8 2 • L I R E É T É 2 0 1 1 LES ÉCRIVAINS DU BAC olette en quelques clichés : l
8 2 • L I R E É T É 2 0 1 1 LES ÉCRIVAINS DU BAC olette en quelques clichés : l’écrivain enraciné, d’abord, qui a toute sa vie conservé l’accent rocailleux de sa Bourgognenatale,une«voix de syrinx où perchait/Avec toutes les variations d’un Beaune/Le roulementdes r comme un vin dans le chai1». La jeune femme ingénue ensuite,quidébutacomme«nègre»deson premier mari. Ainsi les Claudineparurent sous le nom de Willy. Femme trompée, écrivain exploité, la petite Bourguignonne effacée se mua en Parisienne émancipée. Entre 1906 et 1912, ce fut l’endroit du music-hall : images de pantomime lascive et de danseuse du Moulin-Rouge, la poi- trine avenante offerte sur scène aux re- gards, et Colette vedette de défrayer la chronique parsesamourssaphiques,avec notamment la fille du duc de Morny, la célèbre Missy. Entre deuils et ruptures, l’envers du décor était sans doute moins pétillant. A l’ap- prochedelaquarantaine,elle épousa la carrière de jour- naliste, puis son rédacteur en chef, Henry de Jouvenel. Et voilà Colette, baronne, épouse et mère. Son second mari n’étant pas moins vo- lage que le premier, elle se mit, à quarante- sept ans, à jouer les Phèdre bourgeoises initiant son beau-fils Bertrand aux plaisirs de la chair. Son œuvre littéraire ne cessait de s’étoffer, romans, nouvelles et articles imposant au fil des années un «style Colette». Restait à façonner son dernier rôle, celui de l’écrivain installé, de la femme respectable, de la grand-mère des lettres. Ce fut le «vieux faune» de l’aca- démie Goncourt, qu’on flattait et qu’on ai- mait parce qu’elle réconciliait en sa per- sonne deux France qui ne s’appréciaient pas tant que cela, celle, terrienne et bu- colique, de ses «années d’apprentissage», et celle, citadine, des transgressions, du libertinage amoureux et du music-hall… Mais ces instantanés comptent moins que ce qui les lie : une vie rien moins que ba- nale, un lent et patient travail pour deve- nir Colette, ce qui n’est pas rien. Saint-Sauveur-en-Puisaye, petite bour- gade de l’Yonne non loin d’Auxerre, la vit naître et grandir, dans une famille qu’au- jourd’huiondirait«recomposée».Lepère, le capitaine Jules-Joseph Colette, vétéran de la guerre de Crimée, avait perdu sa jambe peu après Magenta (1859). Il avait desvelléitésd’écriture,maisn’écrivaitpas. Homme cultivé, il lui fit dé- couvrir Balzac et contribua à former son goût pour la langue. Reconverti en per- cepteur à Saint-Sauveur, il épousa en 1865 Sidonie Landoy, veuve de Robineau- Duclos,lafameuseSido.Elle était déjà deux fois mère : de Juliette, «la sœur aux longs cheveux» qui devait se suici- der en 1908, et d’Achille, «l’aîné sans ri- vaux», en fait le puîné, un demi-frère qui fut pour Colette plus qu’un frère. De cette unionnaquitd’abordLéopold(1866),puis, le 28 janvier 1873, Sidonie-Gabrielle, la fu- tureColette.Enfancefrugale,sansconfort ni luxe : les affaires n’étaient pas le fort du percepteur, même si on l’accusa un peu vited’êtreresponsabledelamauvaiseges- tion qui devait entraîner la ruine partielle des biens de Sido. «Il l’aimait sans mesure – il la ruina dans le dessein de l’enrichir –, elle l’aimait d’un invariable amour, le trai- tait légèrement dans l’ordinaire de la vie, mais respectait toutes ses décisions2.» Cette enfance, somme toute heureuse, fournit à l’écrivain la matière d’une bonne partie de son œuvre, depuis les Claudine jusqu’aux romans de la maturité. Sido m’était contée D ans ses premières œuvres, Colette n’évoque guère sa mère : le person- nageClaudineestsignificativement orphelinedemère.SidonieLandoydevint