enjeu de la modernité ? », Revue LISA/LISA e-journal [Online], Vol. VI – n° 3 | 2008, Online since 04 June 2009. URL : http://lisa.revues.org/409 ; DOI : 10.4000/lisa.409 6 Cf. David Norbrook, “What Cares These Roarers for the Name of King?”: Language and Utopia in The Tempest' [1992], in Richard Branson Brown and David Johnson (eds.), A Shakespeare Reader: Sources and Criticism, (Macmillan/St Martin's Press, 2000), p. 270. 7 Le terme périphérique renvoie aux thèses de World Literature de Franco Moretti et Pascale Casanova, alors que le terme « dominé » évoque davantage les théories postcoloniales (Cf. Patrick Chamoiseau, Ecrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997). 3 George Lemming, auteur barbadien, (The Pleasures of Exile en 1960) et un autre du Cubain Roberto Fernández Retamar (Calibán en 1971) ainsi que, bien sûr, la pièce d’Aimé Césaire. Cécile Chapon ajoute deux poèmes à cette liste : « Caliban » du Barbadien Kamau Brathwaite (in Islands en 1969) et « En état de poésie » de l’Haïtien René Depestre (in Rage de Vivre en 1980).8 Dans cet article, je vais donc me concentrer sur la relecture la plus célèbre et la seule parmi les cinq précitées à adopter le même genre que Shakespeare, à savoir Une tempête. Cependant, avant de pouvoir entrer dans l’analyse et afin d’être à même de la comprendre, il apparaît nécessaire de préciser ce qu’il faut entendre par l’expression posture d’auteur. Comme elle est la plus claire à ma connaissance, je cite la définition qu’en donne Meizoz. La posture d’auteur est une notion [dotée d’] une double dimension, en prise sur l’histoire et le langage [qui] simultanément […] se donne comme une conduite et un discours. C’est d’une part la présentation de soi, les conduites publiques en situation littéraire (prix, discours, banquets, entretiens en public, etc.) ; d’autre part, l’image de soi donnée dans et par le discours, ce que la rhétorique nomme l’ethos. En parlant de “posture“ d’auteur, on veut décrire relationnellement des effets de texte et des conduites sociales. 9 Comprendre le choix césairien d’une réécriture de The Tempest et en saisir le sens exigent de passer par l’examen de sa posture d’auteur. En effet, si Césaire fut principalement un poète et un dramaturge, il déploya également une importante activité politique. Cet engagement nous dit quelque chose sur ses choix d’écriture ou de réécriture, ses discours et ses conduites sociales dans la définition de Meizoz. Dans un entretien accordé à Jacqueline Leiner, Césaire explique comment de poète qu’il était au départ, il est aussi devenu dramaturge : Le passage décisif s’est fait lors de la décolonisation, j’ai pensé que les peuples noirs à un moment décisif de leur vie, au moment où ils étaient appelés à l’indépendance, devaient se connaître mieux, le théâtre 8 Cf. Rob Nixon, « African and Caribbean Appropriations of The Tempest » [1987], in Richard Branson Brown and David Johnson (eds.), op.cit., p. 280 et Cécile Chapon, « Caliban Cannibale : Relectures/Réécritures de La Tempête de Shakespeare », in Comparatisme en Sorbonne 4-2013- (Dé)construire le canon, pp.1-14. Voir aussi Chantal Zabus, Tempests after Shakespeare, New York, Palgrave, 2002. 9 Jérôme Meizoz, op.cit., p. 21 [c’est à chaque fois moi qui souligne]. 4 après tout, c’est un donner à voir. Il fallait procurer au peuple noir le théâtre de leur propre être et de leur propre histoire […]. 10 Cette position de Césaire – l’entretien remonte à 1994 – montre qu’il envisage le théâtre différemment de la poésie, qu’il se positionne différemment par rapport à lui. S’il intègre toujours le théâtre à la négritude (ou à sa conception de celle-ci), à une « littérature nègre », s’il le veut toujours politique, il lui confère néanmoins un rôle différent, un rôle qu’il ne confiait pas à la poésie, à savoir un rôle pédagogique, didactique. Ce changement de genre littéraire pour s’exprimer, ce changement de discours à un moment particulier et hautement symbolique, celui de la « décolonisation », montrent et démontrent un changement de conduite sociale ainsi qu’une évolution de sa posture. Le moment politique a changé, le discours et la posture évoluent. Sans s’effacer – j’y viendrai – l’écrivain-militant se place maintenant derrière l’écrivain-éducateur. Un élément me paraît d’ailleurs essentiel dans ce court extrait d’entretien. À un moment, Césaire parle des peuples noirs, au pluriel, puis juste après du peuple noir, au singulier. Ceci, en plus en évoquant le passage de la poésie au théâtre, nous explique la nécessité qu’il éprouve d’écrire uploads/Litterature/ la-relecture-postcoloniale-d-oeuvres-can.pdf
Documents similaires










-
24
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2947MB