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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2001 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 25 mars 2021 03:59 Études françaises Écriture féministe ? écriture féminine ? les écrivaines francophones de l’Afrique subsaharienne face au regard du lecteur/critique Béatrice Gallimore Rangira La littérature africaine et ses discours critiques Volume 37, numéro 2, 2001 URI : https://id.erudit.org/iderudit/009009ar DOI : https://doi.org/10.7202/009009ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Rangira, B. G. (2001). Écriture féministe ? écriture féminine ? les écrivaines francophones de l’Afrique subsaharienne face au regard du lecteur/critique. Études françaises, 37(2), 79–98. https://doi.org/10.7202/009009ar Résumé de l'article Consacré aux auteures et aux critiques de la littérature « féministe » de l’Afrique francophone subsaharienne, cet article revient sur les controverses dont cette littérature a fait l’objet. Le féminisme, originaire de l’Occident, a une connotation négative en Afrique parce qu’il s’accorde mal avec les réalités de ce continent. Les écrivaines africaines qui adoptent le féminisme comme une voie possible de libération de la femme africaine, de son écriture et de son corps doivent faire face à la censure du lecteur/critique qui lui-même conditionne leurs écrits et les force à s’engager dans un processus perpétuel de négociations discursives. Malgré la controverse qui entoure cette écriture, les écrivaines et les critiques féministes africaines s’entendent pour dire que le mouvement féministe est porteur de valeurs socioculturelles proprement occidentales. Aussi faut-il faire preuve de beaucoup de circonspection lorsqu’on applique les théories féministes aux textes de la littérature africaine. 79 Écriture féministe? écriture féminine? les écrivaines francophones de l’Afrique subsaharienne face au regard du lecteur/critique rangira béatrice gallimore Nombreux sont les critiques qui ont montré que la littérature féminine, discours féminin par excellence, est un contre-discours. En Afrique, plusieurs critiques ont déploré l’absence, le silence et la réticence des femmes vis-à-vis de l’écriture, domaine longtemps considéré comme le privilège des hommes. Les femmes qui accédent à l’écriture sont souvent obligées de faire face au discours hégémonique patriarcal. Dans son article «Et les Africaines prirent la plume», Angèle Bassolé Ouédraogo fait le constat suivant : La problématique de l’existence d’une écriture féminine africaine ne peut s’analyser sans tenir compte de son contexte d’émergence. Ce contexte d’émergence renferme un topos, celui du silence, délimite un espace, celui de la marginalité. Le discours des femmes qui s’élabore après une trop longue période de silence porte les marques de l’ostracisme et se confronte au discours hégémonique patriarcal1. Les écrivaines africaines se trouvent donc inévitablement placées en opposition à l’hégémonie patriarcale. Cette position antagonique qu’elles occupent les rend souvent réticentes envers l’écriture. Et l’une des causes principales de cette réticence a été bien présentée par l’écri- vaine sénégalaise Mariama Bâ dans son essai «La fonction politique des littératures africaines écrites». Dans toutes les cultures, la femme qui revendique ou proteste est dévalo- risée. Si la parole qui s’envole marginalise la femme, comment juge-t-on 1. Angèle Bassolé Ouédraogo, «Et les Africaines prirent la plume. Histoire d’une con- quête!», Mots pluriels, no 8, oct. 1998, p. 2. 80 études françaises • 37, 2 celle qui ose fixer pour l’éternité sa pensée? C’est dire la réticence des femmes à devenir écrivain. Leur représentation dans la littérature africaine est presque nulle. Et pourtant, elles ont à dire et à écrire2 ! Mariama Bâ souligne indirectement les rapports entre l’auteure et le lecteur/critique. Elle postule en effet l’existence d’un regard puissant, « caché», qui paralyse la plume de la femme africaine. Dans la suite de son essai, Mariama Bâ fait un inventaire des maux que subit la femme africaine et exhorte celle-ci à changer cet état des choses en Afrique. « C’est à nous, femmes, dit-elle, de prendre notre destin en mains pour bouleverser l’ordre établi à notre détriment et de ne point le subir. Nous devons user comme les hommes de cette arme, pacifique certes, mais sûre, qu’est l’écriture3. » Mariama Bâ a essayé de réaliser ce qu’elle prêchait ; dans son œuvre, elle a utilisé l’écriture comme une arme pacifique. Cette recherche d’une lutte paisible, de l’attitude non violente a influencé et guidé en quelque sorte le choix de ses discours. Ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas particulier à Mariama Bâ ni aux femmes africaines, a été présenté par Deirdre Lashgari dans l’introduction à l’ouvrage critique Violence, Silence, Anger: Women’s Writing as Transgression. Lashgari parle de certaines circonstances qui conditionnent le discours féminin: La femme qui traite de sujets marginaux […] doit taire en partie ce qu’elle voit et ce qu’elle sait pour se faire accepter au sein des principaux courants littéraires. Écrire avec franchise peut ainsi signifier la transgression et le viol des normes littéraires établies et acceptées […]. Ce qui est lu et com- pris par le groupe dominant comme aliénant, radical, choquant, exubé- rant va probablement offenser surtout si cela vient d’une femme. Si dans la tradition culturelle de la femme écrivain «faire du bruit» est mal consi- déré, la tentation d’auto-censure est forte tout comme le sont le risque et la nécessité de percer. Ce risque influence souvent la façon dont l’écrivain conçoit la forme de son œuvre, sa représentation dramatique, son langage et ses figures de rhétorique4. La crainte de l’ostracisme et de la marginalisation a forcé les écrivaines africaines à recourir à un discours qui cherche sa justification dans le code social. Ce type de discours est évident dans Une si longue lettre5 de 2. Mariama Bâ, « La fonction politique des littératures africaines écrites», Écriture afri- caine dans le monde, no 3, 1981, p. 6-7. 3. Ibid., p. 7 4. Deirdre Lashgari, « To Speak the Unspeakable: Implications of Gender, Race, Class, and Culture», dans Violence, Silence, Anger : Women’s Writing as Transgression, Deirdre Lashgari (dir.), Charlottesville/Londres, University Press of Virginia, 1995, p. 2-3. Nous traduisons. 5. Mariama Bâ, Une si longue lettre, Dakar, Nouvelles Éditions Africaines, 1979. 81 Mariama Bâ. Malgré le ton dénonciateur du roman, le discours choisi par l’auteure est conditionné par le milieu afro-musulman d’où il est issu. C’est par exemple le choix du discours épistolaire qu’elle justifie dès la première page de son roman. Par le truchement du personnage principal, Ramatoulaye, l’auteure d’Une si longue lettre nous apprend que la confidence est un discours féminin accepté et faisant partie de la tradition orale africaine: «Nos grand-mères, dont les concessions étaient séparées par une tapade, échangeaient journellement des messages6.» Plus loin dans le roman, il est fait mention du « mirasse», discours coranique qui exige qu’un individu mort soit dépouillé de ses secrets intimes7. Ce discours religieux justifie donc implicitement la teneur de la lettre de Ramatoulaye, dans laquelle l’héroïne fait un inventaire des maux qu’elle a endurés sous le joug de feu son mari, polygame et égoïste. Dans son article « Contre la clôture : espace et architecture de la liberté chez Mariama Bâ », la critique féministe nigériane Obioma Naemeka montre que même le choix de la place occupée par les per- sonnages féminins d’Une si longue lettre est conditionné par la peur de la marginalisation. Naemeka déplore « la marginalité et l’infériorité des personnages féminins radicaux» dans la littérature africaine et, à pro- pos d’Une si longue lettre, elle pose la question suivante : «Pourquoi Ramatoulaye, et non pas Aïssatou, reste-t-elle le personnage central8?» Voici la réponse que l’auteure de l’article donne à sa question: Le rôle inférieur de ces personnages féminins radicaux est déterminé par les négociations que les femmes-écrivains sont obligées d’entreprendre tant pour faire preuve de solidarité culturelle que par conformité au mythe de la féminité. Ensuite le lecteur/critique tout-puissant (au sens éminem- ment masculin du terme) vivant en marge de la conscience des femmes- écrivains limite et conditionne la créativité chez elle9. Les femmes-écrivains, ajoute Naemeka, occupent une position «limi- nale» : Leur «liminalité» provient de leur « positionnalité» dans la marge — cet espace ambigu et précaire. Leur position crée des conditions analogues 6. Ibid., p. 7 7. Voir p. 19. Pour une discussion beaucoup plus approfondie sur l’usage du «mirasse» dans Une si longue lettre de Mariama Bâ, voir l’article de Mbaya Cham, «Contemporary Society and the Female Imagination: A Study of the Novels of Mariama Bâ», Women in African Literature Today, no 15, 1987, p. 91-92. 8. Obioma Naemeka, «Contre la clôture: espace et architecture de la liberté chez Mariama Bâ» The Literary Griot, vol. 6, no 1, 1994, p. 67. 9. Ibid., p. 62. écriture féministe ? écriture féminine ? 82 études françaises • 37, 2 aux « conditions nerveuses» attribuées à la position précaire des soi-disant «indigènes» des Damnés de la terre de Frantz Fanon. uploads/Litterature/ les-ecrivaines-francophones-de-l-x27-afrique-subsaharienne-face-au-regard-du-lecteur-critique 2 .pdf
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- Publié le Fev 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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