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HAL Id: hal-02276253 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02276253 Submitted on 3 Sep 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution| 4.0 International License Le langage au pouvoir. Foucault, lecteur de Brisset Philippe Sabot To cite this version: Philippe Sabot. Le langage au pouvoir. Foucault, lecteur de Brisset. Phantasia, Université Saint- Louis, Bruxelles, 2019, Dossier ”Foucault et la force des mots”, p. 5-12. ￿hal-02276253￿ 1 Le langage au pouvoir. Foucault, lecteur de Brisset L’exception infirme la règle1 La réflexion qui suit porte pour l’essentiel sur le bref texte que Foucault a consacré à Jean-Pierre Brisset et qui s’intitule : « Sept propos sur le Septième ange ». Pourquoi ce texte au titre à première vue énigmatique retient-il l’attention ? Il ne s’agit après tout que d’une courte préface (en sept points dont un de présentation bio-bibliographique) à deux ouvrages de Jean-Pierre Brisset, La Grammaire logique (publié en 1878)2 et La Science de Dieu ou la Création de l’Homme (ouvrage publié en 1900 par l’éditeur Chamuel) réédités par l’éditeur Claude Tchou en 19703. Ajoutons qu’au moment où Foucault s’y est intéressé, à partir du début des années 19604, Brisset passait, tout comme Roussel d’ailleurs, pour l’un de ces excentriques, l’un de ces « fous littéraires » auquel Breton avait consacré en 1940 un chapitre de son Anthologie de l’humour noir. Dans ce chapitre (comportant une notice et des extraits de La Science de Dieu), Breton note ainsi qu’« il est frappant que l’œuvre de Raymond Roussel, l’œuvre littéraire de Marcel Duchamp, se soient produites, à leur insu ou non, en connexion étroite avec celle de Brisset, dont l’empire s’est peut-être étendu jusqu’aux essais les plus récents de dislocation poétique du langage »5. Étaient alors cités, parmi ces essais les plus remarquables, ceux de Léon-Paul Fargue, de Robert Desnos, de Michel Leiris, d’Henri Michaux et de James Joyce. C’est peut-être d’ailleurs directement dans cette Anthologie, ou bien encore dans un bref article de Queneau paru en avril 1956 dans la revue Bizarre (« La Théologie génétique de Brisset »6), que Foucault a pris connaissance du travail à la fois monumental et proprement inclassable de celui qui se présentait sur ses cartes de visite 1 Cette formule figure sur la page de couverture de la première édition de La Grammaire logique (1878). Voir infra note 9. 2 Le titre complet de l’ouvrage de Jean-Pierre Brisset, publié en 1878 par la Librairie de J.-B. de Fruchy, est La Grammaire logique, ou théorie d’une nouvelle analyse mathématique résolvant les questions les plus difficiles et traitant à fond : 1° du participe passé ; 2° du participe présent ; 3° du placement des pronoms après l’impératif ; en tout, trois règles logiques, les seules vraies et sans aucune exception, résumées en douze mots. Lors de la réédition de l’ouvrage en 1883 chez l’éditeur Ernest Leroux, le titre évolue mais réaffirme la vocation universelle du propos : La Grammaire logique, résolvant toutes les difficultés et faisant connaître par l’analyse de la parole la formation des langues et celle du genre humain. 3 Michel Foucault, « Sept propos sur le septième ange », préface à Jean-Pierre Brisset, La Grammaire logique et La Science de Dieu, Paris, Tchou, 1970, p. VII-XIX. Ce texte a été repris dans les Dits et écrits (Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1984, vol. II, texte n° 73, p. 13-25 ; ensuite cité DE, suivi des numéros de volume, de texte et de la pagination) ainsi que dans un opuscule publié en 1986 chez Fata Morgana. Dans la suite de ce chapitre, nous citerons par commodité la préface de Foucault d’après cette dernière édition, abrégée en Sept propos…, suivi de la pagination. Nous citerons les textes de Brisset d’après l’édition Tchou de 1970. Signalons pour être complet qu’une édition des Œuvres complètes de Brisset a été proposée par Marc Décimo en 2001, aux Presses du réel (collection « L’écart absolu »). 4 Un premier texte, intitulé « Le cycle des grenouilles », paraît en 1962 dans la Nouvelle Revue Française (10e année, n°114, juin 1962, p. 1159-1160). Il porte sur La Science de Dieu. Ce texte est repris in DE, I, n° 9, p. 203- 205. 5 André Breton, Anthologie de l’humour noir, Paris, Éditions du Sagittaire, 1940 ; rééd. Le Livre de poche, 1973, p. 235. 