Lecture linéaire Zone Né en 1890 et mort en 1918, Apollinaire est chronologique
Lecture linéaire Zone Né en 1890 et mort en 1918, Apollinaire est chronologiquement comme artistiquement une charnière, un pont de la culture classique à un renouvellement moderne. Poète français du début du XIXe siècle, Guillaume Apollinaire se forme rapidement une culture fondée sur les mythes gréco- latins, médiévaux puis rhénans. Il se lie d’amitié avec des peintres cubistes comme Picasso, qui ensembles vont s’inscrire dans une démarche de renouveau artistique. Dans Alcools, en 1913, son premier recueil poétique, il mêle éléments d’un monde ancien et nouvelles conceptions de la création artistique. Le poème Zone ouvre l’œuvre, bien qu’il fût le dernier composé. Il sert à inscrire le reste des poèmes dans sa démarche moderne. Des vers 1 à 8, le poète évoque des thèmes liés au passé et à la modernité européenne. Des vers 9 à 14, traite de vie quotidienne. Enfin des vers 15 à 24, l’auteur décrit une rue industrielle. La modernité de l’écriture poétique est d’abord sensible par la forme du texte, découpé en trois monostiches, suivis d’un tercet, d’un huitain et d’un neuvain. Cette disposition ne correspond à aucune forme poétique conventionnelle. Cela indique la démarche de l’auteur qui s’affranchit des règles classiques. L’originalité est aussi présente de par l’absence de ponctuation, qu’Apollinaire juge « inutile ». Le texte devient alors libéré de césures et c’est au lecteur de délimiter les unités de sens, qui deviennent alors poreuses et malléables. Le poème débute de manière contradictoire, l’antithèse « fin / ancien » (v1) instaure dès le premier vers cette relation contradictoire entre passé et modernité qui s’opposent. On notera que le recueil s’ouvre sur une idée de fin : on entrevoit la démarche moderne qui prend place. La tour Eiffel, emblème parisien de la transformation de la société, est personnifiée en « Bergère » (v2) qui garderait un « troupeau des ponts » (v2). On l’imagine lasse d’un environnement qui évolue lentement et continuellement. Cette idée de lassitude est évoquée clairement au v3, avec l’expression familière figée « tu en as assez » qui renvoie l’agacement à son niveau le plus banal. Le ton s’éloigne alors de l’expression lyrique classique des sentiments. L’omniprésence de l’ancien est rendue par l’isotopie de ce thème : « monde ancien » (v1), « antiquité grecque et romaine » (v3), « anciennes » (v4), « antique » (v7), qui par sa récurrence devient étouffant. On comprend alors l’agacement du poète face à cet antique qui enveloppe tout son environnement. Malgré cette aversion apparente pour les choses passées, une fait exception, la religion. Le parallélisme « la religion seule est restée toute neuve la religion est restée simple comme les hangars de port aviation » (v5-6) avec la comparaison à un élément moderne, des hangars, permet d’insister sur le caractère intemporel d’une religion qui ne vieillit pas. Cette modernité est même renforcée par une litote « tu n’es pas antique » (v7) et un superlatif « le plus moderne » (v8) qui mettent en exergue la supériorité du christianisme par rapport aux autres héritages anciens qui sont pour lui les restes d’une époque révolue. Pourtant cette religion parait rejetée par une forme de pression sociale, matérialisée par l’hypallage « toi que les fenêtres observent la honte te retient » (v9) qui associe les fenêtres aux regards de ses contemporains et à leur jugement, qui semble alors critique quant au christianisme. La personnification allégorique du sentiment de honte lui confère une force physique réellement puissante et capable d’agir sur le réel. La vie moderne est ensuite décrite. Elle est vive et rapide, en effet l’énumération « les prospectus les catalogues les affiches » accumule des termes au pluriel, sous forme d’asyndète, ce qui accélère le rythme et souligne l’abondance. Ces papiers sont colorés et l’on imagine qu’ils foisonnent dans un tourbillon étourdissant d’images et d’informations. Le lecteur est presque agressé à l’annonce des différents modes de consommation de la littérature quotidienne. La parataxe, qui supprime les liens entre les propositions, donne l’impression que la liste ne finit jamais, on a « la poésie », la « prose », « les jounaux »(v12), « les livraisons », « les aventures policières » (v13), les « portraits des grands hommes » et « mille titres divers »(v14). La modernité est l’ère du foisonnement littéraire, une période de prospérité artistique. Le poète livre ensuite un témoignage personnel, qui reste assez vague, sur le mode de l’anecdote. L’usage du passé composé y participe « j’ai vu », « j’ai oublié »(v15), de même que la modalisation de l’indéfini avec le déterminant « une », et la proposition subordonnée « dont j’ai oublié le nom »(v15). Le ton est informel, presque familier, l’auteur s’éloigne de la conception traditionnelle de la poésie, qui se veut l’héritage d’Orphée. Le quotidien devient un thème poétique avec la métaphore in praesentia « du soleil elle était le clairon » (v16). Ce procédé habituel en poésie permet de hausser le banal au niveau du sublime, de se détourner des sujets habituels pour explorer de nouvelles conceptions. Des éléments de descriptions très factuels sont donnés par l’auteur : les périphrases « les directeurs », « les ouvriers », « les belles sténo-dactylographes » (v17), des compléments circonstanciels de temps et de fréquence : « du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour » (v18). Ces éléments ordinaires, communs, sortent une fois de plus du cadre habituel de la poésie. La rue est agitée, les sens sont en alerte : « la sirène y gémit » (v19), « une cloche rageuse y aboie » (v20), la modernité est rugissante et fougueuse, et cette scène traduit un élan vital et créateur semblable à la démarche d’Apollinaire. Le poète associe la « grâce » à « cette rue industrielle » (v23), ce qui pourrait sembler oxymorique, mais est tout à fait assumé ici. La nouveauté, et les transformations esthétiques qui l’accompagnent sont synonymes d’une bouffée d’air pour Apollinaire, qui expérimente des méthodes nouvelles. Ainsi, le poème liminaire du recueil Alcools en donne le ton. Bouleversant les traditions poétiques tant dans sa forme que dans les sujets traités, Apollinaire expérimente de nouvelles manières de concevoir et de créer la poésie. Eminent critique d’art, Apollinaire définira dans une de ses lettres le surréalisme, courant artistique de déconstruction du réel et d’embrassement des rêveries de l’inconscient et des intuitions. Ce mouvement s’inscrit dans la continuité de sa démarche et comptera quelques uns des plus célèbres artistes du XXe siècle, Dali, Miro, Ernst… Commentaire Plan I- Un poème moderne dans de nombreux aspects a. Dans la forme de l’écriture (ponctuation, mise en page, variation de personne) b. Dans l’esthétique (éléments visuels et sensoriels modernes) c. Dans les thématiques (description du quotidien, détails de la banalités) II- La peinture de la modernité a. Une modernité féconde (énumérations, effervescence, abondance) b. Une modernité fascinante (éléments modernes admirés, mise en valeur métaphore, grâce industrielle) III- La modernité face à l’ancien monde a. Lassitude / agacement de l’ancien face à un modernisme exacerbé (antithèse/isotopie/personnification Eiffel) b. L’intouchabilité de la religion intemporelle (litote / superlatif/parallélisme) uploads/Litterature/ lecture-lineaire-zone-alcools-apollinaire.pdf
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- Publié le Fev 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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