G I L L E S P L A N T E B . A . C . C . L . L L . L . M . A . P H . D . LE DÉFI

G I L L E S P L A N T E B . A . C . C . L . L L . L . M . A . P H . D . LE DÉFI DE GORGIAS C E N T R E D ’ É T U D E S E N H U M A N I T É S C L A S S I Q U E S S S P, É d i t e u r ( 2 013 ) i LE DÉFI DE GORGIAS GILLES PLANTE B.A. C.C.L. LL.L. M.A. Ph.D. CENTRE D’ÉTUDES EN HUMANITÉS CLASSIQUES Éditeur : Société scientifique parallèle Inc. 4010 rue Cormier Notre-Dame-du-Mont-Carmel Québec ISBN: 978-2-921344-26-5 Dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada 1er trimestre 2013 © Gilles Plante, 28 février 2013 350, De la terrasse Saint-Étienne-des-Grès, Québec Canada G0X 2P0 ii Avant-propos Cher lecteur Selon Diogène Laërce, Parménide «voyait dans la raison le critérium du vrai [Κριτήριον δὲ τὸν λόγον εἶπε·]». Par contre, «Gorgias de Léontium appartient à cette catégorie de philoso- phes qui ont supprimé le critère de vérité», écrivit Sextus Empiricus. Depuis cette lointaine épo- que, le débat se poursuit de génération en génération. Devant le spectacle que donnent les philosophes, qui se partagent en deux camps, certains suivent l’exemple de Sextus Empiricus ; ils tournent le dos à ces «spéculations» qui, somme toute, ne conduisent nulle part, disent-ils. D’autres ne renoncent pas ; ils cherchent une solution. Ainsi fait Thomas d’Aquin : Il s'impose que nous cherchions par nous-mêmes [un dénouement] ; ou que, en ceci, nous soyons con- seillés par ceux qui le cherchent (...). Mais, comme, dans le choix de retenir ou de rejeter, l'homme ne doit pas être conduit par l'amour ou la haine de qui introduit une opinion, mais plus par la certitude de la vérité, c'est pourquoi [Aristote] dit qu'il faut aimer l'un et l'autre, i.e. ceux dont nous suivons l'opi- nion, et ceux nous rejetons l'opinion. Car, les uns et les autres étudient pour chercher la vérité, et ils nous aident en cela. Mais il nous faut encore être persuadés par les plus certains, i.e. suivre l'opinion de ceux qui sont parvenus à la vérité avec plus de certitude. (Sententia libri Metaphysicae, livre. 12, leçon 9, n° 14) Pour ma part, dans ce livre, j’ai choisi de marcher dans la voie fréquentée par ceux qui recherchent une solu- tion, sans prétendre avoir conquis la «certitude de la vérité» aussi parfaitement qu’eux, bien que je sois persuadé d’être dans la bonne voie. Et je crois opportun d’offrir cette conviction en partage à ceux qui, comme moi, ju- gent que l’étude des humanités classiques est plus que jamais nécessaire en ce siècle où la technologie, cet oracle de la nouvelle Pythie contemporaine, prétend à un triomphe dont les lendemains risquent fort de décevoir sa suite. Saint-Étienne-des-Grès, 28 février 2013 Gilles Plante iii iv C H A P I T R E 1 Un personnage important Gorgias de Léontion (483-375 avant J.-C.) naquit à Léontion (Léontinoi), ville de Sicile indiquée sur la carte ci-jointe, en cette époque où la Sicile fait partie de la Grande Grèce 1. Élève d'Empédocle d’Agrigente (490- 435 avant J.-C.) et contemporain de Socrate (470-399 avant J.-C.), il vint à Athènes en 427 ; Agrigente est également en Sicile. À Athènes, Gorgias connut une carrière de rhéteur brillante ; on lui érigea d’ailleurs une statue en or massif à Delphes. Platon (427-347 avant J.-C.), disciple de Socrate, lui a consacré un dialogue peu flatteur. Gorgias est célèbre pour son ouvrage intitulé : Sur le Non-Être ou sur la Nature. De cette œuvre, qui ne nous est pas parvenue, nous avons deux recensions. L’une fut écrite par Sextus Empiri- cus, un auteur dont la vie nous est très peu connue, si ce n’est qu’il vécut au second siècle après Jésus-Christ et qu’il écrivit, entre autres, un ouvrage intitulé : Contre les logiciens 2. L’autre recension fait partie du corpus aristoté- licien, bien que les experts jugent que l’ouvrage ne fut pas écrit par Aristote lui-même : De Mélissus, de Xénophane, et de Gorgias. La recension que Sextus Empiricus fait du Sur le Non-Être ou sur la Nature écrit par Gorgias tient en vingt-deux paragraphes (§ 65-87), courts bien que fort denses, où «le sophiste em- ploie la dialectique éléate, attentif seulement à la rigueur du raisonnement et non au conte- nu même de ses propositions» 3, écrit Jean Voilquin. Comme il est très difficile de faire la part entre ce que Gorgias, d’une part, et ce que Sextus, d’autre part, ont respectivement écrit, nous prenons le texte tel que Sextus nous le présente. À la dialectique éléate, est d’abord associé le nom de Zénon d’Élée (480-420 avant J.