Tourneux Henry, 1999, « Les animaux supports de génies chez les Peuls du Diamar

Tourneux Henry, 1999, « Les animaux supports de génies chez les Peuls du Diamaré », dans L’Homme et l’animal dans le bassin du lac Tchad, dirigé par Catherine Baroin et Jean Boutrais, p. 263-275, Paris, Éd. IRD.      1     Dans toute la bande soudano-sahélienne, les airs, la brousse et l’eau sont peuplés de djinns, ou génies. D’après A. et S. Epelboin (1978), les Peuls Bandé du Sénégal oriental, bien que tous musulmans, conçoivent la brousse comme peuplée d’’êtres surnaturels répartis en trois catégories : 1. les ngooteere, bergers des animaux sauvages 2. les yime lee, "gens des arbres" 3. les jinne, djinns. Sous l’influence grandissante de l’islam, toujours selon ces auteurs, "la notion de jinne tend à englober l’ensemble des génies de la brousse". Selon M. Dupire (1996, note, pp. 30-31), "Les Peuls nomades du Niger croient que les génies vivent dans les grands arbres, tamarinier, baobab, [Lannea sp.], les fourmilières et termitières. [...] Des croyances semblables ont été relevées par de Saint-Croix [1944] chez les Peuls du Nigeria. Il écrit : Some spirits are said to exist in clouds, rainbows, dust-devils, old wells, water, ruined houses, large baobab, tamarind trees, in nest of the grain collecting ant which causes illness and in the nest of termites [...] " Dans le Diamaré, on en est arrivé à une confusion totale entre génies de la nature et djinns. Cela se comprend encore mieux 1 4 ter, Route des Gardes, 92190 Meudon. Mél : <henry.tourneux@cnrs.fr> 2 lorsque l’on se réfère à la conception arabe des djinns (Gibb et Kramers 1974). En effet, à l’époque pré-islamique, en Arabie, les djinns étaient les nymphes et les satyres du désert, correspondant à la nature non domestiquée et hostile à l’homme. Pour les musulmans, les djinns, ou génies, sont des créatures divines, douées d’intelligence, et échappant à la perception. Ils peuvent cependant apparaître sous diverses formes. Ces génies constituent un monde parallèle, normalement invisible, mais avec lequel certaines personnes entretiennent des relations privilégiées. Rester habillé toujours en blanc donne de bonnes chances de pouvoir voir les djinns ; c’est du moins ce que l’on dit chez les Peuls de la région de Maroua. A propos des djinns en général, nous pouvons reprendre l’observation que J. Rouch faisait dans son étude sur la religion et la magie songhay (1989, p. 47) : "La mythologie des [djinns] paraît relativement pauvre. Elle est, de plus, essentiellement localisée à une région et souvent même à un village ou une famille. L’ensemble est donc constitué par une multitude de petites mythologies particulières de lieux dits qui ne semblent pas avoir de très grands rapports entre elles." Nos informateurs, qui étaient soit des marabouts spécialisés dans le soin des possédés, soit des possédés, se contentent de dire : "Tel djinn est important, car il se manifeste plus souvent que d’autres." En fait, il existe une certaine hiérarchie dans ce monde invisible, et certains djinns (humains) ont un pouvoir sur les autres, et permettent au médium (marabout ou ancien possédé) de savoir quel(s) génie(s) est (ou sont) impliqué(s) dans la maladie de tel patient venu consulter. Les djinns sont, pour la plupart, ambivalents : dans un premier temps, ils se manifestent de façon agressive à l’égard d’une victime ; dans un deuxième temps, lorsque leurs exigences ont été satisfaites, ils peuvent procurer des bienfaits divers (richesse, voyance, réussite). Il n’est donc pas étonnant qu’une bonne partie de la littérature islamique contemporaine soit consacrée aux djinns, et aux divers moyens d’en obtenir des prestations magiques. Les djinns 3 constituent, de fait, un fonds de commerce inépuisable pour certains marabouts peu scrupuleux. Etymologie Le mot arabe, francisé en "djinn", pourrait bien venir du latin genius. Certains auteurs tiennent cependant à le rapprocher de idjtinn "devenir caché", ce qui ne convainc guère. En langue peule, ces génies sont appelés ginnaaji (sing. ginnawol), mot dans lequel on reconnaît facilement l’origine arabe. Ce n’est peut-être pas par hasard que ce mot a été mis dans la même classe nominale - ngol que la peur (kulol). Il est également associé à la folie, celle-ci étant attribuée à certains génies. Influence des djinns sur les humains Les djinns, habitants de la nature, n’aiment pas être dérangés dans leurs activités. Ils ont chacun leurs lieux de prédilection. La personne qui tombe sur eux à l’improviste ne les voit pas, généralement, mais elle devient leur victime. Elle manifestera immédiatement des troubles divers (physiques et/ou psychiques). L’intervention d’un spécialiste