pourtantunmotifrécurrentpourl’écrivain à partir de La maison de Claudine(1922) dont le titre, imposé par l’éditeur, masque le fait qu’il n’appartient pas à la série dite des Claudine. Colette y décrit sa mère ainsi : «[…] elle vécut balayée d’ombre et delumière,courbéesousdestourmentes, résignée, changeante et généreuse, parée d’enfants, de fleurs et d’animaux comme undomainenourricier.»Sido,bourgeoise laïque, domine particulièrement Lanais- sance du jour (1928), récit poétique plus que fiction romanesque et, bien sûr, Sido (1930). «Je suis la fille d’une femme qui, dans un petit pays honteux, avare et res- serré,ouvritsamaisonvillageoiseauxchats errants, aux chemineaux et aux servantes enceintes3.»Al’encroire,Sidoavaittrans- misàColette,outresesdonsd’observatrice etsonsensdelavie,unesingulièresagesse liée à la terre, toute d’attention aux bêtes, auxplantesetauxsaisons:«Tun’esqu’une petitemeurtrièredehuitans…dedixans… COLETTE De la «scandaleuse» à la «bonne dame du Palais-Royal», les légendes ont fleuri autour de la romancière. Elle en était parfois à l’origine, nourrissant à sa guise son œuvre par sa vie et ses amours. Un demi-siècle après sa mort, elle reste une femme libre. C Fait unique dans l’histoire littéraire, Colette ne tira aucun profit direct des ouvrages qui firent sa notoriété Tunecomprendsrienencoreàcequiveut vivre4.» Mais n’allons pas en conclure que Sido était une paysanne (pas plus que sa fille d’ailleurs). Certainement fervente de la «campagne pure», elle fut aussi une de cescitadinesquelavieavaitexiléesenpro- vince, figure tutélaire d’une enfance où, d’après Colette, «avant lui [Willy] tout ne futquerose».Mais,ajoute-t-elle,«qu’aurais- je fait d’une vie qui n’eût été que rose?». Le mariage de Juliette (et les comptes de tutelle qu’il impliquait) révélant la mau- vaise gestion du foyer Colette-Robineau- Duclos, on déménagea chez le frère, à Châtillon-sur-Loing. Sidonie-Gabrielle, jeunefemmedevingtanssansdot,futplus ou moins donnée en mariage au fils d’un camarade de promotion du capitaine Colette,HenriGauthier-Villars,surnommé àParisdusobriquetdeWilly.Ilavaittrente- quatre ans, pesait cent cinq kilos et sa cal- vitieenfaisaitunhommevieilliavantl’âge. Maisd’unautrecôté,ilmenaituneviemon- daineetparisiennebrillante:critiqued’art, critique musical – il avait contribué à as- seoir la réputation de Wagner – et auteur de romans à succès que le plus souvent il n’écrivait pas lui-même. Colette se ma- ria sans trop voir chat en poche, le 15 mai 1893. Cela faisait une bouche de moins à nourrir à Châtillon et une existence nou- velle pour Colette qui, ingénue pas encore libertine, se retrouva rue Jacob. Parcequ’ellesefaisaitmalàsavie,loin de ses racines, elle se mit à raconter son enfance à son mari. Willy comprit vite toute la richesse de ces souvenirs et lui conseilla de les coucher par écrit. Il ne fit d’abord rien de ces cahiers qui devaient fournirlematériaudespremiersClaudine. Puisilseravisaetcompritqu’ilyavaitchez safemme,titulairedubrevet élémentaire, un talent littéraire insoupçonné. La nos- talgie du pays natal et l’intelligence d’un Pygmalion plus ou moins de fortune ré- vélèrent Colette à elle-même et ce qui de- vait être sa destinée : écrire. Colette s’enva L e premier Claudine à l’école (1900) trouva son public. Willy, publicitaire avisé qui avait avant l’heure le génie delamercatique,exploitalefilonenconju- guant déclinaisons en série des Claudine et produits dérivés à l’effigie de l’héroïne créée, sous son label, par sa femme. Voilà MonsieurWillys’enrichissantdulabeurde Madame,qu’iltrompegaillardement,l’adul- tère étant à l’époque un sport national. Le