Les femmes de droite Andrea Dworkin Première édition 1983, édition francophone

Les femmes de droite Andrea Dworkin Première édition 1983, édition francophone 2012 Sommaire Préface : Patriarcat et sexualité : pour une analyse maté- rialiste 2 1 - La promesse de la droite extrême 18 2 - La politique de l’intelligence 45 3 - L’avortement 83 4 - Juifs et homosexuels 125 5 - Le gynocide annoncé 171 6 - L’antiféminisme 227 1 Préface Patriarcat et sexualité : pour une analyse matérialiste Christine Delphy Il existe peu de traductions françaises d’Andrea Dworkin. Cette inexistence de Dworkin dans l’univers de l’édition francophone est stupéfante, et révélatrice. Stupéfante, car de l’avis général, c’est l’une des auteures les plus importantes de la deuxième vague fémi- niste, celle qui a commencé vers la fn des années soixante; toutes et tous lui concèdent une place éminente, même si c’est pour la dé- plorer, car elle a été aussi haïe qu’admirée, et comme le dit John Berger, elle fut « peut-être l’écrivain le plus mal compris du monde occidental ». En trente ans, elle a écrit et publié quatorze livres, pour moitié des essais, et pour moitié des romans. Quand elle meurt, en 2005, elle est en train d’écrire un autre essai sur la sauvagerie néo- colonialiste du monde occidental. Dans ce monde francophone, elle est connue au Québec, en dé- pit de l’absence de traductions jusqu’à la publication en 2007 du re- cueil Pouvoir et violence sexiste 1, que l’on doit aux forces militantes du site Sisyphe et de Martin Dufresne. Dans ce recueil est notam- ment publiée l’allocution qu’elle prononça le 6 décembre 1990; les féministes l’avaient invitée à Montréal pour la commémoration an- nuelle du massacre des étudiantes de Polytechnique par Marc Lé- pine. Au Québec, le bilinguisme franco-anglais est fréquent, et les ouvrages nord-américains sont couramment lus; en revanche, en France, en Suisse romande, en Belgique wallonne, en Afrique fran- cophone, Dworkin est quasiment inconnue. 1. Andrea Dworkin, Pouvoir et violence sexiste, Montréal, Sisyphe, 2007, coll. Contre-point, 128 p. 2 Comparées aux traductions en allemand, en danois, en néerlan- dais, en suédois, en norvégien, les traductions de livres féministes en français sont rares. Certaines auteures cependant sont traduites. Pourquoi pas Dworkin? La première raison du silence fait sur elle est sans doute que Dworkin est radicale. Elle écrit sur un sujet qui, alors qu’on pré- tend en parler, est en réalité toujours aussi tabou : la sexualité, et plus précisément l’hétérosexualité, et plus précisément encore, sa pratique et sa signifcation dans un contexte précis : la société pa- triarcale. Elle parle de sexualité dans un régime de domination, et de sexualité entre dominants et dominées. Un message difcile à entendre On pourrait penser que depuis la deuxième vague du féminisme, ce sujet a été largement abordé. En fait non. Ou plutôt : il a été et continue d’être abordé par ses bords, par ses côtés. Ce qui est mis en cause dans ce domaine de l’interaction entre dominants et do- minées, ce en sont les contraintes collatérales de la sexualité coï- tale : l’interdiction de l’avortement par exemple. Ce qui est reven- diqué c’est le droit pour les femmes de se prémunir contre les consé- quences de cette sexualité : la liberté de la contraception, la liberté de l’avortement, ainsi que, la liberté de participer à cette sexualité sans être punie ou ostracisée. Cette sexualité est ainsi vue comme étant, en soi, une bonne chose; et elle sera encore meilleure, dit-on, une fois que la morale traditionnelle qui stigmatise l’activité sexuelle des femmes, les gros- sesses non désirées, et les actes sexuels imposés par la force seront bannis. Le viol par exemple est vu comme une espèce d’excrois- sance malheureuse, pathologique, de cette sexualité, ou encore une violence sans rapport avec la sexualité, tout en étant une violence diférente des autres. Au fur et à mesure que les contraintes entra- vant le libre exercice de la sexualité par les femmes sont dénoncées, 3 le champ de la sexualité licite, bonne, se rétrécit; on ne garde que ce qui est censé en constituer le cœur, la partie saine : la réciprocité et le désir. Cette vision n’est pas particulièrement féministe, elle existe dans la société en général comme un idéal, et une défnition of- cielle. Dans la vision féministe, comme dans la représentation of- cielle, les viols, les incestes sont autant de transgressions, de même que les violences conjugales qui sont repoussées à l’extérieur de la défnition du mariage. Mais les féministes