Passages de Paris 16 (2018) 86-106 www.apebfr.org/passagesdeparis LE SPECTACLE
Passages de Paris 16 (2018) 86-106 www.apebfr.org/passagesdeparis LE SPECTACLE DANS UNE MODERNITÉ PÉRIPHÉRIQUE. LA « DÉCADENCE » DU THÉÂTRE BRÉSILIEN DANS UN CONTEXTE GLOBAL (XIXe SIECLE-ANNÉES 1920) Daniel N. POLLETI* Jean-Claude YON** Résumé : Dans cet article, nous cherchons à faire une critique de l¶historiographie sur le thpktre brpsilien entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, notamment en ce qui concerne le traitement accordé au thème de la « décadence » du théâtre national, une obsession dans les textes écrits par les hommes de théâtre de l¶ppoque. Pour nous, au lieu de discuter si la scène locale était ou non en déclin, ce discours peut servir comme un point de départ pour une histoire sociale et culturelle du thpktre de l¶ppoque. Ici, en particulier, nous voulons montrer que le discours sur la décadence doit rtre compris dans le contexte d¶un marché théâtral de plus en plus international. Mots-clés : Théâtre ; Brésil ; Première République brésilienne ; Rio de Janeiro ; Culture ; Mondialisation. Resumo : Neste artigos, nós procuramos fazer uma crítica à historiografia sobre o teatro brasileiro entre o fim do século XIX et começo do XX, especialmente no que se refere ao tratamento dado à questão da ³decadrncia´ do teatro nacional, uma obsessão nos escritos dos homens de teatro da época. Para nós, ao invés de discutir de a cena local estava ou não em declínio, esse discurso pode servir como um ponto de partida para uma história social e cultural do teatro da época. Aqui, particularmente, nós queremos mostrar que o discurso da decadência deve ser entendido no contexto de um mercado teatro cada vez mais internacional. Palavras-chaves: Teatro, Brasil, Primeira República, Rio de Janeiro, Cultura, Mundialização. Ceux qui étudient le théâtre brésilien entre la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle se verront forcément confrontés au discours de la « décadence du théâtre national ». Ce déclin supposp est une obsession des hommes de thpktre et de lettres de l¶ppoque. Beaucoup de textes sont écrits à ce sujet, et à chacun ses raisons et ses « coupables » : on critique le bas niveau des productions nationales, la faiblesse de la formation des artistes, l¶immoralitp sur les planches ; on montre du doigt les impresarios et les directeurs, qui cherchent du profit facile sans se soucier de la qualité esthétique du spectacle, ainsi que les écrivains, qui s¶abandonnent au comique populaire en qurte de succqs facile ; on ne cesse de dénoncer le trop grand nombre de compagnies européennes qui visitent le pays en tournée et qui imposent une concurrence déloyale aux compagnies nationales, pauvres * Doctorant au Centre d¶Histoire Culturelle des Sociptps Contemporaines (CHCSC) de l¶Universitp de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / Université Paris-Saclay. ** Professeur des universités. Centre d¶Histoire Culturelle des Sociptps Contemporaines (CHCSC) de l¶Universitp de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / Université Paris-Saclay. POLLETI e YON / Passages de Paris 16 (2018) 86±106 87 et mal préparées du point de vue technique ; on regrette la négligence du gouvernement, qui n¶aide pas les artistes nationaux« Bref, il s¶agit d¶un critique multiforme, parfois contradictoire, qui domine la manière de penser la scqne brpsilienne j l¶ppoque. Les histoires du thpktre brpsilien qui seront pcrites postprieurement n¶pchapperont pas j cette question. Dans un premier temps, les travaux qui apparaissent jusqu¶aux annpes 1980 ± des histoires panoramiques, basées plutôt sur la littérature dramatique et écrites, pour la plupart, par des professionnels du milieu théâtral ± auront tendance à reproduire le discours de la décadence, s¶insprant ainsi dans la continuitp de ce qui ptait dit par les agents de l¶ppoque. Déjà en 1903 nous trouvons les lamentations de Henrique Marinho, pour qui « le théâtre brésilien travers[ait] la plus afflictive des crises. Sa décadence [n¶avais pas apparu à ce moment-là], elle [venait] du second empire. » (MARINHO, 1903, p. 105). Pour l¶historien de la littprature erico Vertssimo, le verdict est sans appel : « produit du romantisme, le théâtre brésilien est fini avec lui. » (VERÍSSIMO, 1998, p. 366) Moins intransigeant est Décio de Almeida Prado, pour qui « le théâtre progressait comme entreprise commerciale, dépensait des dizaines et parfois centaines de contos dans une seule production, les compagnies se multipliaient, mais, malgrp cela, l¶ppoque semble pauvre comparpe j l¶antprieure. » (PRADO, 1955, p. 265) Une vision un peu plus optimiste est offerte par Sábato Magaldi, qui, même s¶il n¶arrive pas à affirmer la vitalité de la scène nationale, soutient que sa situation n¶est pas si différente de celle dans le reste du monde : Il est encore commun l¶affirmation, quand on cherche des critqres