LE NÉANT CONTRIBUTION À L’HISTOIRE DU NON-ÊTRE DANS LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE

LE NÉANT CONTRIBUTION À L’HISTOIRE DU NON-ÊTRE DANS LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE É P I M É T H É E ESSAIS PHILOSOPHIQUES Collection fondée par Jean Hyppolite et dirigée par Jean-Luc Marion Sous la direction de Jérôme Laurent et Claude Romano LE NÉANT Contribution à l’histoire du non-être dans la philosophie occidentale Ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre P R E SS E S UN IV E R S IT A IR E S D E F R A N C E Index des traducteurs Parménide : Annick Stevens ; Leucippe et Démocrite : Pierre-Marie Morel ; Gor- gias : Marie-Laurence Desclos ; Platon : Jérôme Laurent ; Aristote : Louis-André Dorion ; Les Stoïciens : Valéry Laurand ; Alexandre d’Aphrodise : David Lefèbvre ; Plotin : Laurent Lavaud ; Proclus : Alexis Pinchard ; saint Augustin : Emmanuel Ber- mon ; Denys l’Aréopagite : Jean-Luc Marion ; Frédégise de Tours : Christophe Eris- mann ; Jean Scot Érigène : Pedro Calixto ; saint Anselme : Rémy de Ravinel ; saint Bonaventure : Marc Ozilou ; Maître Eckhart : Julie Casteigt ; Nicolas de Cues : Pedro Calixto ; Duns Scot : Vincent Aubin ; Alsted : Christophe Cervellon et Xavier Kieft ; Angelus Silesius : Roger Munier ; Gaffarel : Frédéric Gabriel ; Leibniz : Michaël Devaux ; Kant : Claude Romano ; Hegel : Philippe Grosos ; Schelling : Alexandra Roux et Pascal David ; Carnap : Antonia Soulez. Ouvrage publié avec le concours de l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV). Équipe d’accueil 3552 : métaphysique, histoires, transformations, actualité ISBN 978-2-13-058248-9 Dépôt légal — 1re édition : 2006, juin 2e édition © Presses Universitaires de France, 2006 6, avenue Reille, 75014 Paris David Lefebvre ; , 2e tirage : 2011, mai AVANT-PROPOS Le présent livre n’est ni une anthologie, ni un dictionnaire du néant. Il s’est agi pour nous d’indiquer certaines étapes décisives dans l’histoire du non-être en marge de l’histoire de l’être1. Comment en vient-on, en un sens opposé, mais de prime abord tout aussi paradoxal, à identifier l’être et le non-être chez Hegel et Heidegger ? Il a fallu en premier lieu accepter que le non-être fût « en quelque façon », ce qui est pensé par des philoso- phes aussi différents que Démocrite, Platon ou Proclus. Il a fallu ensuite que le non-être (ou le non-étant pour reprendre la distinction grecque – qui n’est pas opposition – entre tq mQ un et tq mQ einai) fût pensé de façon polysémique et ce dans une typologie qui se retrouve d’Aristote jusqu’à Kant. Le non-étant se dit de multiples façons : contraire de l’être, faux, vide, être en puissance, privation, être de raison, non-être suressen- tiel... Ces différents sens apparaissent dans les textes ici traduits, le plus souvent de façon inédite en ayant essayé de proposer – à de très rares exceptions près – des traductions unifiées pour le vocabulaire de l’être et 1. Dans la collection « Épiméthée », à la suite de P. Aubenque (Le problème de l’être chez Aristote, 1962), O. Boulnois (Être et représentation, 1999), V. Carraud (Causa sive ratio, 2002) J..Fr. Courtine (Suarez et le système de la métaphysique, 1990) et J.-L. Marion (Sur le prisme métaphy- sique de Descartes, 1986) ont particulièrement souligné l’importance d’une « histoire de la méta- physique » attentive à ses tournants, à ses ruptures et à sa patiente constitution. du non-être (ainsi un et ens sont traduits par « étant », ¤ppstasiV par « sub- sistance », §parxiV par « existence »1, mPden par « rien », nihil par « néant »). Le choix des auteurs retenus et des textes présentés nous a contraints à des renoncements : pourquoi Proclus et non Damascius2 ? Maître Eckhart et Nicolas de Cues et non Bérulle ou Bovelles3 ? Schelling et non pas Fichte4 ? essentiellement à cause de la logique même du choix, qui est d’exclusion. Le grand rationalisme est sans doute le grand absent de ce recueil : ni Descartes, ni Malebranche, ni Spinoza. Mais la pensée clas- sique ne dit-elle pas le plus souvent que « le néant n’est point objet de la pensée »5 ? De même sont laissées de côté les approches du néant – telles celles de Schopenhauer, Kierkegaard ou Nietzsche –, qui ont éclairé la question sans qu’il s’agît alors au premier chef du problème de l’être et du non-être. Le volume s’achève par le dialogue de Carnap et de Heidegger qui, non seulement revient sur l’interrogation initiale de Parménide et de Platon : « Est-il légitime de parler du non-étant ? », mais constitue en outre un moment décisif, en ce qu’il signe à maints égards l’acte de rup- ture entre « philosophie analytique » et « philosophie continentale ». Tous nos remerciements vont à Vincent Aubin, Olivier Boulnois, François Calori, Michel Corbin, Pascal David, Matthieu Guyot, Michel Fichant, Élise Mar- rou, Antonia Soulez et Thomas Vidart pour l’aide qu’ils nous ont apportée. 