est alors requise pour identifier le ou les djinn(s) responsables de la maladie. Une fois le diagnostic posé, le traitement s’impose de lui-même : on connaît, en effet, les exigences de chaque djinn. Le patient/possédé, pour se libérer, doit accomplir divers rites et sacrifices très précis. Les marabouts spécialistes se servent davantage de versets coraniques, à cette fin, que les ex-possédés devenus médiums, qui eux, peuvent prescrire des séances de danse, par exemple. De même, leur inventaire des djinns se ressent davantage de l’influence arabe. Classification des djinns Chez les Peuls du Diamaré, les djinns peuvent être classés selon leur aspect extérieur. Comme on l’a déjà dit, ils sont normalement 4 invisibles, mais certaines personnes ont le don de les voir, et n’importe qui peut les rencontrer à l’improviste en brousse. Ils sont normalement sexués (mâles ou femelles), et se répartissent en apparences humaine, animale, et aérienne. Djinns d’apparence humaine Les djinns d’apparence humaine, mâles ou femelles, se distinguent par leur religion en musulmans, chrétiens, juifs et païens, et par leur nationalité, en Peuls, Arabes, Kanuri, Mandara, Guiziga, Wolof (!), etc. Ce sont eux qui forment le plus fort contingent de djinns ; on peut penser qu’ils en constituent 90 % des effectifs. Il semble que certains d’entre eux peuvent parfois prendre une forme animale (voir plus loin le cas de Goni Sufiyaanu). Djinns d’apparence animale Les djinns d’apparence animale, mâles ou femelles, se répartissent en oiseaux, mammifères, serpents et reptiles. Djinns d’apparence aérienne Les djinns d’apparence aérienne ont la forme de vents ou de tourbillons. Ceux que l’on rencontre le plus facilement sont les tourbillons de saison sèche (duluuru), qui se déplacent parfois à grande vitesse, entraînant la poussière dans leur entonnoir. Les djinns d’apparence animale Voici une brève notice sur chacun des génies à support animal que nous avons pu recenser : 5 Serpents et reptiles 1. Mboodi Son nom signifie "serpent". Il est de sexe masculin, et a l’aspect d’un grand serpent de couleur rouge. Il se nourrit de petits rongeurs. Il attaque sa victime en brousse, à des carrefours de pistes, de sentiers ou de routes, et s’enroule autour d’elle. Celle-ci pousse un long cri de détresse et se retrouve paralysée des jambes. Pour guérir le mal, on doit se procurer un morceau de peau de serpent, dans lequel on enveloppe des racines pulvérisées de n’importe quel arbre. On peut remplacer cette poudre de racines par de la poudre d’écorce de Mitragyna inermis (Rubiaceae), ajoutée à un fiel de poisson. On place alors ce gris-gris dans la chevelure de la victime. On reconnaît la victime de Mboodi à sa façon de danser : elle se traîne sur le ventre en traçant un cercle. Mboodi déteste qu’on l’appelle par son nom. 2. Mboodi Jubaato Ce djinn de sexe masculin a l’aspect d’un grand serpent noir et brillant. Il porte le nom kanuri du Naja nigricollis (jíbto, jíwto). Il se nourrit de criquets, de batraciens, de petits rongeurs et de margouillats. Il réside dans les termitières à Macrotermes et Bellicositermes. Il attaque sa victime en pleine brousse, en s’enroulant autour d’elle. Il ouvre sa gueule devant elle, mais ne la mord pas (cependant, un marabout nous a dit qu’il essaie de mordre sa victime). La victime rentre chez elle en étant prise de tremblements et de douleurs dans tout le corps. La victime de Mboodi Jubaato se reconnaît à la fièvre et à la torpeur qui s’installent chez elle. Elle ne doit pas consommer de boule de mil. Pour guérir, elle doit couper trois morceaux de tige de Combretum aculeatum (Combretaceae) poussant sur une four- milière. Les bâtonnets doivent être liés ensemble avec une corde- lette faite en écorce de Bauhinia rufescens (Caesalpiniaceae), et portés sur la hanche. Mboodi Jubaato affectionne tout particulièrement les grelots métalliques, que sa victime aura intérêt à attacher dans sa chevelure. Il déteste l’odeur du mil ou même du son du mil. 6 3. Kirmuyel C’est un serpent femelle qui se nourrit uniquement la nuit, d’insectes, de petits rongeurs et de petits margouillats. Il attaque sa victime sur un tas d’ordures, une fourmilière, ou dans un cimetière. Celle-ci éternue beaucoup, vomit et ressent des douleurs à la nuque ; elle se couche en chien de fusil et ne peut plus se relever. Pour obtenir la guérison, il faut verser quelques gouttes de sang dans les yeux de la victime et décrire des cercles autour de sa tête avec une brindille trempée dans du sang. Ensuite, la victime doit porter une bague en argent à un doigt de la main uploads/Litterature/ les-animaux-supports-de-genies.pdf

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