Lecture analytique 10 Extrait d' Enfance , dernier tiers du livre Parcours Réci
Lecture analytique 10 Extrait d' Enfance , dernier tiers du livre Parcours Récit et connaissance de soi Les Mots du chagrin Maintenant c’est le moment… je le retarde toujours… j’ai peur de ne pas partir du bon pied, de ne pas bien prendre mon élan… je commence par écrire le titre… « Mon premier chagrin »… il pourra me donner l’impulsion… Les mots parmi lesquels je me suis posée ne sont pas mes mots de tous les jours, des mots grisâtres, à peine visibles, assez débraillés… ces mots-ci sont comme revêtus de beaux vêtements, d’habits de fête… la plupart sont venus de lieux bien fréquentés, où il faut avoir de la tenue, de l’éclat… ils sont sortis de mes recueils de morceaux choisis, des dictées, et aussi… — Était-ce des livres de René Boylesve, d’André Theuriet ou déjà de Pierre Loti ? — En tout cas ce sont des mots dont l’origine garantit l’élégance, la grâce, la beauté… je me plais en leur compagnie, j’ai pour eux tous les égards qu’ils méritent, je veille à ce que rien ne les dépare… S’il me semble que quelque chose abîme leur aspect, je consulte aussitôt mon Larousse, il ne faut pas qu’une vilaine faute d’orthographe, un hideux bouton les enlaidisse. Et pour les relier entre eux il existe des règles strictes auxquelles on doit se conformer… si je n’arrive pas à les retrouver dans ma grammaire, si le moindre doute subsiste, il vaut mieux ne pas y toucher, à ces mots, en chercher d’autres que je pourrai placer dans une autre phrase où ils seront à une place appropriée, dans le rôle qui leur convient. Même mes mots à moi, ceux dont je me sers d’ordinaire sans bien les voir, lorsqu’ils doivent venir ici acquièrent au contact des autres un air respectable, de bonnes manières. Parfois je glisse ici ou là un mot rare, un ornement qui rehaussera l’éclat de l’ensemble. Souvent les mots me guident dans mes choix… ainsi dans ce premier chagrin, le « bruissement sec » des feuilles d’automne que nous froissions en courant, en nous roulant dessus, mon petit chien et moi, m’ont fait, après avoir hésité, préférer pour nos jeux dans le jardin de mes grands-parents l’automne au printemps… — Pourtant « les pousses tendres et les bourgeons duveteux » étaient bien séduisants… — L’automne l’a emporté et je ne l’ai pas regretté… n’y ai-je pas trouvé « la douceur des rayons d’un soleil pâle, les feuilles d’or et de pourpre des arbres… ». Les codes couleur correspondent au plan des parties du texte étudié Problématique : Nous montrerons comment Nathalie Sarraute retrace l'écriture autobiographique Axe 1 : Les préparatifs de l'écriture 1) La décision d'écrire est présentée comme un moment crucial : – Phrases courtes, marquées par des points de suspension : « C'est le moment... ». C'est comme si la narratrice retenait son souffle au départ d'une course. – Champ lexical du départ d'une course : « j'ai peur de ne pas partir du bon pied, de ne pas bien prendre mon élan », « l'impulsion ». – Métaphore de l'écriture comparée à l'élan enfin effectué : « Puis je commence ». Le titre noté est le départ de la course + présent de narration : la narratrice actualise dans son présent d'adulte un souvenir d'enfance. La narratrice raconte, comme si elle était encore enfant, une ancienne anecdote d'écriture qu'elle présente comme un événement littéraire palpitant. 2) L'évocation de l'arrivée parmi les mots : à peine la narratrice a-t-elle entamé sa course qu'elle est déjà arrivée chez les mots – Métaphore de l'atterrissage : « Les mots parmi lesquels je me suis posée... » La narratrice arrive, comme par magie, dans une réception littéraire de qualité, organisée par les mots eux-mêmes. – Métaphore des mots présentés comme de beaux hôtes bien habillés : notations mélioratives : « mots revêtus de beaux vêtements, d'habits de fête, venus de lieux bien fréquentés, où il faut avoir de la tenue, de l'éclat ». Les mots sont personnifiés. Ils sont comparés à des hôtes de marque. L'enfant qu'était la narratrice (et qui est devenue l'auteure) veut bien les observer pour ensuite bien les choisir dans la relation qu'elle établira avec eux = Goût pour la belle langue. – Antithèse entre le titre de la rédaction : « le premier chagrin » pour lequel on attendait des mots tristes (« grisâtres », « à peine visibles », « assez débraillés » donc langue négligée sous le coup de l'émotion) et les mots ici présentés, dont il est fait un véritable portrait ; des mots de fête, avec beaux atours. Ces mots bien apprêtés, c'est le processus de l'écriture qui, quel que soit le sujet, est assimilé à