La technique de l'edition a l'epoque patristique Author(s): H. I. Marrou Review
La technique de l'edition a l'epoque patristique Author(s): H. I. Marrou Reviewed work(s): Source: Vigiliae Christianae, Vol. 3, No. 4 (Oct., 1949), pp. 208-224 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1582025 . Accessed: 05/11/2012 05:06 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Vigiliae Christianae. http://www.jstor.org LA TECHNIQUE DE L'EDITION A L'EPOQUE PATRISTIQUE PAR H. I. MARROU En quoi consistait, pratiquement, le fait de publier un ouvrage, pour les &crivains de l'antiquite et leur public? Une etude, bien documentee, du R. P. J. de Ghellinck 1 vient d'attirer a nouveau l'attention sur ce probleme, dont la solution importe tant a l'histoire de la transmission des littiratures antiques. Comme il arrive, la question n'a pas manque de rebondir 2: il devient necessaire d'en reprendre l'examen en faisant etat de donnees nouvelles. Essentiellement li&e, on va le voir, aux servitudes de la trans- cription manuscrite, .la technique de l' dition dans l'antiquite mrriterait, et riclame, une etude d'ensemble, car, dans une large mesure, les memes causes ont di entrainer les memes consequences, qu'il s'agisse de l'epoque classique ou de la Spitantike, des ecrivains paiens ou des chretiens. Pour ne pas exceder les limites d'un simple article, on se limitera ici, au domaine des Peres de l'Eglise, vers le debut du Ve siecle, dans l'Occident latin. Qu'est-ce qui correspondait alors a ce que nous appelons ,,edition"? Pour ne pas nous laisser entrainer a l'anachronisme, il 1 J. de Ghellinck, Patristique et Moyen Age, Etudes d'histoire litteraire et doctrinale, t. II, Introduction et complements a l'etude de la patristique, Bruxelles- Paris, 1947, Etude II, Diffusion et transmission des ecrits patristiques, ch. 1, Transcription et diffusion immediates, p. 183-245; voir p. 184, n. 1, la biblio- graphie, qu'il faudrait aujourd'hui completer; le dernier etat de la question me parait etre l'article de F. W. Beare, Books and publication in the ancient world, ap. University of Toronto Quarterly, t. 14, 1945, p. 150-167. 2 Voir les observations que j'ai presentees dans mon compte-rendu ap. Revue du Moyen Age Latin, t. III, 1947, p. 382-385, qui, a son tour, a provoque l'article du ch. G. Bardy, Copies ef editions au Ve siecie, ap. Revue des Sciences Religieuses, mars 1949; je remercie I'auteur et 1'editeur de cet important memoire qui m'ont permis d'en prendre connaissance sur manuscrit. LA TECHNIQUE DE L'EDITION A L'EPOQUE PATRISTIQUE 209 convient de prendre conscience, pour commencer, de ce que signifie ce mot pour les hommes d'aujourd'hui. Editer un livre est une operation qui me parait comporter deux phases successives. La premiere est d'ordre subjectif: l'auteur, ayant arrete le texte definitif de son manuscrit, prend la decision (spontanee ou sollicitee, peu importe) de mettre son oeuvre a la portee du public. Vient ensuite la seconde phase, d'un caractere industriel et commercial: l'auteur utilise les services d'un entrepreneur specialise, l'editeur, qui d'une part confie a l'imprimeur la fabrication d'un nombre determine de copies identiques du texte, et d'autre part les distribue aux libraires charges de les repandre dans le public. La premiere phase avait, la chose est evidente, son equivalent exact dans 1'antiquite: les temoignages qui-la concernent sont innom- brables, tres precis et d'un tour souvent tres pittoresque. Les auteurs anciens se laissent aller volontiers a nous confier les raisons qui les ont amenes a ,,publier" leurs oeuvres, les conditions dans lesquelles cette decision a ete prise: on sait, pour ne citer que cet exemple, tout l'interet que presentent a ce sujet les Retractationes de saint Augustin. On pourrait analyser et classer ces divers temoignages, ce qui amenerait a distinguer plusieurs categories d'edition: au type normal, la publication expressement voulue, decidee, par I'auteur, s'oppose- rait l'edition subreptice, faite sans son aveu et a son insu; un bon exemple en est represente par les Adnotationes in lob de saint Augustin, recueil des notes de lecture qu'il avait portees sur les marges de son exemplaire personnel et qui ont ete recopiees et ,,editees" contre son gre 3. II faut prevoir aussi le cas des editions soi-disant subreptices, pour lesquelles l'auteur s'est laisse faire une douce violence, - ou pretend s'etre ainsi laisse forcer la main: l'exemple a citer est ici celui de la Vie de saint Martin par Sulpice Severe. Dans la lettre-preface qui ouvre son oeuvre, celui-ci declare, avec une modestie affectee, qu'il s'etait d'abord refuse, par peur de deplaire, a publier ce livre; il ne cede qu'a des instances reiterees de son ami Didier en lui envoyant une copie, sous promesse de ne la communiquer a personne. Mais, ajoute-t-il aussit6t, je crains que tu ne sois pour lui (mon livre) une porte de sortie et qu'on ne puisse plus ensuite le rappeler. Si cet accident lui arrive, et si tu vois qu'on 3 Augustin, Retracttiones, 39 (= II, 13), C.S.E.L., t. 36, p. 145. 