Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée Abû Bakr R. Al 'Arabi, grand

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée Abû Bakr R. Al 'Arabi, grand cadi de Seville Vincent Lagardère Citer ce document / Cite this document : Lagardère Vincent. Abû Bakr R. Al 'Arabi, grand cadi de Seville. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°40, 1985. Al-Andalus - Culture et société. pp. 91-102; doi : 10.3406/remmm.1985.2096 http://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1985_num_40_1_2096 Document généré le 07/06/2016 R.O.M.M., 40, 1985 - 2 ABU BAKR B. AL CARABI, GRAND CADI DE SEVILLE par V. LAGARDERE La meilleure illustration de la nature du Grand Cadi, de sa formation, sa nomination, son audience religieuse et culturelle demeure Abu Bakr b. al-cArabr, l'un des jurisconsultes les plus attachants de cette génération d'hommes de Loi, vivant sous l'autorité almora- vide. Sa vie, son œuvre abondante, dont peu d'ouvrages nous sont parvenus, mais aussi l'influence qu'il exerça sur des centaines de disciples, justifie l'étendue de cette biographie. Témoin de l'évolution culturelle de son temps, il essaiera de familiariser les juristes andalous et maghrébins aux question complètement étrangères à leurs études habituelles : les doctrines Saficites, a°sarites, hanafites, la controverse et la discussion philosophique, doctrines que les andalous n'étaient pas habitués à discuter ou à traiter. Il parviendra, non sans mal, à vaincre leur réticence à adopter les différents systèmes des maîtres célèbres et les ouvrages de Hadït que rapportaient certains andalous de leur séjour en Orient. Cette aversion de l'étude des Usûl al-dïn et autres matières philosophiques, demeurera implantée dans le fond des âmes des fuqahâ', jusqu'à l'introduction des œuvres de Gazâlfet l'apparition du courant almohade. I. Sa vie et ta formation littéraire et juridique. Abu Bakr Muhammad b. cAbd Allah al-Ma°àfirï"b. al-cArabr naquit à Seville le jeudi 22 ïefban 468, d'une grande famille de dignitaires abbadites. Son père cAbd Allah b. Munammad b. cAbd Allah b. Ahmad b. Muhammad b. cAbd Allah al-Ma°âfin (Dïbâg, 281, Dabbr, 128 n°891) était l'un des jurisconsultes de la ville, membre de son assemblée consultative, dignitaire du pouvoir abbadite. Il avait suivi dans son pays les enseignements d'Abû cAbd Allah b. Manzûr et d'Abû Muhammad b. Hazrag", et à Cordoue ceux d'Abû cAbd Allah Muhammad b. cAttâb et d'Abû Marwân b. SirSg". Son fils Abu Bakr b. al- cArabr effectue sa première formation auprès de son père et de son oncle maternel Abû- 1-Qâsim al-Hasan al-Hawzanî {Analectes, 1, 478) qui entretiendra de bonnes relations avec Yûsuf b. Tâ3fïh, laissant augurer du rôle politique joué par son neveu lors de la reconnaissance du gouvernorat almoravide par le califat abbasside. Il eut comme professeur particulier Abu cAbd Allah d-Saraqustï (cAwâsim, 11). «Dès l'âge de neuf ans, j'étais très versé dans le Coran. J'ai ensuite acquis une parfaite connaissance du Coran, des sciences de la langue arabe et des mathématiques. Parvenu à mes seize ans, je pouvais lire parmi les diverses lectures, une dizaine d'entre elles... Je m'étais familiarisé avec les significations rares, la poésie, la linguistique » (1). Au cours de cette période de sa vie, al-Andalus commence à s'ouvrir aux Usûl al-fiqh (Méthodologie du Droit). Jeune étudiant, Abu Bakr b. al-cArabr voit un jour un libraire proposer à son père et en présence de l'un de ses maîtres, des ouvrages d'al-Samnâm et 92 V. Lagardère d'al-BâgT (Rihla, 59-92). Toutes les personnes présentes s'accordèrent à observer qu'on avait là des ouvrages considérables qu'al-BâgT avait rapportés d'Orient à son retour en Andalus vers 439. Et tous également de regretter que les juristes andalous de leur époque fussent dans l'incapacité d'en saisir la valeur réelle. Ces ouvrages intéressaient en premier lieu la méthodologie du Droit, mais aussi le hitàf et le katàm abrite (2). La situation familiale s' étant profondément détériorée au moment de la chute des Abba- dites et de l'installation du gouvernement almoravide, son père décide d'effectuer le pèlerinage en sa compagnie, bien qu'au dire de ce dernier, ce ne soit pas là le seul motif de ce départ : «Nous ne pouvions plus demeurer dans notre pays... Poussés par la nécessité, nous le quittâmes, sous les quolibets de nos ennemis» (Dîbâ£, 281; Rihla, 61). Ces réflexions et bien d'autres, témoignent que ce voyage fut un moyen de délivrance, permettant d'échapper à l'instabilité politique engendrée par la chute de l'état abbadite. Alors qu'il avait dix-sept ans, Abu Bakr b. al-cArabî s'embarque le dimanche du début de la nouvelle lune de rahf 1 485, en direction de l'Ifriqrya. Si tel était l'objectif du père, celui du fils demeurait la recherche de la science : «Si tu as l'intention d'effectuer le pèlerinage, réalise