pièges’étaitrefermésurSidonie-Gabrielle. N’étant pas propriétaire des fruits de son travail, elle ne pouvait facilement se libé- rer de l’emprise de celui qui était en quelque sorte son négrier. Fait unique ou presque dans l’histoire littéraire, Willy, propriétaire exclusif ayant vendu en 1907 les droits des Claudine, Colette ne tira au- cun profitdirectdesouvragesquifirent sa notoriété ! Lasse d’exploiter pour un autre un fi- lon qui d’ailleurs tendait à se tarir, et de plus en plus consciente de ses dons, Colette écrivit un Claudine s’en va(1903) avantdes’enallerelleaussi.Ilnefaut sans doute pas prendre pour argent comptant la mise au point tardive intitulée Mes ap- prentissages (1936) dans laquelle Colette éreintaWilly,lerendantresponsabledeses malheurs. Dès les Claudine, Colette avait épanché son amertume en prêtant au per- sonnage du «gros Maugis» – la «manie de B.LIPNITZKI/ROGER-VIOLLET BIOGRAPHIE 28 janvier 1873 : naissance à Saint- Sauveur-en-Puisaye (Yonne). 1893 : mariage avec Willy. 1900 : parution de Claudine à l’école, succès immé- diat. 1912 : en septembre, mort de Sido; en décembre, mariage avec HenrydeJouvenel.1922:Chéri.1923: Leblé en herbe. 1928 : Lanaissance du jour, autofiction poétique. 1930 : Sido. 1944 : Gigi. 3 août 1954 : mort à Paris. BIBLIOGRAPHIE Œuvres : I Œuvres complètes, Flammarion/ Le Fleuron, 15 vol., 1945-1950. IQua- trevolumes de La Pléiade (dir. Claude Pichois). I Un volume de LaPocho- thèque (dir. Francine Dugast) regrou- pe les romans (sauf les Claudine et les Minne). I Romans, Récits, Sou- venirs (éd. Françoise Burgaud), coll. Bouquins, 3 vol., 1989. En poche : nombreuses éditions sé- parées chez Folio et au Livre de po- che. En Garnier-Flammarion, La nais- sance du jour, Fin de Chéri et Le blé en herbe (coll. Etonnants classiques). Correspondance : ILettres à Marguerite Moreno, 1959, Flammarion.ILettresàMissy,Flam- marion, 2009. I Lettres à sa fille de Sido, précédées deLettres inéditesde Colette, Editions des femmes, 1984. Biographies : I Germaine Beaumont, André Pari- naud,Coletteparelle-même,Ecrivains de toujours, Minuit, 1981. I Herbert Lottman,Colette,Folio,1992.IClaude Pichois, Alain Brunet, Colette, De Fal- lois, 1999; Le Livre de poche, 2000. I Julia Kristeva, Le génie féminin (t. III), Colette, Fayard, 2002 ; Folio Essais, 2004. Notre Colette, Interfé- rences. I Madeleine Lazard, Colette, Folio Biographies, 2008. Sur Colette : IThierryMaulnier,IntroductionàCo- lette, 1954. I Robert Phelps, Colette. Autobiographie tirée des œuvres de Colette,Fayard,1966.INicoleFerrier- Caverivière,Colettel’authentique,PUF Ecrivains, 1997. I Michel del Castillo, Colette, une certaine France, Stock, 1999; Folio, 2001. I Guy Ducrey, L’ABCdaire de Colette, Flammarion, 2000. I Albine Novariono, Béatrice Mandopoulos,Coletteoulasaveurdes mots, Milan, 2004. I Julia Kristeva, Colette, le génie féminin, Editions de l’Aube, 2007. Audiovisuel : Colette, une femme insoumise, LesGrandesHeures,INA/RadioFrance (entretiens avec André Parinaud). Documentaires : Yannick Bellon, Colette, 1950. I Jacques Tréfouël, Colette 1873-1954, Bibliothèque Centre Pompidou, INA. Adaptations : IJacquelineAudry,Minne.L’ingénue libertine (1949). I Jacqueline Audry, Gigi (1950), Mitsou (1956). I Claude Autant-Lara, Leblé en herbe (1954). I Nadine Trintignant, Colette, une femme libre (2002, avec Marie Trinti- gnant).IStephenFrears,Chéri(2009). É T É 2 0 1 1 L I R uploads/Litterature/ lir0397-082-085-ecriv-bac-les-ecrivains-du-bac 1 .pdf
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- Publié le Jan 01, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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