Ce volume a été conçu sous la direction de Michel Simonin. Bibliothèque classiq
Ce volume a été conçu sous la direction de Michel Simonin. Bibliothèque classique JEAN DE LÉRY Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil (1578) 2e édition, 1580 TEXTE ÉTABLI, PRÉSENTÉ ET ANNOTÉ PAR FRANK LESTRINGANT Précédé d'un entretien avec Claude LÉVI-STRAUSS Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre LE LIVRE DE POCHE Frank LESTRINGANT, professeur de littérature française de la Renaissance à l'Université Charles-de-Gaulle de Lille, est aujourd'hui l'un des meilleurs spécialistes de la littérature des Grandes Découvertes. Il a en particulier consacré de nombreux articles et un livre, Le Huguenot et le Sauvage (Paris, Klincksieck, 1990), aux tentatives coloniales de la France en Amérique à l'époque des guerres de Religion. Son dernier ouvrage publié est Le Cannibale, grandeur et décadence (Perrin, 1994). SUR JEAN DE LERY Entretien avec Claude LÉVI-STRAUSS © Librairie Générale Française, 1994 pour l'Entretien, la Preface et les Notes. — Dans Tristes Tropiques, lorsque vous rapportez votre découverte de Rio de Janeiro, un jour de mars 1935, l'une de vos premières pensées s'adresse à Jean de Léry. Il me semble même que vous l'évoquez avec soulagement, comme si la lecture de son livre vous avait réconforté. « Je foule l'Avenida Rio- Branco, écrivez-vous, où s'élevaient jadis les villages Tupinamba, mais j'ai dans ma poche Jean de Léry, bréviaire de l'ethnologue. » Puis, au long de plusieurs pages, vous racontez l'aventure brésilienne de Jean de Léry, l'épisode de Villegagnon, et vous concluez en qualifiant /'Histoire d'un Voyage faict en la Terre du Brésil de « chef-d'œuvre de la littérature ethnographique ». Vous êtes assez précis sur le contenu même du texte ; en revanche vous ne donnez aucune indication sur la manière dont vous avez été amené à le découvrir. Hasard ? Lecture d'un autre livre renvoyant à lui ? Conseil d'un ami ou d'un maître ? — Honnêtement, je ne sais plus... — Vrai de vrai ? — Je vous assure. — Ça n'est pas la réminiscence d'une lecture ? Par exemple un souvenir des pages que Montaigne consacre aux Cannibales ? — Montaigne ? Certainement pas. Comme vous le savez, il ne cite jamais le nom de Jean de Léry. Il aurait donc 6 Histoire d'un voyage en la terre du Brésil fallu que je dispose d'une édition savante, sérieusement annotée. A l'époque, je lisais les Essais dans une édition ordinaire. Non, j'ai vraiment oublié. Mais c'est normal, et vous allez comprendre pourquoi. En 1934, décidé à me lancer dans le travail ethnographique, j'avais demandé à partir pour faire du terrain... sans fixer de destination particulière. On m'aurait proposé la Nouvelle Calédonie ou l'Afrique, j'aurais accepté. Le hasard a voulu que ce soit le Brésil, un pays dont je ne connaissais rien. J'ai donc rassemblé de la documentation, et comme j'ai toujours eu un goût marqué pour les commencements, j'ai voulu savoir ce qu'il en était de son histoire, de sa découverte et des péripéties de la colonisation. Probablement est-ce à cette occasion, tandis que j'entreprenais mes premières recherches à la bibliothèque du Musée de l'Homme, que j'ai trouvé une référence à Léry et que je me suis mis à le lire. — Donc ce n'est pas un événement notable qui vous porte à cette découverte ? Juste la banale préparation d'une documentation... — Exactement. — Comment comprendre votre formule : « Jean de Léry, bréviaire de l'ethnologue » ? Vous voulez dire qu'il éduque le regard ? Qu'il apprend à voir autrement les êtres et les choses ? — Ce livre est beaucoup plus et beaucoup mieux que cela. Que demande-t-on à l'ethnologue qui est allé sur le terrain ? De nous rendre vivants des êtres et perceptibles des choses qui sont à des milliers de kilomètres. Qu'il dise, comme dans la fable : « J'étais là, telle chose m'advint. Vous y croiriez être vous-même. » Eh bien, avec Léry c'est encore plus extraordinaire ! Non seulement ce qu'il décrit se situe à dix mille kilomètres de la France, mais le témoignage date d'il y a quatre cents ans. Quatre siècles ! Vous imaginez ? C'est comme de la sorcellerie. Tout à coup, Léry fait revivre au présent et devant nos yeux un formidable spectacle. A travers son texte, nous découvrons les côtes du Brésil, la baie de la « France Antarctique », qui est aujourd'hui celle de Rio de Janeiro : faune, Sur Jean de Léry flore, indigènes, rien ne manque. On y est. Et ce qui immédiatement enchante et séduit, par rapport aux ouvrages d'un André Thevet, par exemple, c'est