-C.), son «fondateur», ce qu’aurait écrit Aristote selon Diogène Laërce 4. Et le nom de Zénon est lui- même associé à celui de Parménide d’Élée (530-444 avant J.-C.) 5, maître de Zénon et auteur d’un ouvrage en vers intitulé Sur la nature 6, dont seulement des fragments nous sont parvenus ; pour Parménide : «Κριτήριον δὲ τὸν λόγον εἶπε· (Il voyait dans la raison le critérium du vrai.», dit Diogène Laërce. Dans son poème, Parménide d’Élée exprime ce «critérium» en ces termes : 5 Gorgias Sextus II.Εἰ δ' ἄγ' ἐγὼν ἐρέω, κόμισαι δὲ σὺ μῦθον ἀκούσας, αἵπερ ὁδοὶ μοῦναι διζήσιός εἰσι νοῆσαι· ἡ μὲν ὅπως ἔστιν τε καὶ ὡς οὐκ ἔστι μὴ εἶναι, Πειθοῦς ἐστι κέλευθος - Ἀληθείῃ γὰρ ὀπηδεῖ , [5] ἡ δ' ὡς οὐκ ἔστιν τε καὶ ὡς χρεών ἐστι μὴ εἶναι, τὴν δή τοι φράζω παναπευθέα ἔμμεν ἀταρπόν· οὔτε γὰρ ἂν γνοίης τό γε μὴ ἐὸν - οὐ γὰρ ἀνυστόν - οὔτε φράσαις. ...III. τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶναι. II. Allons, je vais te dire et tu vas entendre quelles sont les seules voies de recherche ouver- tes à l’intelligence ; l’une, que l’être est, que le non-être n’est pas, chemin de la certitude, qui accompagne la vérité ; [5] l’autre, que l’être n’est pas: et que le non-être est forcément, route où je te le dis, tu ne dois aucunement te laisser séduire. Tu ne peux avoir connaissance de ce qui n’est pas, tu ne peux le saisir ni l’exprimer ; [III] car le pensé et l’être sont une même chose. 7 La conclusion de la recension que Sextus Empiricus fait du Sur le Non-Être ou sur la Nature, écrit par Gorgias, est énoncée au paragraphe (87) en des termes opposés à la thèse soutenue par Parménide sur le «critérium du vrai» : (87) Τοιούτων οὖν παρὰ τῶι Γοργίαι ἠπορημένων οἴχεται ὅσον ἐπ᾿ αὐτοῖς τὸ τῆς ἀληθείας κριτήριον· (87) Telles sont, donc, les apories (ἠπορημένων) que l’on trouve chez Gorgias : pour autant qu’on s’y arrête, le critère de la vérité (ἀληθείας κριτήριον) s’évanouit. Dans notre examen de ces «apories», le texte grec que nous emploierons est celui du Die Fragmente der Vorsokra- tiker, de Hermann Diels. 8 Il existe plusieurs traductions françaises du Contre les logiciens : Louis Campos en pro- pose une bibliographie nourrie. 9 Pour notre part, nous emploierons la traduction française de Jean-Paul Du- mont. 10 6 Parménide C H A P I T R E 2 Le critère de vérité Sextus Empiricus présente Gorgias et son ouvrage comme suit : (65) Γοργίας δὲ ὁ Λεοντῖνος ἐκ τοῦ αὐτοῦ μὲν τάγματος ὑπῆρχε τοῖς ἀνηιρηκόσι τὸ κριτήριον, οὐ κατὰ τὴν ὁμοίαν δὲ ἐπιβολὴν τοῖς περὶ τὸν Πρωταγόραν. Ἐν γὰρ τῶι ἐπιγραφομένωι Περὶ τοῦ μὴ ὄντος ἢ Περὶ φύσεως τρία κατὰ τὸ ἑξῆς κεφάλαια κατασκευάζει, ἓν μὲν καὶ πρῶτον ὅτι οὐδὲν ἔστιν, δεύτερον ὅτι εἰ καὶ ἔστιν, ἀκατάληπτον ἀνθρώπωι, τρίτον ὅτι εἰ καὶ καταληπτόν, ἀλλὰ τοί γε ἀνέξοιστον καὶ ἀνερμήνευτον τῶι πέλας. (65) Gorgias de Léontium appartient à cette catégorie de philosophes qui ont supprimé le critère de véri- té. Mais ce n’est pas de la même manière que les tenants de Protagoras. Dans son livre intitulé Du non- être, ou de la nature il met en place, dans l’ordre, trois propositions fondamentales : premièrement, et pour commencer, que rien n’existe ; deuxièmement que, même s’il existe quelque chose, l’homme ne peut l’appréhender ; troisièmement, que même si on peut l’appréhender, on ne peut ni le formuler ni l’expli- quer aux autres. Comment Gorgias parvient-il à supprimer le critère de vérité ? En mettant en place trois propositions fondamentales, et ce, «dans l’ordre» suivant : premièrement, et pour commencer, que rien n’existe (οὐδὲν ἔστιν) ; deuxièmement que, même s’il existe quelque chose (εἰ καὶ ἔστιν), l’homme ne peut l’appréhender (ἀκατάληπτον ἀνθρώπωι) ; troisièmement, que même si on peut l’appréhender (εἰ καὶ καταληπτόν), on ne peut ni le formuler ni l’expliquer aux autres (ἀλλὰ τοί γε ἀνέξοιστον καὶ ἀνερμήνευτον τῶι πέλας). Comment peut-on être «attentif seulement à la rigueur du raisonnement et non au contenu même de ses propo- sitions», comme l’écrit Jean Voilquin, devant : «rien n’existe (οὐδὲν ἔστιν)» ? D’abord, soyons attentif à «οὐδὲν ἔστιν», dont une traduction littérale est : «Rien n’est.». Si on forme le uploads/Litterature/ le-defi-de-gorgias.pdf

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