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HAL Id: hal-01143217 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01143217 Submitted on 6 Nov 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’en-vers du corps dans la poésie d’Adonis ou le corps soi-disant Bénédicte Letellier To cite this version: Bénédicte Letellier. L’en-vers du corps dans la poésie d’Adonis ou le corps soi-disant. Travaux & documents, Université de La Réunion, Faculté des lettres et des sciences humaines, 2011, Langages, écritures et frontières du corps, pp.73-85. hal-01143217 L’en-vers du corps dans la poésie d’Adonis ou le corps soi-disant BÉNÉDICTE LETELLIER UNIVERSITÉ DE LA RÉUNION RÉSUMÉ Le corps dans la poésie d’Adonis n’est pas une image rendue sous forme versifiée. Il est pensé comme une forme-sujet en train de se dire. L’en-vers du corps désigne en particulier la manière dont le sujet s’invente dans et à travers le poème. Cette manière de faire entrer le corps dans le langage poétique nous amène à considérer le poème comme un acte éthique : à cet égard, la poésie d’Adonis peut se définir comme une pensée critique. Il s’agit donc d’étudier le corps-langage dans l’un des recueils de poèmes d’Adonis consacré à l’en-vers du corps. Jusqu’où le corps peut-il se dire et s’écrire ? C’est en ces termes que les critiques et les écrivains arabes contemporains s’intéressent à la perception et à la représentation du corps. Le corps n’est plus seulement soumis à un jeu de regards déterminés par l’islam scriptural puis à un jeu de transgressions comme en a témoigné l’art musulman pré-moderne destiné aux élites intellectuelles. De même, il ne fait plus l’objet de stratégies narratives suggestives qui permettaient aux écri- vains modernes de contourner les interdits. Au XXIe siècle, le discours sur le corps s’émancipe du discours religieux1 et les littératures arabes témoignent à nouveau d’une plus grande audace dans la représentation du corps, parfois bien plus impudentes que les littératures occidentales. De prime abord, elles semblent donc renouer avec une tradition pré-moderne qui joue avec les codes du discours religieux. Mais, plus encore, quelle que soit la volonté humaine de faire taire le corps ou de le voiler, on sent, d’après ces littératures, que le corps parle de lui- même et ne ment pas. À la lecture des fictions arabes contemporaines, cela semble inévitable à tel point que le corps-parlant génère des scènes violentes et trauma- tisantes comme l’illustrent notamment les nouvelles de l’écrivain syrien Zakariya Tâmer. Corps mutilés, corps en souffrance, la représentation n’obéit plus à aucune règle ni à aucun discours. Il incombe alors à la littérature de lui prêter une forme qui puisse refléter au mieux son état d’être actuel et, plus précisément, il revient à la poésie de réconcilier cette mise à nu formelle du corps et la vérité du sujet qu’il révèle. Dans l’œuvre poétique d’Adonis, le corps ne se pense pas en dehors d’une 1 Frédéric Lagrange, Islam d’interdits, islam de jouissance, Paris : Téraèdre, 2008. TRAVAUX & DOCUMENTS 74 relation forme-sujet qui est à l’origine d’une forme de vie. Les formes du corps nous disent quelque chose du sujet et, ce faisant, le créent. Considéré comme l’une des plus grandes voix de la poésie arabe contem- poraine, Adonis célèbre et crée des formes de corps à travers un doux mélange des deux versants culturels : occidental et oriental, qu’il schématise respectivement par le versant du progrès technique, de la raison et celui du système théologique, de la tradition. Dans ses poèmes, il esquisse un troisième versant, un « autre versant » : celui du corps, semblable à « l’arbre de vie » de Goethe (la comparaison est sug- gérée par Adonis lui-même dans un article « L’autre versant »2). Ainsi, par cette expression, le corps englobe toutes les dimensions vitales de l’être. Seul le poème, dont la principale fonction consiste à défaire la rationalité du signe, permet au corps de se dire dans sa totalité, fût-ce à demi-mots. Il faut nécessairement compter sur un lecteur attentif pour comprendre ce que le corps fait au langage dans son œuvre poétique. Il faut aussi pratiquer divers modes de lecture du corps, comme le suggèrent les poèmes de son recueil intitulé : Commencement du corps fin de l’océan, pour discerner sa transformation. Dans cette œuvre, le poète prête des formes au corps (alphabétiques, musicales, naturelles