14/07/2015 Le livre et ses espaces ­ La page : entre texte et livre ­ Presses u

14/07/2015 Le livre et ses espaces ­ La page : entre texte et livre ­ Presses universitaires de Paris Ouest http://books.openedition.org/pupo/486 1/24 1 Presses universitaires de Paris Ouest Le livre et ses espaces | Alain Milon, Marc Perelman La page : entre texte et livre Valérie Lelièvre p. 155­172 Texte intégral SI LE LIVRE NE PEUT SE RÉDUIRE à son dispositif physique, on ne 14/07/2015 Le livre et ses espaces ­ La page : entre texte et livre ­ Presses universitaires de Paris Ouest http://books.openedition.org/pupo/486 2/24 1 2 3 SI LE LIVRE NE PEUT SE RÉDUIRE à son dispositif physique, on ne peut le vider de sa substance matérielle, et ainsi faire l’économie de ce qui le constitue et de ce qui lui confère son apparence. En la matière, la page est centrale, puisqu’elle a charge de supporter l’écriture. Considérant ce rectangle, il ne s’agira pas, bien sûr, de s’en tenir stricto sensu à ses aspects physiques ; une telle approche n’insufflerait que peu d’éléments à propos de cet objet qu’est le livre, pris sous l’angle de l’espace. Alors pourquoi la page ? Quel intérêt ce petit rectangle peut­il bien présenter ? Pourquoi ne pas s’en tenir à cet objet plus englobant, rassemblant les pages, qu’est le livre ? À ces questions, la Bibliothèque nationale de France a répondu par une exposition et une publication sur la page, donnant ainsi un ultime volume au triptyque consacré à l’aventure des écritures. Les deux premiers volumes sont consacrés, pour le premier, à la naissance et à l’origine des différents systèmes d’écriture, et, pour le second, aux supports de l’écriture, selon les matériaux et les formes. La page fait l’objet du troisième tome, un tome à elle seule1 ; de là, peut­on deviner qu’elle n’est pas simplement faite d’une matérialité supportant l’écriture. Page et support sont distingués : c’est dire que la page, que nous palpons et tournons selon toute habitude, dont on peut apprécier le grain et sentir le papier, ne se laisse pas seulement saisir par la main. La page supporte, à l’évidence, elle reçoit même, des signes qui nous feraient presque oublier que nous tenons un objet entre nos mains. Sans ces signes tracés à sa surface, elle peinerait bien à nous dire quelque chose, si ce n’est qu’elle est vierge. La Bibliothèque nationale de France se demande, entre autres questions, comment la page a pu donner forme à la pensée. Cela n’est pas rien, cela sonne comme une tentative de sillonner les chemins que le livre et la pensée ont empruntés tous deux. Pourquoi donc la page ? Afin de réduire le livre à un espace, celui d’une page, mais ce qui vaut pour une page vaut pour les autres, et donc pour le livre dans son ensemble. La page, parce qu’elle est l’unité du livre, en ce qu’elle relève autant du matériel que du spirituel. Parce qu’elle apparaît à notre regard, tout simplement, mais cette apparition simple 14/07/2015 Le livre et ses espaces ­ La page : entre texte et livre ­ Presses universitaires de Paris Ouest http://books.openedition.org/pupo/486 3/24 4 5 regard, tout simplement, mais cette apparition simple révèle un cadre, qui s’écrit, pense, et s’approprie. Rien de simple alors, si ce n’est que nous la tournons le plus aisément du monde. La question de la page, et de son apparition, est celle de ses limites. Son format n’est pas étranger à cette question, puisque c’est lui qui les assigne ; et les assignant, il présente au regard un cadre. Ce cadre, aux contours bien nets, – que le coupe­papier s’empresse de trancher si ce n’est pas déjà fait –, est à entendre sous des angles divers. À première vue, unité physique, le cadre n’assume pas moins une valeur spirituelle, délimitant un lieu de pensée. Si l’unité physique de la page est clairement déterminable dans le cas du codex, le volumen, lui, n’offre pas toujours le même discernement quant à cette unité, proposant davantage une continuité par l’assemblage des feuillets. Les limites bien tranchées de la page, qui la délivrent du pli, hachent le texte en blocs, offrant une unité visuelle, mais non pas nécessairement intellectuelle, car les pages suivantes perpétuent le texte. Malgré cette unité, la page n’est pas autosuffisante, elle doit être accompagnée de ses consœurs qui prennent le relais et déploient à tour de rôle un segment du livre, donc du texte. Un livre à une page n’a jamais été un livre, c’est seulement une feuille. Cette perpétuation du texte, dans le codex, au caractère accumulatif, s’éloigne fortement, en raison du pli et de la tourne