absolus ou quand on fait des comparaisons avec les meilleures réalités européennes et nord- américaines, que le thpktre brpsilien n¶existe pas. Quelques pièces de valeur isolées ne forment pas une littérature dramatique, ni peuvent viser la citoyenneté universelle. [«] Si cette vision pessimiste ne mprite pas d¶être accusée de frivole ou gratuite, elle a le défaut de méconnaitre la perspective historique et surtout la situation du théâtre dans tout le monde. (MAGALDI, 1962, p. 9) Une approche en tout point opposée caractérise les travaux académiques à partir des années 1990. Avec le développement du système universitaire brésilien et la multiplication des programmes de troisième cycle, une nouvelle génération de chercheurs va regarder le théâtre brésilien aux alentours de 1900 d¶une faoon diffprente. Maintenant, l¶attention se tourne vers les genres dits « populaires », surtout le théâtre comique et la revue. Dans ce nouveau contexte, la « décadence » supposée du théâtre national est rejetée comme ptant le discours d¶une plite cosmopolite et francophile qui méprise le produit national. Cependant, si les histoires du théâtre brésilien jusqu¶aux annpes 1980 ont tendance à reproduire le discours des hommes de l¶ppoque sans le questionner, nous ne croyons pas que l¶historiographie plus récente soit plus critique en ce qui concerne cette question en particulier sur la décadence. Parfois, la récupération du théâtre « populaire ª assume le caractqre d¶une lutte de classes : Considérée par une critique aussi prétentieuse que remplie de préjugés ± toujours disposée à étiqueter le théâtre léger, plus proche du peuple, moins sympathique aux élites, comme art mineur, dans la dramaturgie théâtral ± la revue a vaincu POLLETI e YON / Passages de Paris 16 (2018) 86±106 88 beaucoup d¶pminences de la plume qui ont fait un faux pas face à sa technique propre, son rythme, sa dynamique et la connaissance indispensable de sa charpente et de son sens d¶ensemble. (RUIZ In VENEZIANO, 1991, p. 12) Les critiques contre la situation du théâtre brésilien ne seraient que des préjugés de la part d¶une plite cosmopolite, comme pour Claudia Braga, pour qui Du point de vue de notre formation culturelle, depuis les temps de l¶Empire, était sous-jacent au concept de civilisation des publics brpsiliens le m\the de l¶prudition européenne et la tendance à la dépréciation, de la part de nos élites, du produit national. (BRAGA, 2003, p. 6) Pour Adriano de Assis Ferreira, l¶plite ne supporte pas que le peuple envahisse « son » espace : Les agents dès lors cherchent une production qui valorise le spectacle au détriment du texte pour un public plus large et hétérogène que la seule élite intellectuelle carioca, public qui assiste en bon nombre et semble satisfait. Mais ce processus déplait à la critique, compospe presque exclusivement par l¶plite intellectuelle, qui n¶est plus sa cible préférentielle, et dès lors elle le décrit comme la décadence ou la fin du « vrai » thpktre. Son opinion, toutefois, n¶a pas de pénétration sociale et interfère peu dans les applaudissements des « ignorants ». (FERREIRA, 2013, p. 36-37) Ainsi, la négation de la « décadence du théâtre national » se traduit, d¶un c{tp, presque exclusivement par des attaques contre l¶© élite » qui, j l¶extrrme, est taxée de racisme : Claudia Braga affirme que « notre élite ne pardonnait pas le fait que nous sommes métissés » (BRAGA In FARIA, 2012, p. 404). De l¶autre c{tp, nous trouvons un regard bienveillant, voire idéaliste, envers le « peuple » et la culture « populaire ». Dans cette historiographie, tout ce qui était dit par les agents est ignoré et le simple commentaire d¶un certain nombre de productions et genres par le chercheur contemporain suffit pour affirmer l¶intprrt et la vitalité du théâtre de l¶ppoque. Le discours de la dpcadence n¶est objet d¶aucune problématisation de fond et prévaut une approche très impressionniste de la situation du spectacle brésilien de ces années-là. Quelques historiens s¶intpressent j l¶engouement du public ± comme Fernando Antonio Mencarelli, qui écrit que « on parle de dpcadence du µthpktre national¶ quand les salles sont remplies » (MENCARELLI, 2001, p. 67) ou Ângela Reis et Daniel Marques, pour qui « s¶il ptait rpcurrent l¶idpe selon laquelle la fin du XIXe siècle aurait été une période de µdpcadence¶ du théâtre national, cette idée contrastait avec l¶intense mouvement dans les théâtres à cette époque » (REIS et MARQUES In FARIA, 2012, p. 321) ± mais aucun donnée n¶est fournie j l¶appui de ces affirmations. Cette critique de l¶historiographie sert de point uploads/Litterature/ le-spectacle-dans-une-modernite-peripherique-la-decadence-du-theatre-bresilien-dans-un-contexte-global-xixe-siecle-annees-1920.pdf
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- Publié le Mai 25, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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