veulent transformer cet idéal en fait et cette défnition ofcielle en norme réelle. C’est un des enjeux de la bataille entre le féminisme et la société patriarcale. Car si les violences conjugales, les viols dans et hors mariage, les incestes existent avec la banalité qu’on leur connaît maintenant que les féministes l’ont dévoilée, et qu’ils se perpétuent, c’est bien qu’ils sont tolérés sinon encouragés par la société; c’est bien que la norme ne correspond pas à l’idéal; que la sexualité patriarcale n’est pas exempte de violence; que la violence en est une partie intégrante; que sous la défnition ofcielle et idéale, existe une norme réelle qui permet, accepte, approuve la violence. C’est ce que dit Andrea Dworkin, et ce que dit aussi Catharine A. MacKinnon. L’un des thèmes de la campagne française contre le viol de 1976 était que la violence n’est pas de la sexualité. Catharine A. MacKinnon a, quant à elle, dit très tôt que la violence est de la sexualité, que la sexualité (hétérosexuelle surtout) consiste, dans le régime patriarcal, en l’érotisation de la violence 2. Mais ce message-là est difcile à entendre. Il est difcile à entendre par les hommes, bien sûr, mais aussi par les femmes. Et comment ne le serait-il pas? Les individus des deux genres sont éduqués à être des deux genres; à se défnir d’abord et avant tout comme membres de ce qu’on appelle une « catégo- 2. C’est pour cette raison qu’elle et Andrea Dworkin ont travaillé longtemps pour faire re- connaître la pornographie, qui ne met en scène que domination exercée et humiliation subie, comme une atteinte aux droits humains des femmes, notamment dans la ville de Minneapolis. L’establishment a présenté leur projet comme dangereux pour la liberté d’expression, sacrée aux États-Unis, et beaucoup de féministes ont suivi cet argument. 4 rie de sexe » : d’un genre 3 ; il n’existe d’ailleurs pas d’identité in- dividuelle distincte de l’identité de genre. Et dans la défnition de chaque genre, l’hétérosexualité occupe une place primordiale. C’est l’horizon de l’enfant, aussi loin que remontent ses souvenirs. C’est avec l’autre genre qu’on aura des contacts sexuels, c’est avec l’autre genre qu’on se mariera, qu’on aura des enfants. Mais cet horizon, à la fois non choisi et désiré, cette destinée n’a pas la même force de coercition pour les dominants et pour les dominées. Aussi, quand Dworkin écrit que les hommes baisent les femmes, et que l’acte sexuel, c’est ça, combien de femmes peuvent-elles en- tendre cela? L’amour, les enfants occupent une place dans la vie des femmes qui n’est pas la même que dans la vie des hommes. Hier, et aujourd’hui. On attend cela des femmes. C’est aussi ce que les femmes attendent de la vie, même si ce n’est pas la seule chose. Elles se rebellent contre l’impératif de choisir entre leur vie fami- liale et le travail entre leur afect et leur cerveau, parce qu’elles ne veulent pas sacrifer ce qu’on leur dit être – et ce qu’elles pensent être – indispensable à une vie réussie; ce qu’on appelle leur « vie de femme » (il n’existe pas d’expression symétrique, de « vie d’homme »). Or Dworkin écrit, dans tous ses livres, et dans celui-ci aussi, que la baise est dans notre culture une humiliation : pas telle ou telle baise, mais toutes les baises. Là réside la source du malaise pour nombre de féministes. D’un côté, aujourd’hui, la majorité des femmes essaie de redéfnir la sexualité comme le lieu du désir et du plaisir, de la redéfnir comme non seulement opposée à mais 3. Mon utilisation de « genre » est expliquée dans « Penser le genre », dans L’Ennemi princi- pal : penser le genre (Paris, Syllepse, 2001 et 2008). J’utilise « genre » ou « système de genre » pour désigner la partition de l’humanité en deux groupes hiérarchisés : les femmes et les hommes. Ces groupes, je les appelle des « genres ». D’autres les appellent des « sexes ». Mon choix provient du fait qu’utiliser « sexe(s) » pour dénommer les groupes donne l’impression que ces groupes préexisteraient à leur hiérarchisation, préexisteraient donc à l’organisation sociale : seraient « naturels ». Il n’existe pas de groupes « naturels »; dans ma théorie, c’est au contraire le but de hiérarchiser qui crée ces groupes. Ainsi, le genre sans autre précision est le système de genre, tandis que le genre d’une personne est sa place dans ce système. 5 contraire à la violence, au viol, à l’inceste, à la prostitution : de la raboter pour n’en garder que ce qui uploads/Litterature/ les-femmes-de-droite-by-andrea-dworkin.pdf

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