ou talismaniques) pour amener la lectrice ou le lecteur à sentir et à saisir tout ce qui échappe au regard. Le corps soi-disant se transforme... Sa poésie, fondée sur une parole critique, montre le corps dans toute sa vérité. Elle montre donc ce qu’un corps fait au langage. En ce sens, elle est avant tout l’action du corps plus que l’image esthétique et poétique d’un corps. Certes elle révèle son évidence mais aussi son mystère, sa force et sa capacité à trans- former le sujet. Elle le modèle dans le mot ou la lettre de manière énigmatique et parfois ésotérique. Le poème engendre alors un mouvement infini de lecture, contrariant les habitudes paresseuses du lecteur naturellement porté vers un sens figé et tout fait. Si le lecteur accepte de se laisser porter et inspirer par ce qu’Adonis appelle « le flux mouvant » du corps, s’il accepte de renouveler le rapport des mots aux choses, lisant ainsi avec sa raison et avec son cœur, alors le corps ne se réduit plus à un signe statique. Il s’agira de montrer en quoi la poésie d’Adonis est cette action du corps qui crée du sujet. En cela, ses poèmes s’accordent avec la pensée d’Henri Meschonnic selon lequel « un poème est un acte éthique »3. Il s’en explique ainsi : Parce qu’il fait du sujet, il vous fait du sujet. De qui l’écrit, d’abord, fonda- mentalement, mais aussi, et autrement, de qui le lit et éventuellement en est transformé. Si c’est un acte éthique, un poème n’est un poème que s’il est d’abord cet acte éthique, qui transforme à la fois une vie et un langage et par là transforme 2 Adonis, La prière et l’épée, Paris : Mercure de France, 1993, p. 177. 3 Henri Meschonnic, Éthique et politique du traduire, Lagrasse : Verdier, 2007, p. 27. L’EN-VERS DU CORPS DANS LA POÉSIE D’ADONIS… 75 aussi l’éthique : c’est une éthique en acte de langage. Sa poétique n’est rien d’autre. Toute la différence avec l’esthétique4. L’acte éthique, chez Adonis, consiste à accompagner la transformation du sujet, création continue de l’être et de l’existence, perceptible dans l’action du corps en train de se dire et par les multiples et possibles lectures qui le créent. Dans Commencement du corps fin de l’océan, le poète ne se contente pas de décrire ce que l’œil peut en voir. Il fait naître la sensation brûlante d’un corps de révolte. En cela, Adonis poursuit la tâche du poète préislamique : sa poésie part du corps (« commencement du corps ») et se fonde sur une dialectique plaisir- douleur. Mais, surtout dans ce recueil publié en 2003, il honore l’âme rebelle dont émane la poésie arabe : le corps est infini et ne se laisse pas définir par des règles de représentation. Il commence là où s’arrête l’océan. Pour commencer, sa poésie appelle un mode de lecture symbolique où l’écriture est aussi dessin, où le corps est en premier lieu celui de la lettre. Le premier poème, « lexique abrégé pour elles », recueille les formes d’amour inspirées des symboles ésotériques des lettres de l’alphabet arabe. À sa manière, Adonis répond à l’idéal baudelairien selon lequel « le dessin arabesque est le plus idéal de tous »5. Au commencement est le feu, le corps réduit en cendres est poussière : Alif Feu singulier, elle commença sa vie ses cendres seront sans pareil6 La première lettre de l’alphabet arabe alif (أﺃ), symbole de l’élément feu, désigne simultanément le « feu [au] singulier » comme une sorte d’enfer qui initie à la vie et les cendres, signe de l’anéantissement. Tout corps est donc voué au recommencement. Puis la deuxième lettre, bâ (بﺏ), symbole de l’élément air, laisse entendre une note d’espoir dans le dialogue amoureux : Bâ Son amour, forme passée ne dialogue qu’avec le futur7 4 Ibid., p. 27. 5 Baudelaire, Charles, Œuvres complètes, Journaux intimes, « Fusées », Paris : Gallimard, La Pléiade, 1954, p. 1192. 6 Adonis, Commencement du corps fin de l’océan, trad. Vénus Khoury-Ghata, Paris : Mercure de France, 2004, p. 9. 7 Ibid., p. 9. TRAVAUX & DOCUMENTS 76 Le sentiment amoureux, porté vers un horizon indéfini, donne à penser la forme continue du corps féminin tendu vers l’autre et l’inconnu. Au fil des poèmes à la tonalité élégiaque, le poète esquisse de manière surprenante la possibilité d’un amour heureux uploads/Litterature/ letellier-td40.pdf
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- Publié le Dec 18, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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