ton vœu, moi je ne suis désireux d'aborder ce pays que pour y aprendre la science qui s'y trouve. Je considère cela comme un congé scientifique et un moyen d'accéder aux divers degrés de la connaissance» (Qanûn, fol. 140). Abu Bakr b. al-cArabr nous retrace dans l'introduction de son Qanûn al-ta'wïl, les diverses étapes de sa formation, avant qu'il ne décide de suivre son père en Moyen-Orient. Une première étape fut donc consacrée à l'apprentissage du Coran jusqu'à l'âge de neuf ans, suivie d'une deuxième, comprenant l'acquisition des connaissances fondamentales de la langue arabe, dont le kifâb al-wadih d'Abû Bakr Muhammad b. al-Hasan al-Zubaydl (316-379/928-989) (Kahhala, IX, 198-199) et le kifâb allumai d'Abd al-Rahmân b. Ishâq al-Zag^âgT (Rihla, 71), les deux livres d'Abû Gacfar Ahmad b. Muhammad al-Nahhâs (338/950) (Kahhala, II, 82-83), le kifâb al-usûlfi l-nabw de Muhammad b. ai-Sun b. Sahl b. al-Sirâg (316/929) (Ribla, 72, n.l; Kahhâla, X, 19). Il étudie 'l'ouvrage d'Abû-l-cAbbâs al-Timâlr, avant d'aborder l'œuvre de Sîbawayh (Qanun, fol. 137; Dabln, 92-99 n°179). De plus il aborde l'étude de la poésie arabe : les dïwâns d'Imrû-1-Qays, de Nâbiga, de cAn- tara, de Zuhayr, de parafa, ainsi qu'Abû Tammâm et al-Mutannabr (Qanun, fol. 137) et d'autres ouvrages de linguistique qu'il serait trop long d'énumérer. Suivit l'initiation aux sciences mathématiques. Ce programme d'enseignement ne devait guère différer de ce qui était entrepris en Andalus à cette époque. Ibn al-cArabr conseillera cependant à ses disciples de débuter par l'enseignement de la langue arabe et de la poésie, avant de poursuivre par les mathématiques et l'étude du Coran. Cette première étape franchie, l'étudiant pouvait aborder la méthodologie du droit et du Hadïtj et appliquer ces sciences à l'ensemble des versets du Coran. L'originalité de ce programme éducatif consiste dans le fait de retarder l'apprentissage du Coran, en le plaçant après l'acquisition de la langue arabe et des mathématiques : «Combien nous sommes négligents en Andalus, en faisant apprendre aux enfants le Livre de Dieu dans leur prime jeunesse, alors qu'ils le lisent sans le comprendre» (Qanun, fol. 180). Ayant quitté Seville, le père et le fils se dirigent vers Malaga, Grenade avant d'atteindre Almeria (Rihla, 74-75). Abu Bakr b. al-cArabr n'oubliait pas, durant ce laps de temps, de rencontrer les savants andalous résidant dans ces trois villes. A Alméria, il rompt ses liens avec l'Andalus pour entreprendre un long voyage dont la première étape fut Bougie. Son père et lui-même descendent dans un caravansérail connu sous le nom de Hàn al-sultàn. «J'ai rencontré dans cette ville un groupe de savants en Masâ'tl [Questions juridiques] dont le maître, Muhammad b. cAmmâr al-Kaiai al-Mayûrqï", est verse en hadït, questions juridiques et littérature» (3). Abu Bakr B. Al cArabi 93 Ce savant pratiquait les Fondements de la religion à la manière d'al-BâgT. Ils furent reçus par al-Qâsim b. cAbd al-Rahmân, chef de la région militaire de Bougie, qui leur servit de guide et les questionna sur leur condition, l'objet de leur voyage et le chemin qu'ils comptaient emprunter. Abu Bakr b. al-cArabr lui révéla qu'il avait suivi l'enseignement de cAli b. cAbd al-Rahmân b. Mahdr al-Tanûhr, grand linguiste et littérateur de Seville. Au cours de ce séjour, il étudie l'ouvrage de traditions d'Abû Dâwûd, selon la transmission qu'en fit Muhammad b. Bakr b. Muhammad cAbd al-Razzâq al-Tammâr. De Bougie, tantôt par voie de mer, tantôt par voie de terre, ils remontent vers Bône (Qariûn, fol. 138), Tunis, Sousse et Mahdya. Quelle ne fut pas la joie d'Abû Bakr b. al- cArabr de pouvoir enfin rencontre les savants ifriqiyens. D fait connaissance à Mahdya de Ylrriâm Abu cAbd Allah Muhammad b. cAll al-Mâzan al-Tamfmr (453-536) et d'un groupe de compagnons d'Abû-1-Qâsim cAbd al-Hâliq b. cAbd al-Warit al-Suyûrï" al- QayrawânT (460- ?), ascète engagé dans la voie mystique (4), ainsi qu'un certain nombre de jurisconsultes de Kairouan, dont Ibn Habib, Hassan, al-LabujT, Abû-1-Hasan b. al-Haddâd (5) spécialisés dans les lectures coraniques, Yadab et la théologie dogmatique. Notre sévil- lan se met à l'étude des fondements de la religion en compagnie des étudiants fréquentant les cercles de ces maîtres. Leur voyage se poursuivait par l'embarquement sur un bateau en partance pour le Higaz (Qanûn, fol. 139; Nubâhr, 105). A proximité de Barqa, la tempête brise le navire jetant à la mer nos deux andalous qui furent repêchés dans un piteux état : «Nous émergeâmes de la mer comme des morts d'une tombe». Souffrant de la faim et des Banû Kacab b. Sulaym, n'abusant pas de l'hospitalité de l'émir de cette tribu, ils se dirigent vers le Caire (Qanûn, fol. 139-140). uploads/Litterature/ remmm-0035-1474-1985-num-40-1-2096.pdf

  • 21
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager