1 1re partie. La résilience : concept abstrait ou pratique de vie Margot Phaneu

1 1re partie. La résilience : concept abstrait ou pratique de vie Margot Phaneuf, inf. PhD. « Le paradoxe de la condition humaine, c'est qu'on ne peut devenir soi-même que sous l'influence des autres. » Boris Cyrulnik Les Nourritures affectives Lorsqu’une personne fait l‘expérience d’une grande difficulté existentielle, un abandon, une violence, une tragédie, elle en reste souvent marquée pour longtemps, sinon pour la vie. Une telle situation est particulièrement néfaste dans le jeune âge. Pourtant, certains individus s’en tirent mieux que d’autres. On dit alors qu’ils sont résilients, c’est-à- dire que même s’ils ont été blessés par un traumatisme ou maltraités par la vie, ils ne se laissent pas empoisonner par cet événement. Ils arrivent à vivre « avec » et même à devenir plus trempés, plus endurants. Comme le disait déjà en son temps le philosophe Nietzsche « À l’école de guerre de la vie, ce qui ne me tue pas, me rend plus fort »1. Le concept de résilience est important à connaître en soins infirmiers, car il est fréquent que des enfants carencés ou maltraités se retrouvent dans les services pédiatriques, confiés aux soins d’infirmières. De plus, des personnes violés, blessées lors d’agressions, d’accidents graves ou de cataclysmes naturels ou encore survivant à des maladies habituellement mortelles, requièrent-elles aussi des soins infirmiers. Pour intervenir adéquatement, il est donc important que la soignante connaisse ce concept et ses applications. C’est ce que nous verrons dans cette première partie. Mais l’infirmière doit aussi comprendre quels sont les facteurs qui permettent au sujet de retrouver son équilibre et de se reconstruire et comment son intervention peut aider à le faire. C’est ce qui figure dans la deuxième partie de ce texte, sous le titre « La résilience et le travail infirmier » (Margot Phaneuf)2. Origine du concept de résilience Le terme résilience a connu ces dernières années une vogue étonnante. Mis un peu à toutes les sauces, il sert à décrire tout ce qui résiste au temps et à la détérioration, allant des entreprises soumises aux fluctuations boursières, aux dévastations de la nature et de l’homme, à la résistance de l’enfant ou de l’adulte en cas de précarité, de maltraitance ou de violence. Son origine provient du terme latin rescindere : c’est-à-dire, annulation ou résiliation d’une convention, d’un acte officiel. Au sens juridique, il prend la signification de renonciation ou d’action de se dédire. Mais c’est peut-être l’acception propre à la métallurgie qui évoque avec plus de justesse l’idée à la fois de force de résistance et de rebond qui lui est attribuée en sciences humaines. Ainsi, en 1. Friedrich Nietzsche, Le crépuscule des idoles ou Comment on philosophie avec un marteau, 1888. 2. Margot Phaneuf. La résilience et le travail infirmier. Infiressources, Carrefour clinique, section Soins en psychiatrie : 2 physique, pour les métaux, la résilience est l'aptitude à résister aux chocs, elle recouvre leur capacité de retrouver leur état initial à la suite d’une pression ou d’un impact déformant. Ce sens fait image et de là, proviendrait en psychologie, l’application décrivant la capacité de l’humain de survivre aux épreuves de l'existence et d'en surmonter les traumatismes. Il traduit bien son aptitude à résister au malheur et à poursuivre sa croissance en dépit de ce qui lui arrive. Les penseurs de la résilience Ce concept est basé sur les principes du « processus d’attachement » qui a d’abord été développés il y a déjà plusieurs décennies par John Bowlby (1907-1990), pédiatre et psychanalyste anglais. Il nous explique que le lien réussi entre la mère et l’enfant permet à ce dernier de construire un sentiment de confiance en soi et de sécurité, agissant comme une protection pour affronter les séparations et les épreuves ultérieures de sa vie. Bowlby écrivait « La figure d’attachement est l’assise inébranlable sur laquelle se construit une personnalité stable et sûre d’elle-même. »3 La satisfaction des besoins de base, l’affection et l’adéquation des réponses de la mère lui apportent un sentiment de sécurité qui deviendra le modèle de ses relations avec les autres4. Mais lorsque survient l’abandon, la négligence ou la maltraitance se développe une perturbation sévère de ce lien parent- enfant qui a des effets dévastateurs sur le développement du petit. « Ainsi, selon cet auteur, quel que soit l’apport des prédispositions génétiques et des traumatismes physiques dans les variations de la personnalité, la responsabilité du contexte familial est importante ».[…] « La personnalité de l’adulte est comme le produit des interactions de l’individu avec des personnages clefs, notamment avec ses figures d’attachement, au cours de toutes ses années d’enfance. » (Ghislaine Jouvet)5. 