Le pacte autobiographique Philippe Lejeune (1975) Philippe Lejeune = un auteur

Le pacte autobiographique Philippe Lejeune (1975) Philippe Lejeune = un auteur qui a consacré toute son œuvre à l’autobiographie : L’Autobiographie en France (1971), Le Pacte autobiographique (1975), Je est un autre (1980)… Autobiographie : le genre majeur du XXe siècle (actuellement, celui qui regroupe le plus de textes) x il a été longtemps méprisé et considéré comme non-littéraire (c’est seulement en 1842 que l’Académie française accepte le terme « autobiographie »). XXe siècle : banalisation et démocratisation totale de l’autobiographie (Kundera écrit dans Le Livre du rire et de l’oubli : on entrevoit « le jour prochain où chacun écrira son autobiographie que personne ne lira. ») Lejeune s’intéresse à l’espace européen depuis 1770 (avant, la notion d’autobiographie n’est pas selon lui identique à la notion actuelle) : intérêt pour Rousseau, Sartre et Leiris Il prend comme point de départ la position du lecteur (autobiographie = un genre constitué autant par l’écriture que par la lecture). Comment définir l’autobiographie ? (Le rapport entre le roman autobiographique et l’autobiographie = le problème crucial de la critique actuelle.) On est souvent dans le flou, on parle des textes « plus ou moins » autobiographiques… « De même que le roman utilise couramment la forme épistolaire, et la forme du journal intime, il se sert abondamment, depuis le XVIIIe siècle, du récit personnel. Comment distinguer l’autobiographie du roman autobiographique ? Il faut bien l’avouer, si l’on reste sur le plan de l’analyse interne du texte, il n’y a aucune différence. Tous les procédés que l’autobiographie emploie pour nous convaincre de l’authenticité de son récit, le roman peut les imiter et les a souvent imités. » Définition finalement retenue par Lejeune : Autobiographie = Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. Cette définition comprend des éléments appartenant à quatre catégories différentes : 1) Forme du langage : a) récit b) en prose ( x contre-exemple : Chêne et chien de Raymond Queneau est une autobiographie en vers) 2) Sujet traité : vie individuelle, histoire d’une personnalité 3) Situation de l’auteur : identité de l’auteur (dont le nom renvoie à une personne réelle) et du narrateur 4) Position du narrateur : a) identité du narrateur et du personnage principal b) perspective rétrospective du récit Les genres voisins ne respectent pas toutes ces catégories : Mémoires (il manque le point 2 : les mémoires sont consacrés à des bouleversements historiques auxquels l’écrivain a assisté, l’intérêt social y prime sur l’intérêt pour l’individu : Joinville s’intéresse à la septième croisade et aux exploits historiques de saint Louis plus qu’à lui-même, Saint-Simon ridiculise Louis XIV et son règne, Chateaubriand retrace l’Europe après les guerres napoléoniennes, le général de Gaulle définit la mission historique de la France) : toujours un enjeu idéologique ou politique. x Rousseau, lui, écrit une autobiographie (en mettant l’accent sur les détails de sa vie privée). Même les Mémoires de Casanova sont en fait plutôt une autobiographie, et non pas de véritables « mémoires ». Souvent, il est difficile de distinguer exactement entre les genres : Si c’est un homme de Primo Lévi, Récits de Kolyma de Varlan Chalamov, L’Écriture et la vie de Jorge Semprun... (autobiographie ou mémoires ?) Notamment les témoignages de ceux qui ont survécu à des camps de concentration sont problématiques : le héros parle de lui-même x le récit témoigne des horreurs de l’histoire. Historiquement issue des mémoires, l’autobiographie bénéficie aujourd’hui d’une grande indépendance x il est parfois difficile de trancher dans des cas concrets. Biographie (elle ne respecte pas le point 4a) : on écrit sur quelqu’un d’autre (forme historiquement plus fréquente : des hagiographies jusqu’aux biographies des stars actuelles). Roman personnel (il ne respecte pas le point 3) Poème autobiographique (il ne respecte pas le point 1b) : exemples : Nicolas Boileau, Raymond Queneau… Journal intime (il ne respecte pas le point 4b) : On l’écrit au jour le jour (une autre perspective que si nous présentions une vision globale de notre vie passée) : l’intérêt pour les détails, souvent éphémères, le but de saisir la réalité immédiatement : « le journal vise à l’inessentiel, à l’inconstant, au dérisoire » (Pendant longtemps, les journaux n’étaient pas destinés à être publiés : le destinateur égalait le destinataire, un peu à l’instar de la tradition médiévale des « exercices de piété » : tous les jours, le fidèle récapitule ses manquements et analyse son comportement). Autoportrait ou essai (ils ne respectent pas les points 1a et 4b) : - Ils privilégient