8 LE NÉANT 1. Il y a une part d’arbitraire dans un tel choix, tant la tradition variera pour les traductions latines d’§parxiV et d’¤ppstasiV. « Subsistentia », subsistance, traduit le premier terme sous la plume de Scot Érigène (traduction des Ambigua de Maxime le Confesseur) et le second sous celle de Marius Victorinus (Adversus Arium, II, 4). Athanase d’Alexandrie, au IVe s., tient ces ter- mes pour équivalents : « T g1r ¤ppstasiV kaa T o£sBa §parxiV CstB. CEsti g1r kaa ¤p0rcei (en effet l’ “hypostase” et la “substance” sont “existence” [exsistentia, trad. latine dans Migne], car elles sont et existent » (PG, XXVI, col. 1036). Nous avons donc suivi l’usage des traducteurs pour le grec ancien, sans donner au terme « existence » de signification originale (l’ex-sistere de ce qui vient à l’être) comme on peut en trouver dans les premiers écrits de théologie trinitaire (voir l’étude de V. Carraud, « L’invention de l’existence : note sur la christologie de Marius Vic- torinus », Quaestio, 3, 2003, p. 3-25). 2. Voir l’édition, récemment achevée, du Commentaire du Parménide de Platon par J. Com- bès et L. G. Westerink, Paris, Les Belles Lettres, 4 vol., 1986-2003. 3. Voir notamment Le livre du néant, texte et traduction par P. Magnard, Paris, Vrin, 1983. 4. Voir par exemple la première leçon de l’Initiation à la vie bienheureuse. 5. Fénelon, De l’existence de Dieu, deuxième partie, chap. 13. PRÉFACE § 1. Recherchant l’origine de nos erreurs, Descartes écrit dans les Méditations métaphysiques : « Si je me considère comme participant en quelque façon du néant ou du non-être (quodammodo de nihilo, sive de non ente, participo) c’est-à-dire en tant que je ne suis pas moi-même le souverain être (summum ens), je me trouve exposé à une infinité de manquements. »1 Par là, Descartes reprend la pensée platonicienne, suivie par Plotin et saint Augustin, selon laquelle l’erreur et la faute ont leur condition de possibilité dans un certain non-être, un non-être auquel il y a participa- tion2. N’est-ce pas là cependant une étrange hypothèse qu’il y ait un de nihilo sive de non ente participare ? comment, en effet, imiter ou se partager ce qui n’est pas ? comment même y avoir rapport puisque le terme supposé est précisément hors de l’être, hors de la présence, le seul terme qui soit, semble-t-il, imparticipable ? Il est très clair que la position d’un summun ens, Dieu en l’occurrence, implique eo ipso la position d’un ens qui ne soit pas suprême et par là même l’existence d’un certain non ens. L’homme, mais aussi les anges, participent au néant ; car certains anges, avant l’homme, ont chu (on lira, par exemple, le traité Sur la chute du diable de 1. Méditation quatrième, AT, IX, 43, latin, AT, VII, 54. 2. La République cherche au livre V « ce qui participe à la fois de l’étant et du non-étant » (tq 3mfot@rwn met@con, to¢ einai te kaa mQ einai) (478 e). saint Anselme dont un extrait est présenté plus loin). Le Prince des ténè- bres et ses légions correspondent théologiquement à cet écart entre l’étant suprême et les étants dérivés et imparfaits. Une telle probléma- tique ne suppose pas nécessairement l’horizon créationniste de la théo- logie judéo-chrétienne, puisque mutatis mutandis le rapport de l’3rBsth o£sBa qu’est le Premier Moteur selon Aristote1 aux autres o£sBai, est celui d’un amoindrissement de l’être et de son acte : tout ce qui n’est pas la pensée parfaite se pensant elle-même, l’acte pur éternel, est à la fois acte et puissance, devenir, étant et non-étant2. Alexandre d’Aphrodise le dit de façon imagée : « Le non-étant est, pour ainsi dire, parsemé (pares- parm@non) dans les étants. » Or, de telles semences de néant ne nous ren- dent pas seulement « exposés à une infinité de manquements » selon les termes de Descartes. Le présent ouvrage n’est pas fait de « pages arra- chées au livre de Satan » pour reprendre le titre du film de Carl Dreyer... Car penser le néant n’est pas lui vouer un culte, ni uploads/Litterature/ le-neant-mep-indd-3-25-03-10-11-33.pdf

  • 81
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager