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????????????????????????????? 209 IV. L’écrivain et les médias Qui (se) joue de l’autre ? Depuis l’invention de l’imprimerie à la fin du XVe siècle, le développement et la diffusion de la littérature demeurent, de façon privilégiée, tributaires d’un objet : le livre. Jusqu’à récemment, ce dernier a constitué le principal support de transmission du littéraire et, partant, de l’écriture des textes (c’est en fonction de ce support que les auteurs écrivent). Pendant plusieurs siècles, cette prérogative est presque incontestée, bien que l’activité littéraire ne se soit jamais réduite à ce vecteur : faisaient notamment concurrence aux livres les mises en scène du théâtre ou encore les pratiques orales (contes, salons). Reste cependant que le livre est apparu comme le principal objet- symbole de la littérature, celui qui permettait de la faire connaître, aussi bien son patrimoine que ses productions contemporaines, en les inscrivant dans l’espace de la bibliothèque. Dès le premier tiers du XIXe siècle, à la faveur de l’industrialisation progressive de la civilisation occidentale, plusieurs mutations technologico-médiatiques transforment les conditions de production, de diffusion et de conservation non seulement de l’écriture, mais aussi de la parole et de l’image des écrivains. En quelques décennies, l’on assiste à une reconfiguration du paysage culturel des sociétés modernes, qui les font entrer de plain-pied dans une ère médiologique nouvelle. Selon une histoire ponctuée par l’appa- rition de la presse et de la photographie au XIXe siècle, de l’enregistrement audio, de la radio et du cinéma durant la première moitié du XXe siècle, et enfin de la télévision et de l’informatique durant la seconde moitié du XXe siècle, la médiatisation ne fait qu’étendre son emprise sur le secteur culturel, à une vitesse sans cesse accrue. La littérature s’en trouve affectée en profondeur, car ces nouveaux médias remettent en question les formes traditionnelles, et jusque-là largement perçues comme immuables, de la condition d’écrivain. Les réactions qu’induisent ces mutations vont de l’enthousiasme pour ces nouveaux moyens, qui permettent de toucher un plus large public et confèrent ainsi un impact plus retentissant à la parole des écrivains, à la défiance, dans la mesure où les pouvoirs dont semblent dotées ces nouvelles techniques sont susceptibles de mettre en cause la portée en même temps que la valeur du littéraire. Dans ce contexte en constante mutation, nombre d’écrivains témoignent d’une fascina- tion, faite de répulsion et/ou d’attrait, pour les « autres » du langage écrit1, en particulier pour l’image et le son. Des premières formes de presse quotidienne au développement du World Wide Web en passant par la photographie, le phonographe, la radio, le cinéma, la télévision et l’informatique, les principales innovations techniques qui marquent l’histoire cultu- relle du XIXe siècle à nos jours n’ont eu de cesse de pousser plus loin des modalités de mise en présence de l’audio-visuel : de l’image fixe de la photographie à l’interactivité et à l’intermédialité démocratisées sur le Web. Tout se passe comme s’il s’agissait de Écrivains: modes d’emploi. De Voltaire à bleuOrange 210 conduire la médiatisation – le caractère de moyens de ces outils – jusqu’à sa démédiati- sation, de façon à donner lieu à une présence plus vraie que nature. L’audio-visuel tranche avec l’identité médiologique traditionnelle du fait litté- raire. D’une part, il ne relève pas de façon principale de la chose écrite. En outre, la plu- part de ces médias ne sont généralement pas envisagés comme des arts à part entière, exception faite du cinéma, et, dans une certaine mesure, de la photographie. Devant ces nouvelles techniques d’enregistrement, supports d’archivage et modes de diffusion non seulement de leur travail, mais aussi de leur figura publique que constituent la presse, la radio, la télévision et internet, les écrivains ont un statut double : ils sont les objets de ces nouvelles formes médiatiques, qui les mettent en scène, mais dans le même temps, celles-ci constituent un nouvel environnement pour leur travail, aussi inquiétant qu’ex- citant, en fonction duquel ils sont tenus de se positionner. Presse Dès le milieu du XIXe siècle, en ce qui concerne le monde francophone, l’ap- parition de la presse quotidienne, acte de naissance de ce qui deviendra la « civilisation du journal2», transforme en profondeur le champ littéraire, qui se voit investi par des impératifs économiques dont il se pensait jusqu’alors relativement préservé. Dans un premier temps, le contingent des journalistes est issu d’autres sphères d’activité, la politique, le droit, mais, surtout, la littérature. Nombre d’écrivains se font journalistes, tant pour des raisons pécuniaires que par ambition de toucher un plus large public, à une époque où la pratique n’est pas encore professionnalisée. Cependant, à l’instar de Balzac – à l’avant-garde du combat pour le droit d’au- teur 3 – et Dumas, quelques écrivains commencent à (bien) vivre de leur plume, et cer- tains vont jusqu’à fonder leurs propres journaux (Dumas encore, avec Le Mousquetaire). Cette commercialisation de la chose littéraire contribue à instituer, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, un clivage entre une « production de masse », ayant pour finalité le profit, et une « production restreinte », qui rejette des contraintes commerciales et aspire à la reconnaissance d’un public choisi4. Dans cette optique, certains fustigent le compromis du littéraire avec la presse : Balzac, pourtant l’un des premiers à tirer profit de la diffusion du roman dans les journaux, établit dans Illusions perdues un parallélisme entre prostitution et presse, tandis que Sainte-Beuve parle de « littérature industrielle ». Corollairement, le développement de ces nouvelles formes (et de ces nouveaux rythmes) de publication génère l’apparition de pratiques discursives inédites, voire de nouveaux genres. Parfois éphémères, ceux-ci résultent des contraintes formelles comme des nouvelles possibilités des nouveaux médiums. L’exemple le plus connu, concernant la presse, est incontestablement celui du roman-feuilleton, qui doit son développement à la nécessité dans laquelle se trouvent les directeurs de journaux d’attirer et de fidéliser leur lectorat. L’idée vient ainsi à Émile de Girardin de faire figurer en bas de page – le « feuilleton » – un roman en épisodes paraissant quotidiennement. Le succès remporté par le genre, en dépit des querelles qu’il suscite5, est indéniable, et nombre de grands romans du XIXe siècle seront d’abord publiés sous cette forme avant d’être repris en 211 volume. En même temps que cette transformation significative du travail d’écriture et sa professionnalisation au sein du journal, la littérature se voit ainsi modifiée dans ses formes. Il est évident que le découpage en épisodes détermine le rythme de la narration – fréquents alinéas, les auteurs étant payés à la ligne – et que les finalités de ce mode de diffusion – la fidélisation – supposent un art du suspense survenant en particulier à la fin de l’épisode du jour. D’autres genres, comme le poème en prose, se développent au sein du journal, notamment chez Baudelaire, avant d’acquérir leurs lettres de noblesse en étant rassemblés, en recueil, dans un volume6. On peut également songer à l’entretien, quoiqu’il ne constitue pas une forme spécifiquement littéraire, puisqu’il peut être le fait d’hommes politiques, de vedettes, etc. La vocation commerciale de la presse en fait un lieu promotionnel par excel- lence, que certains ne manqueront pas de mobiliser à cette fin. Ainsi de Zola, qui, familier des affiches, assure avec Jules Laffitte une campagne de lancement de Nana dans Le Voltaire à travers des effets d’annonce et des prépublications du nouveau roman, mais aussi des offres promotionnelles : un exemplaire de L’Assommoir est par exemple offert pour tout abonnement au journal 7. Certains adoptent des stratégies plus conquérantes, au point de faire de la publicité un mode de création et de diffusion à part entière. Ce faisant, ils suivent l’invitation de Blaise Cendrars, qui affirme que « la Publicité Est La Fleur De La Vie Contemporaine » dans « Publicité = Poésie ». De même, le surréaliste bruxellois Paul Nougé détourne les slogans publicitaires dans le projet « La publicité transfigurée », qui consiste à faire se déplacer des hommes-sandwichs avec des slogans poétiques sans aucune finalité publicitaire. Progressivement, la professionnalisation du métier de journaliste modifie le sta- tut de l’écrivain : le premier a le monopole du contact « direct » avec le réel dont il rend compte, tandis que le second se réserve le domaine de l’imagination et de l’esthétique. Dans le même temps, des écrivains aspirent à se dégager de leur nouveau costume trop étroit et à suivre eux aussi « le mot d’ordre du vécu »8. Certains écrivains font double profession d’écrivains et de journalistes, en particulier les reporters, figures héroïques de l’entre-deux-guerres, comme Kessel, qui fait rêver tant d’écrivains. En intégrant des images, grâce aux évolutions de la technique photographique notamment, à l’espace- page du journal et des magazines, la presse gagne en effet encore en efficacité. Photographie L’invention de l’« écriture de la lumière » en 1839 change la façon de voir le monde et interroge la manière de le rendre. Elle participe à un changement de « régime de visibilité »9. En tant qu’outil de reproduction fidèle, elle affecte l’identité du littéraire via la question du réalisme en particulier. uploads/Litterature/ lecrivain-et-la-presse-combine.pdf
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- Publié le Apv 18, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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