3. Bowlby, John (1978) tome 1 « Attachement et perte », tome 2, « La séparation angoisse et colère », Paris : PUF, collection « Le fil rouge ». 4. Image : Anne geddes. Bébé chou http://www.casafree.com/modules/xcgal/displayimage.php?pid=13802 5 . Ghislaine Jouvet. À propos de la résilience. Sur éducspe.com http://www.educspe.com/dossiers/actualites-diverses/a-propos-de-la-resilience.html#_ftn2 Concept d’attachement • Ce concept recouvre la relation qui s’établit au cours du très jeune âge entre un parent et son enfant, particulièrement entre la mère et le nouveau-né. • « L’attachement est alors défini comme la construction des premiers liens affectifs entre l’enfant et la mère ou la personne qui en tient lieu » (Bowlby, 1951). 3 La satisfaction des besoins de base et l’adéquation des réponses de la mère entraînent chez l’enfant confiance et sécurité. Ainsi, celui qui, entre les âges de 0 à 12 mois, aura le bonheur de développer la confiance fondamentale qui est, selon Erick Erickson, la tâche à réussir à ce temps, sera mieux préparé pour affronter le malheur et pouvoir ensuite rebondir (Erick Erickson)6. Mais celui qui a mis le concept de résilience au goût du jour est l‘éthologue et neuropsychiatre français, Boris Cyrulnik, disciple de Bowlby et du psychologue Fritz Redl qui vers 1970, créa le terme « d'ego-résilience »7. En 1999, Cyrulnick avec son livre « Un merveilleux malheur », donne le coup d’envoi à toute une série d’ouvrages publiés par différents auteurs sur le sujet. Cyrulnick, connaissait bien le problème puisqu’il mettait en quelque sorte sa propre histoire en scène. Lui dont les parents ont été exterminés dans les camps de concentration allemands et qui, caché par une enseignante, a réussi non seulement à survivre, mais à devenir un médecin célèbre pouvait donc en parler en toute connaissance de cause. Pour cet auteur, la résilience est la capacité d’un être de vivre, de réussir et de se développer en dépit de l’adversité. Selon lui, il n’y aurait pas de profil particulier de l’enfant résilient. Mais il existerait un profil d’enfants traumatisés qui auraient une aptitude à la résilience, c’est-à-dire « ceux qui ayant acquis une confiance primitive durant leur petite enfance et qui pourraient se dire : « on m’a aimé donc je suis prêt à rencontrer quelqu’un qui m’aidera à reprendre mon développement » (Régine, 2007)8. Pour que la personne blessée par la vie mette en place des mécanismes de défense psychologiques et comportementaux adaptés et bénéfiques et qu’elle trouve en elle-même les ressources nécessaires, il nous faut d’abord admettre que l’on peut se sortir de situations difficiles et même désespérées. Un traumatisme, même s’il n’est pas réversible, peut se réparer et se cicatriser, parce qu’il existe chez l’être humain des stratégies adaptatives qui l’aident à moins souffrir, à se relever et à continuer à vivre. Les conditions de la résilience Dans le courant influencé par Cyrulnick, la capacité de résilience remonte très tôt au début de la vie. Elle serait influencée par l’histoire même de l’enfant. Tout comme l’énonçait Bowlby, 6 . Erik Erikson (1950) Childhood and Society http://fates.cns.muskingum.edu/~psych/psycweb/history/erikson.htm 7 . Redl, Fritz et David Wineman (2002) L'enfant agressif tome 1: le moi désorganisé, tome 2: méthodes de réeducation. Paris, Fleurus, 8. Régine « La résilience, en psychologie : être résilient ou ne pas être…à la mode » sur Aquadesign.be : http://www.aquadesign.be/news/article-10127.php LES ESSENTIELS DE LA RÉSILIENCE Une réserve d’amour accumulée dans le jeune âge Des mécanismes de défense comme bouée de sauvetage U n e Une main tendue qui aide à survivre et à grandir T endresse, soins, satisfaction des besoins 4 celui qui a connu une réponse acceptable à ses besoins physiques, celui qui a eu la chance de recevoir un peu d’affection aurait ainsi une réserve protectrice contre le malheur où il peut puiser une certaine force de résistance à l’adversité. C’est probablement ce qui fait que l’être humain est très fort et peut atteindre des niveaux de courage parfois insoupçonnés. On peut ainsi voir des enfants abandonnés ou maltraités se construire en dépit de leur pauvre départ dans la vie et des adultes ayant connu des épreuves telles que la guerre, la violence ou la torture, se relever et poursuivre une vie utile, parfois faite de courage et de grandeur. On parle même de communautés résilientes après une catastrophe naturelle où les habitants manifestent une grande force de caractère pour faire face à l’adversité et se relever avec courage. ( Image : envirozine)9. Florence Du Cosquer résumant la pensée de Stefan Vanistendael, écrit « Les êtres uploads/Litterature/ la-resilience-1.pdf

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