des pages, de celle que le volumen présentait selon un défilement continu et une juxtaposition de colonnes. Le bloc de texte reste toujours de rigueur, la succession de colonnes perdure quel que soit le support, mais la page offre au regard un double cadre dans le sens d’une adéquation entre le texte et la page. De sorte que le cadre proposé par le codex n’est pas ajustable comme celui du volumen : l’espace de lecture du codex est prédéfini, déjà formaté et réglé ; celui du volumen dépendait de la manière dont on le déroulait. Cette valeur spirituelle du cadre prend tout aussi bien une tournure esthétique, étant un terrain propice à l’apparition de l’œuvre, un dénominateur commun à toutes les formes artistiques. Cadrer pour créer : l’enjeu est de taille : faire surgir une forme de l’informe. 14/07/2015 Le livre et ses espaces ­ La page : entre texte et livre ­ Presses universitaires de Paris Ouest http://books.openedition.org/pupo/486 4/24 6 7 surgir une forme de l’informe. Soit, mais n’a­t­elle pas non plus une valeur anthropologique, devenant par là une notion proprement humaine, définissant la place de l’homme dans son environnement ? Le cadre participe bien de ce quadrillage du territoire auquel s’adonne l’homme. Le livre ne déroge pas à cette règle culturelle qui veut que l’homme s’approprie l’espace dans lequel il se meut ; et la page n’est pas étrangère à la terre cultivée, striée, à l’espace géographique régi par une orientation et une organisation faisant sens. L’étymologie, qui n’intervient pas ici pour prouver quoi que ce soit, peut cependant introduire une question qui découle de celle des limites, à savoir la propriété. D’une origine terrestre2, le terme « page » est à considérer à trois reprises. Pagina, la page renvoie à la treille étagée, aux rangées de pieds de vigne fichés en terre. Pagus, elle se fait bourg, espace humanisé en bordure de sillons, de champs cultivés. Pango, elle « fiche en terre », « plante » et « met des bornes ». Trois racines pour un espace qui d’emblée ne peut esquiver la géométrisation, la régularité et la répétition des lignes, des colonnes, des angles droits et des limites. Cette géométrisation, issue d’une volonté politique, est supposée répondre au fantasme d’emprise et de maîtrise du monde. Le livre se dote d’artifices conçus pour mener le lecteur de la première à la dernière page, selon un double rapport d’horizontalité et de verticalité, prétendant guider l’œil le long des lignes. Créer des repères afin d’éviter tout égarement, pour déterminer un point d’ancrage ou une orientation, autant que pour apprivoiser le temps – l’ancrage spatial est corrélatif à l’ancrage temporel : la page est donc, davantage qu’une terre, un territoire que l’homme s’évertue à s’approprier. Appropriable, la page devient un objet de métamorphose ; elle l’est, non pas seulement à la mesure de l’espace qu’elle met en scène, mais surtout à la mesure de l’homme. Approprier est à entendre en ce double sens de rendre convenable à un usage et de s’attribuer la propriété (s’approprier). Même en tant que support, le livre est un objet physique particulier. Et encore, il ne l’est pas seulement en tant 14/07/2015 Le livre et ses espaces ­ La page : entre texte et livre ­ Presses universitaires de Paris Ouest http://books.openedition.org/pupo/486 5/24 8 9 10 particulier. Et encore, il ne l’est pas seulement en tant qu’objet, mais en tant qu’il permet au texte d’être, de surgir à la surface de la page. La configuration de la page est très éloquente à ce propos, trahissant un rapport de propriété entre l’écriture, l’espace et l’homme. Le format de la page apparaît le plus universellement possible comme un rectangle, qu’il se présente dans le sens de la hauteur – ce qui est le plus fréquent – ou de la longueur – appelé format à l’italienne. Des cas de formats différents sont recensables dans l’histoire du livre – en forme de cœur par exemple ; du reste, ce ne sont que des artifices, ayant une valeur purement esthétique, et n’ayant pas d’autre justification que la fantaisie, de sorte qu’il est peu envisageable qu’ils s’imposent comme cadre de référence – on se doute même qu’ils n’apporteraient pas grand­chose au texte. Le cadre de référence est ainsi rectangulaire. Le rectangle semble être la forme la plus appropriable qui soit. Prenons l’exemple du miroir, s’il peut aussi bien être ovale que rectangle, c’est qu’il épouse d’une certaine manière la forme uploads/Litterature/ le-livre-et-ses-espaces-la-page-entre-texte-et-livre.pdf

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