la fraîcheur du regard de Léry. — N'avez-vous pas été intrigué, ou pour dire les choses autrement, ne vous êtes-vous pas interrogé sur les secrets de fabrication de /Histoire d'un voyage ? — En effet, c'est un texte qui pose de nombreux problèmes et qui m'en a posé tout au long de ma vie. Le livre, mais aussi Léry. Ce que je vais vous dire vous paraîtra peut-être présomptueux, je vous prie de m'en excuser, mais j'ai l'impression d'une connivence, d'un parallélisme, entre l'existence de Léry et la mienne. Je l'ai ressenti, dès le début, et cela n'a fait que se développer au fil des années. Léry part pour le Brésil à vingt-deux ou vingt-trois ans ; j'en ai vingt- six quand j'entreprends le même voyage. Léry attend dix- huit ans avant de rédiger son Voyage ; j'en attends quinze avant d'écrire Tristes Tropiques. Dans l'intervalle, pendant ces dix-huit années pour Léry, ces quinze pour moi, que s'est-il passé ? Pour Léry : les guerres de Religion, les désordres de Lyon, de la Charité-sur-Loire, le siège de Sancerre — qu'il a vécu et sur lequel il a écrit un livre. Et pour moi : la Seconde Guerre mondiale, également la fuite devant les persécutions. Prenez les choses un peu plus tard : Léry termine sa vie comme pasteur à Vufflens, dans le pays de Vaud. Or Vufflens, c'est le château de la famille Saussure, et vous n'êtes pas sans savoir le rôle joué au xxe siècle par Ferdinand de Saussure, ni l'influence considérable qu'il a exercée sur moi. Sans compter que, par la suite, j'ai été lié avec Raymond de Saussure, son fils. Enfin, lorsque il y a trente ans, ma femme et moi cherchions une maison de campagne, nous en visitâmes des dizaines dans toute la France, pour finalement nous arrêter sur une en Bourgogne du nord. L'idée ne m'avait pas traversé alors qu'elle était proche de La Margelle, paroisse natale de Léry, où d'ailleurs existe un hameau portant son nom... Je vous laisse imaginer ce que les surréalistes auraient pu tirer de telles coïncidences. Pour ma part, et vous comprenez 1 8 Histoire d'un voyage en la terre du Brésil pourquoi, j'ai constamment senti se développer une intimité avec Léry. — Étranges rapprochements, en effet. L'ombre de Léry vous aura poursuivi toute votre existence. Mais revenons à ma question, si vous le voulez bien : la fabrication du livre. A votre avis, Léry a-t-il tenu des carnets, consigné de manière méthodique ce qu 'il voyait et entendait ? C'est ce que fait l'ethnologue. C'est ce que vous avez fait vous- même. Non ? — A cette différence près que mes carnets sont informes. Je suis horrifié de voir à quel point ils étaient mal tenus. — Oui, mais grâce à eux vous avez écrit Tristes Tropi ques. La matière y était. Dense et abondante. — Un magma, vous voulez dire. Il a fallu que je fasse un effort considérable pour le débrouiller. — Alors Léry, comment procède-t-il ? — Je l'ignore. Peut-être les exégètes ont-ils la réponse. Il faut demander à Frank Lestringant : c'est le meilleur aujourd'hui. Mais je ne crois pas que l'on ait retrouvé ces archives de Léry. — Et que dire sur la façon dont est construit le Voyage ? — Qu'il est on ne peut plus moderne. Construit comme une monographie d'un ethnographe contemporain : le milieu, la vie matérielle, la nourriture, la préparation des aliments, les relations de famille, les mariages, les croyances religieuses... Je l'ai déjà écrit, je le répète : il s'agit vraiment là du premier modèle d'une monographie d'ethnologue. — D'où un second mystère : qu'est-ce qui, dans l'histoire de Léry, son passé, sa formation, le préparait à inventer une telle méthodologie ? — Rien, certainement, dans sa formation. Il était cor- donnier quand il fit son voyage. Devint pasteur ensuite. Non, je ne vois pas ce qui aurait pu le préparer. A mon sens, pourtant, deux éléments sont intervenus. D'abord, il y a eu chez lui une sorte de révélation du terrain. Il a su s'émerveiller des choses inouïes. Précisons toutefois qu'à l'époque où il aborde aux rivages du Brésil, c'est-à-dire en mars 1557, cela fait déjà une bonne cinquantaine d'années que la région est visitée par intermittence, que des originaux Sur Jean de Léry venus d'Europe y ont pris racine, prêts à servir de truchements. Ainsi, à travers des témoignages répétés, où ont surnagé des points essentiels et des vérités communes, s'est peu à uploads/Litterature/ lery-ou-le-rire-de-l-x27-indien.pdf
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- Publié le Nov 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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