UN FILM DE XAVIER DE LAUZANNE NOTE D’INTENTION DU RÉALISATEUR ALOEST FILMS ET B

UN FILM DE XAVIER DE LAUZANNE NOTE D’INTENTION DU RÉALISATEUR ALOEST FILMS ET BONNE PIOCHE PRÉSENTENT En explorant cette histoire, j’avais, devant moi, une véritable épopée avec une esthétique particulière, des personnages charismatiques, de l’intensité dramatique, et un sens profond par rapport à l’époque dans laquelle nous vivons. Sur un sujet aussi fort, j’ai eu envie de faire un film qui ne défende aucune cause, aucune idéologie, aucune analyse, mais expose un enchaînement de faits, à partir de la rencontre d’un homme et d’une femme, jusqu’à la création d’une œuvre humaine éblouissante. Cette histoire avait, en elle-même, une charge émotionnelle tellement puissante que le langage sensoriel, et donc le cinéma, me semblait le plus approprié. Pourquoi un film de cinéma ? Les images d’archive L’une des principales caractéristiques de ce projet était qu’il se fondait sur des archives exceptionnelles. Durant l’été 2014, j’ai épluché plus de 350 heures d’images d’archives. D’une part, des bobines 16mm qui ont été tournées en 1978 par Christian et Marie- France lors de leur voyage autour du monde, en camping-car, avec leur quatre enfants et, d’autre part, des images DV, tournées sur la décharge et dans l’école depuis le démarrage en 1996. Le format argentique des images 16mm nous place automatiquement dans une dimension lointaine, soulignant les aspirations de Christian et Marie-France pour l’aventure et préfigurant leur engagement à venir au Cambodge. Le DV, quant à lui, avec son aspect plat et métallique, ses blancs saturés, sa grande profondeur de champs et sa faible sensibilité, nous place directement dans l’enfer brut de la décharge. Ce sont des images chocs, tournée sans artifices, souvent par des amateurs. Le DV est un format révolu, qui a servi de transition entre l’analogique et le HD et s’inscrit maintenant dans l’Histoire de l’audiovisuel. Ce patrimoine pourrait tomber dans l’oubli si des films ne se nourrissaient pas de sa spécificité pour réinventer des formes visuelles. Hors, tomber dans l’oubli, c’est ce que Christian et Marie-France voulaient éviter à propos des témoignages qu’ils récoltaient des enfants. Ce format DV inscrit donc ces témoignages dans l’Histoire et personne ne pourra mettre en doute le martyr que ces enfants ont pu subir. Le DV permet d’identifier ces images comme « anciennes » ; en ne minimisant pas la question de la souffrance, je n’en fait pas non plus un point de mire. Ce qui compte, pour créer un sentiment final positif, ce sont les images d’aujourd’hui, le résultat. Ces images d’archives m’ont permis également de choisir mes personnages. Puisqu’il s’agissait de faire un film de cinéma, je voulais que chaque situation dans le film soit transcrite en image. Il me fallait donc des personnages qu’on voit petits, fouillant dans la décharge, et qu’on puisse retrouver aujourd’hui. Il me fallait donc créer un contraste visuel fort pour montrer au spectateur que le film ne se situe pas dans le passé, triste et violent, mais dans l’espoir que comporte le présent. L’espoir a toujours été ma ligne de mire tout au long du tournage et du montage. Pour cela, il me semblait intéressant d’utiliser les dernières technologies en tournage 4K. Entre le 4K et le DV, l’écart était immense mais, dans une narration soutenue par une émotion forte, il passait étonnamment bien. D’autant plus que, pour « aggraver » le tout, les images DV ont été numériquement étirées afin de les faire entrer dans le format 2:35 qui a été choisi pour le film. Ces images d’archives, dégradées, s’opposent ainsi frontalement au format 4K, créant une alternance qui nous fait voyager dans l’histoire. Au delà du format 4K, qui n’est pas encore très utilisé pour le documentaire, nous avons aussi diversifié nos techniques de tournage : grue, travellings, caméras girostabilisées, stedycam, drones… pour que l’image soit ambitieuse et qu’elle puisse caractériser cette école en tant « qu’œuvre » à part entière. L’alternance La mise en scène Dans mes long-métrages documentaires précédents « D’une seule voix » et « Enfants valises », il n’y a pas eu de mise en scène au sens strict du terme. Je travaillais avec l’inattendu et je construisais ma narration au montage. Le choix de l’authenticité était primordial pour donner aux spectateurs une émotion juste par rapport au sujet. J’étais dans la recherche d’une vérité pure. Avec la caméra, cela nécessitait d’être en permanence aux aguets et de tourner beaucoup. Après, dans la façon de tourner et de monter, il y a toujours un point de vue et donc une forme de mise en scène, mais elle devait respecter le réel et ne pas être soumise au dictat de mes propres fantasmes. Pour « Les Pépites », même si la narration n’est toujours pas conduite par une voix of, le principe est différent. Ce qui compte ici, ce n’est pas le naturalisme, mais le récit, à la manière d’une fiction. Tout est construit autour de l’histoire de mes personnages. Quand je tourne, je sais précisément ce que je veux dire, les sentiments que je veux faire partager et vers quelle finalité je veux aller. Même s’il y a toujours une part d’inattendu, je fais de la mise en scène pour condenser une histoire gigantesque en à peine 1h30, tout en essayant, bien sûr, de ne pas trahir la réalité. C’est ainsi que j’ai imaginé placer des grands panneaux de photos représentant des images d’archives dans les lieux actuels et de les filmer en travelling. Cela me permettait de connecter visuellement, et dans un même plan, le lieu et l’idée originelle de l’école. Vers la fin du film, les histoires du bouquet de fleur et du tableau m’ont aussi permis de traiter en un seul plan les questions de la reconnaissance et de la nuance (la réussite ne peut être totale). Le symbole est souvent plus rapide et plus puissant que l’énumération et il nécessite d’être mis en scène. D’autre part, j’ai pu bénéficier, avec les élèves, d’un nombre de figurants considérable, ce qui est exceptionnel pour un documentaire. Avec la collaboration des enseignants et de la direction de l’école, j’ai pu imaginer quelques scènes magistrales comme l’ouverture du portail, la danse, le rassemblement autour du drapeau, la fête... Je ne trahi pas la réalité car ce sont des évènements courants au sein de l’école. Mais pour leur donner de l’ampleur il fallait, dans ses plans, une forte connotation symbolique, ce qui nécessite une mise en place programmée. Le langage sensoriel On peut confondre parfois le reportage et le documentaire. La frontière entre ces deux genres est poreuse. Certains documentaires, notamment quand ils comportent un travail d’investigation, sont très proches du grand reportage. Mais la différence se situe au niveau du point de vue et de la forme : journalistique et donc « objectif » pour le reportage, personnel et donc « subjectif » pour le documentaire. Dans mes films, le langage sensoriel prime sur l’analyse. J’ai toujours pensé que le réel existait plus intensément dans les émotions que dans les mots exacts. Cette forme de discernement m’atteint plus en profondeur et plus durablement. Etre cinéaste, comme le dit André Téchiné, c’est « dégager en 90mn, avec le plus de pugnacité possible, le poids de la chair et l’essence d’une vie ». Je me retrouve aussi dans cette phrase d’Alain Cavalier : « Je ne suis pas un documentariste, je suis plutôt un amateur de visages, de mains et d’objets ». Dans mes films, ce n’est pas la politique qui rejoint l’intime mais l’intime qui rejoint la politique. C’est en entrant dans l’intimité de mes personnages, en m’attachant essentiellement à leur ressenti, en créant des ponts avec l’universel, que je les inscrit dans une dimension militante et politique. En transcrivant l’histoire de Christian et Marie- France, l’objectif était de faire ressentir aux spectateurs la charge émotionnelle qui a été le déclic de leur engagement. Ils n’ont pas été convaincus par des mots, par une morale, ni même par une analyse, mais par un choc sensoriel qui a bouleversé leur vie. Les grands discours ne vaudront jamais le fait de se confronter émotionnellement à chaque situation. Dans la vie, le point d’engagement se situe presque toujours au niveau de l’affect. Christian et Marie-France on posé leurs valises au Cambodge en rencontrant des enfants sur une décharge, et les enfants ont changé de destin en faisant de Christian et Marie-France leur « Papy et Mamie ». Tout le film est construit autour de cette notion. La domination Quand on dit que l’on va faire un film documentaire de cinéma sur une œuvre « humanitaire », cela suscite plus de réticence que d’enthousiasme. Dans l’inconscient collectif traine toujours des images tendancieuses : misérabilisme, patos, affaires suspectes et, surtout, bon sentiment, aide condescendante du « blanc envers les petits noirs ». Celui qui aide Quand je regarde un film, si j’éprouve un sentiment d’ennui, c’est que quelque chose ne va pas. Tous les gens, dans le milieu du cinéma, ne pense évidemment pas la même chose mais, pour moi, la forme, aussi originale soit-elle, ne peut jamais compenser l’ennui. L’ennui est la bête noire du cinéma uploads/Litterature/ lettre-du-realisateur.pdf

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