14 210 LA TECHNIQUE DE L'EDITION A L'EPOQUE PATRISTIQUE te lit, tu demanderas en grace aux lecteurs de consid6ier les choses plus que les mots, etc. ..: suivent des explications si detaillees que le lecteur le plus naif finit bien par comprendre que tout ce qui precede n'a ete qu'une mise en scene, destinee a menager la vanite de l'auteur, vanite qui realise une deformation caricaturale de la vertu chretienne d'humilite 4. Inutile de nous etendre davantage, car la n'est pas le probleme. Ce qui est en question (c'est a dire ce qui n'apparait pas clairement jusqu'ici et qu'il incombe a notre recherche de preciser), c'est le second aspect de la notion d'edition, la phase industrielle et com- merciale. Qu'est-ce qui, dans l'antiquite, correspondait a la coope- ration de l'editeur, de l'imprimeur et du libraire modernes? Nous constatons bien que les auteurs antiques souhaitaient, comme les n6tres, voir leurs oeuvres tres largement diffusees a travers le public lettre; mais nous avons beaucoup plus de peine a decouvrir par quelle technique ce resultat cherche etait atteint. Que les t6moignages paraissent en quelque sorte se derober A notre curiosite est deja un indice que l'aspect technique de ledition ne presentait pas, dans l'antiquite, un developpement et une impor- tance comparables a ceux qu'il a pris chez les modernes, depuis Gutenberg. Le vocabulaire est a cet egard bien revelateur 5. Ainsi, en latin, editio designe de facon tres generale le fait de mettre un livre au jour, de le ,,faire sortir" 6. Ce nom, en effet, comme le verbe edere dont il derive, n'est pas reserv& au livre, comme en francais ,,edition, editer": on disait librum edere, mais tout aussi bien puerum edere, vocem edere 7. Des lors, editio (edere) n'a pu servir quta exprimer soit ce que nous avons appele la phase 4 Sulpice Severe, Vita S. Martini, praef., 1-3, C.S.E.L., t. 1, p. 109; cf. du m~me, 1'Ep. III, 1-3, ibid., p. 146, ou il accuse sa belle-mere Bassula de se procurer sans son aveu le texte de ses moindres productions. 5 L'etude en a ete esquissee bien des fois: voir par exemple H. Leclercq, ap. D.A.C.L., t. IX, 2 (1930), art. Livre, c. 1767; ce qui ne veut pas dire qu'elle ne meriterait pas d'etre reprise a frais nouveaux, comme le suggere avec raison G. Bardy, art. cite. 6 Cf. Thes. ling. Lat., t. V, 2, c. 78 sq., s.v. editio, et notamment: 2, speciatim, a, de publicatione libri, a, sensu activo. 7 Ibid., c. 81 sq., s.v. edo; on disait de meme: librum emittere, publicare, diuulgare, peruulgare, proferre, foras dare; ces mots preteraient a des remarques analogues. LA TECHNIQUE DE L'EDITION A L'EPOQUE PATRISTIQUE 211 subjective de l'edition, soit l'operation consideree en elle-mfme, quel que fut son mode de realisation concrete 8. Lorsque, par un changement d'aspect, editio en vient a designer non plus une action, mais le resultat de cette action 9, on ne s'en sert jamais, comme nous faisons de notre mot ,,edition", pour designer l'objet materiel constitue par la masse des exemplaires publiCs en meme temps, mais seulement pour signifier la substance, la teneur du texte lui-meme: c'est en ce sens que les Peres de 1'Eglise s'en servent pour nommer les differentes versions de l'Ecriture 10, comme leurs pred6cesseurs classiques l'utilisaient pour les divers textes d'Homere elabores par les ecoles philologiques de l'epoque hellenistique 11. Chez les uns comme chez les autres, une editio secunda evoque le texte d'un remaniement opere par l'auteur 12. Tout cela reste vrai, au moins jusqu'au XIIe siecle, dans le latin medieval 13 et, mutatis mutandis, 1'est aussi du grec E'x6oot (Ex6iScout), mots qui preteraient a des observations paralleles. Le R. P. de Ghellinck a choisi comme cadre de son expose une distinction entre ce qu'il appelle ,,transcription privee" et ,,edition proprement dite, par l'entremise des libraires" 14). uploads/Litterature/ marrou.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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