un moment festif, éclatant, une réception de qualité où les mots sont les hôtes et la narratrice, la convive. Axe 2 : Le processus de l'écriture 1 Le dialogue avec soi : La narratrice entame un dialogue avec elle-même pour connaître davantage les mots qu'elle emploie – Références aux ouvrages de René Boylesve, écrivain du début du XXème siècle dont l’œuvre est inspirée par les souvenirs d'enfance, André Theuriet, écrivain du XIXème siècle dont l’œuvre est essentiellement poétique et lyrique, Pierre Loti, écrivain du XIXème siècle très connu pour ses récits exotiques. Le point commun de tous ces ouvrages est la mémoire, l'évasion, l'expression du Moi. – Un dialogue inséré dans le récit d'enfance sans verbe introducteur : il s'agit d'une partie de la narratrice qui répond à une autre part d'elle-même = dédoublement du Moi ; délibération. – Question rhétorique, sans réponse qui montre que l'inspiration littéraire est variée, d'ordre universel. Écrire sur soi ne consiste pas à écrire uniquement à partir de soi. Écrire sur soi, c'est puiser ses références chez d'autres. 2) Le dialogue avec les mots : Le dialogue de la narratrice avec elle-même met en valeur la relation de cette même narratrice avec les mots La narratrice répond à la question qu'elle s'est elle-même posée et elle explique sa réponse par la relation qu'elle entretient avec les mots – Métaphore filée des mots comme hôtes de marque que la narratrice, paradoxalement, habille, prépare dans cette réception alors qu'elle y avait été intronisée dans le paragraphe précédent : notations mélioratives comme « élégance », « grâce », « beauté + personnification de ces mots dans le sentiment que la narratrice éprouve pour eux : elle se plaît « en leur compagnie », elle a pour eux « tous les égards qu'ils méritent », elle veut leur donner « un air respectable et de bonnes manières ». La narratrice, après avoir été bien reçue par les mots, leur confère toutes les règles d'élégance, de savoir-vivre et de bonne conduite. Renversement de situation : c'est elle qui devient l'hôtesse de qualité, de simple invitée, elle devient celle qui organise la réception des mots, la fête littéraire. – Champ lexical du paraître associé au champ lexical de la règle linguistique : Paraître : « S'il me semble que quelque chose abîme leur aspect », allusion à un « hideux bouton » qui pourrait enlaidir leur visage, « un air respectable », « de bonnes manières », « un ornement qui rehausse l'éclat ». Règle linguistique : « mon Larousse », « ma grammaire », « une vilaine faute d'orthographe », « les relier entre eux », « des règles strictes auxquelles on doit se conformer », « en chercher d'autres que je pourrai placer dans une autre phrase », auxquels je pourrai « donner une place appropriée ». – Définition de l'écriture autobiographique selon Sarraute : Les mots doivent bien paraître, être des hôtes de marque, c'est-à-dire obéir à une grammaire, une langue, une syntaxe impeccables. C'est donc l'enfant-écrivain (Sarraute l'auteure et la narratrice du récit) qui les place, les apprête. En vérité, c'est elle la véritable hôtesse de ces mots, qui les invite – bien qu'elle ait l'impression d'être accueillie par eux – afin que ceux-ci accueillent bien le lecteur ultérieurement. L'écriture autobiographique est surtout un travail stylistique marquant le souci littéraire de l'écrivain, qui consiste davantage à bien écrire que d'être emporté par des sentiments. Plutôt que de se laisser aller dans une expressivité confuse, débraillée, l'écrivain doit se donner comme objectif celui de maîtriser son expression personnelle. Telle est la morale littéraire de Nathalie Sarraute. Axe 3 : Le résultat de l'écriture autobiographique, une œuvre de fiction 1) Les mots définissent le choix de la fiction – Présent de vérité générale : « Souvent, les mots me guident dans mes choix ». Métaphore et personnification des mots assimilés à des guides qui orientent l'enfant-écrivain dans les choix thématiques et stylistiques qu'elle va faire. – Ces mots créent une vraisemblance : éveil sensoriel, auditif et tactile, marqué par « le bruissement sec des feuilles dans le jardin des grands-parents en automne » pendant les jeux du chien fictif et de l'enfant qui y « couraient », s'y « roulaient ». Cette sensation aiguille l'enfant-écrivain vers une autre sensation en opposition uploads/Litterature/ lecture-analytique-texte-10-de-nathalie-sarraute.pdf
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- Publié le Jul 12, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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