la modalité « être » à la modalité « faire » (à la différence de l’autobiographie qui se présente souvent comme un récit d’apprentissage diachronique, comme l’histoire d’un héros en perpétuelle mutation qui ne cesse d’agir et d’évoluer, l’autoportrait est destiné à saisir la personnalité de l’auteur dans une perspective synchronique, statique et immuable : qui suis-je ?) - Il s’agit de confronter ses expériences pour en tirer des conclusions générales : notation rapide d’une pensée susceptible d’être modifiée (souvent une dimension moraliste ou pamphlétaire de l’essai) : La Rochefoucauld, La Bruyère... La détermination du genre est toujours une question de proportions et de hiérarchie (les différents éléments doivent être prépondérants) x deux contraintes doivent forcément être respectées : 3 et 4a (Une identité « est » ou il « n’est pas » x il n’y pas de degrés possibles dans une autobiographie). Équation générale : narrateur = auteur = personnage En général, les autobiographies s’écrivent à la première personne du singulier. x La troisième personne du singulier est également possible : orgueil, majesté (César, le général de Gaulle), humilité (autobiographies religieuses anciennes : narrateur = serviteur de Dieu) ou distance ironique (The Education of Henry James par Henry James). Autres cas d’autobiographies rédigées à la troisième personne du singulier : Souvenirs pieux (1974) et Archives du Nord (1977) de Marguerite Yourcenar. Mélange de la première et la troisième personnes : Nous (1972) de Claude Roy, Roland Barthes par Roland Barthes, L’Amant (1984) de Marguerite Duras (glissement de « elle » à « je » lors de la rencontre avec le Chinois sur le Mékong). Quelques rares cas de la deuxième personne : Alain Bosquet écrit son Enfant que tu étais (1982) à la deuxième personne du singulier. Il se parle ainsi à lui-même. (Un peu comme les narrateurs classiques qui parlaient aux jeunes qu’ils avaient été : dialogue avec soi-même par-dessus des décennies.) L’identité de l’auteur est à cheval entre le monde réel et la littérature : il est simultanément une personne réelle, socialement responsable, et le producteur d’un discours : « Peut-être n’est-on véritablement auteur qu’à partir d’un second livre, quand le nom propre inscrit en couverture devient le « facteur commun » d’au moins deux textes différents et donne l’idée d’une personne qui n’est réductible à aucun de ses textes en particulier, et qui, susceptible d’en produire d’autres, les dépasse tous. » Auteur = un nom de personne, identique, assumant une suite de textes différents Souvent, les auteurs optent pour une double identité pour séparer l’homme réel de l’homme de plume (Julien Gracq x Louis Poirier) – une sorte de seconde naissance (à la littérature) comme chez une nonne qui entre dans les ordres. À partir du moment où l’auteur donne à son personnage un autre nom, il ne s’agit plus d’une autobiographie (Claudine n’égale pas Colette). Colette = pseudonyme d’une personne réelle x Claudine = nom d’une héroïne fictive Le pacte est ici rompu (même si le lecteur peut trouver des parallèles entre les vies des deux) : « Aurait-on toutes les raisons du monde de penser que l’histoire est exactement la même, il n’en reste pas moins que le texte ainsi produit n’est pas une autobiographie : celle-ci suppose d’abord une identité assumée au niveau de l’énonciation, et tout à fait secondairement, une ressemblance produite au niveau de l’énoncé. » Dans ce cas, il s’agit non pas d’une autobiographie, mais d’un roman autobiographique (texte de fiction où le lecteur soupçonne à partir de certaines indications l’identité de l’auteur et du personnage, alors que l’auteur la nie ou du moins ne la mentionne pas). À la différence de l’autobiographie, le roman autobiographique comporte des degrés (d’un vague « air de famille », jusqu’à une ressemblance totale). La biographie, elle, ne comporte pas de degrés : c’est tout ou rien ! Ce qui distingue l’autobiographie d’un roman autobiographique est la conclusion d’un PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE = affirmation dans le texte de l’identité de l’auteur et du personnage (confirmée par le nom de l’auteur figurant sur la couverture). On parle aussi d’un « pacte de lecture » (influence de l’école de Constance). Généralement, le public semble ajouter plus de crédit à un récit autobiographique (vérité, authenticité) Rousseau : « ... on est toujours très bien peint lorsqu’on s’est peint soi-même, quand- même le portrait ne ressemblerait point. » Une autobiographie assumée peut être « fausse » (ne correspodant pas à la réalité référentielle) et un roman autobiographique peut uploads/Litterature/ le-pacte-autobiographique.pdf

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