6 Cet article ainsi que la plupart des textes se rapportant à Brisset sont recueillis dans la somme que Marc Décimo a consacrée à Jean-Pierre Brisset. Prince des penseurs, inventeur, grammairien et prophète (Paris, Les Presses du Réel, « L’écart absolu », 2001). 2 comme « le septième Ange de l’Apocalypse et l’Archange de la Résurrection »7 et dont le principal titre de gloire est qu’il avait été élu « Prince des penseurs » en 1913 (recueillant plus de 200 voix sur 300, alors que M. Bergson, pourtant membre de l’Institut, n’en recueillait que 55…). Terminons cette présentation générale en soulignant que la carrière de Brisset diffère profondément de celle de Roussel, écrivain méconnu lui aussi, mais véritable obsédé de littérature, dans la mesure où elle s’égrène comme un inventaire à la Prévert ou comme une encyclopédie chinoise à la Borgès : Brisset fut en effet tour à tour apprenti-pâtissier, soldat (aux campagnes de Crimée, d’Italie et d’Allemagne), maître-nageur, officier de police judiciaire, professeur de langues vivantes 8 , grammairien, commissaire de surveillance administrative aux Chemins de fer… Nous devons nous demander alors, au-delà de ce fourmillement des étiquettes professionnelles, aussi désarçonnantes qu’amusantes par la série improbable qu’elle représente, quelle est la figure de Brisset qui retient précisément l’attention de Foucault et qui oriente sa première approche d’une œuvre pour le moins difficile à appréhender comme une totalité stable. Il semble évident de ce point de vue que l’expérience-Brisset entretient une parenté puissante avec l’expérience-Roussel9 et que la préface de 1970 constitue pour une part un prolongement de l’ouvrage de 1963, comme en témoigne l’intérêt porté au « procédé » de Brisset comparé à celui de Roussel (et à celui de Wolfson). Mais il est indéniable également que les « sept propos » de 1970 ne forment pas seulement une réplique du livre consacré à Roussel, et notamment parce que justement ces procédés diffèrent et que la production d’écriture qui en découle est d’une tout autre nature chez l’un et chez l’autre. Il importe en effet de relever que la lecture que Foucault propose des fantaisies de Brisset s’oriente résolument vers la réflexion hétérodoxe que ce dernier, qui avait des prétentions de grammairien plus que de littérateur, propose au sujet de l’origine des langues, prenant en particulier à revers les principes théoriques d’un certain savoir linguistique. Enfin, il faut se demander si la modeste préface consacrée à Brisset ne mérite pas d’être située elle-même à cette charnière du travail de Foucault qui envisage notamment les rapports du discours et du pouvoir (dans la leçon inaugurale au Collège de France, L’ordre du discours et dans les premières Leçons sur la volonté de savoir, contemporaines de la préface publiée chez Tchou). Il est possible que cette réorientation politique du propos relève d’un intérêt de plus en plus marqué pour des usages dérangeants, dissonants, du langage, venant contrarier le déploiement ordonné du symbolique et la prise de pouvoir du langage sur nos vies et nos êtres. Ce qui surgit alors au cœur de l’analyse, c’est le pouvoir du langage, à entendre comme sa puissance d’analyse des rapports de pouvoir. 7 Voir Marc Décimo, op. cit., p. 534. 8 C’est ainsi que Brisset se présente lui-même sur la page de couverture de la première édition de La Grammaire logique : « Professeur de langues vivantes, auteur d’une Nouvelle Méthode à l’usage des allemands ». Et il est ajouté juste au-dessous de cette présentation : « L’exception infirme la règle ». Cet ajout deviendra : « La Parole est Dieu » dans la seconde édition, cinq ans plus tard. 9 Au sujet de l’« expérience-Roussel », nous renvoyons à la notice introductive du Raymond Roussel [1963], in Michel Foucault, Œuvres (Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2015), I, p. 1552-1562. 3 Brisset, Roussel, Wolfson ou le langage en délire Il nous semble qu’il n’est pas besoin de savoir plusieurs langues pour sentir combien notre analyse des mots est juste ; que toutes les langues ont bien leur origine dans les premiers cris que poussèrent les êtres appelés à former le genre humain10. Reprenons les choses depuis le début et repartons de cette espèce de dispositif Roussel- Brisset tel qu’il semble se mettre en place et fonctionner chez Foucault. Il faut insister tout d’abord sur uploads/Litterature/ le-langage-au-pouvoir-foucault-lecteur-d.pdf

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