M. Alain Rabatel L'introuvable focalisation externe. De la subordination de la
M. Alain Rabatel L'introuvable focalisation externe. De la subordination de la vision externe au point de vue du personnage ou au point de vue du narrateur In: Littérature, N°107, 1997. Récits anterieurs. pp. 88-113. Abstract The Unlocatable External Source of Focalisation Genette defined three sources of point of view, narrator, character, and one located within the diegesis but delivering only that information which and extra-diegetic source would have: a source of "external focalisation". This concept ultimately depends on confusion, between source and object of focalisation, or between internal and external focalisation, while the latter dichotomy is unsustainable. Citer ce document / Cite this document : Rabatel Alain. L'introuvable focalisation externe. De la subordination de la vision externe au point de vue du personnage ou au point de vue du narrateur. In: Littérature, N°107, 1997. Récits anterieurs. pp. 88-113. doi : 10.3406/litt.1997.1592 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1997_num_107_3_1592 ■ ALAIN RABATEL, i.u.f.m. de lyon* L'introuvable focalisation externe De la subordination de la vision externe au point de vue du personnage ou au point de vue du narrateur a définition de la focalisation externe a toujours posé problème : les consi dérations nombreuses et, surtout, fluctuantes, autour de ce soi-disant type ■« neutre », « objectif », « impartial » témoignent des difficultés à définir son statut. Ce qui frappe le spécialiste, c'est d'abord l'absence de critères contrastifs linguistiques discriminant les différents types de focalisation, cette absence se faisant particulièrement sentir pour la focalisation externe par rapport à la foca lisation zéro. C'est ensuite une polarisation sur l'objet, les justifications de focali sations externes (personnage-objet-décrits-dans-leur-aspect-physique-extérieur) argumentant essentiellement à partir du contenu thématique de l'objet décrit, et rarement à partir de critères linguistiques, sinon pour faire remarquer que « le narrateur ne donne pas son avis »... La thèse que nous entendons défendre considère que ces confusions mass ives dans le repérage des focalisations, dont nous allons donner quelques exemp les, révèlent la faiblesse de la notion de foyer, à l'origine des focalisations. La recherche d'un énonciateur textuel auquel attribuer un point de vue amène à prendre ses distances avec l'existence d'une focalisation externe autonome, en raison de l'absence de focalisateur spécifique. Cette conclusion se trouve renfor cée par l'examen du focalisé, au point qu'il paraît plus juste de parler de vision externe, subordonnée (tout comme son corollaire, la vision interne) tantôt au point de vue du personnage, tantôt à celui du narrateur. À LA RECHERCHE DE L'HYPOTHÉTIQUE FOCALI SATEUR DE LA FOCALISATION EXTERNE Rappelons que pour Genette, « en focalisation externe, le foyer se trouve situé en un point de l'univers diégétique choisi par le narrateur, hors de tout LITTÉRATURE * Ce travail a été mené dans le cadre des études du Centre d'études linguistiques des textes et des discours de n° 107 - oct. 97 l'université de Metz, animé par A. Petitjean. L'INTROUVABLE FOCALISATION EXTERNE personnage, excluant par là toute possibilité d'information sur les pensées de quiconque » (Genette, 1983, 50). En réalité linguistique, les assertions, qualifica tions, modalisations renvoient, dans un récit, au personnage, ou au narrateur (soit aux deux, dans les cas de polyphonie) ; mais on ne voit pas à quoi corres pondraient des qualifications ou modalisations qui ne coréféreraient ni à l'un ni à l'autre. En sorte que l'instance énonciatrice ne peut être que le narrateur ou le personnage. On conviendra ici d'appeler focalisateur l'instance à laquelle rap porter les perceptions, pensées exprimées par le biais des « phrases sans parole » analysées par Banfield (1), c'est-à-dire d'énoncés qui ne relèvent pas de l'énon- ciation personnelle, mais qui, en dépit du fait qu'ils comportent la troisième personne, et des temps du passé, renvoient à la subjectivité du focalisateur (narrateur ou personnage). La recherche de ce focalisateur est indispensable, faute de quoi l'on tombe dans des travers que révèlent les analyses suivantes (2). Confusion entre le focalisé externe et le « focalisateur externe » (ou confusion entre focalisation sur et focalisation par) Ainsi, les exemples (1), (4) confondent focalisation zéro et focalisation externe, en raison d'une double erreur qui, à partir d'une conception erronée de la focalisation zéro, conduit à survaloriser les visions externes, et à leur donner un statut de focalisation qu'elles n'ont pas : Labouret et Meunier privilégient l'analyse de l'objet (textuel) focalisé, au détriment de l'analyse linguistique du focalisateur à l'origine du mode de référenciation de l'objet. — (1) L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beau coup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. (Zola, Germinal, cité in Labouret et Meunier, 1994, 146) Labouret et Meunier considèrent qu'à l'exception de la première phrase, tout l'extrait illustre la focalisation externe dont ils ont précédemment donné la définition suivante : Les informations données au lecteur restent en deçà de ce que sait le personnage. N'est décrit et raconté que ce qui peut être vu de l'extérieur, à partir d'une position neutre. Les faits et gestes sont présentés d'un point de vue purement 89 1 Cf. Banfield, 1995, 154 à 164 notamment. 2 Nos exemples sont limités (façon de parler) aux récits hétérodiégétiques. Nos conclusions sont toutefois LFITÉRATURE transposables aux récits homodiégétiques : mais cela demanderait à être démontré... n° 107 - ocr. 97 ■ RÉFLEXIONS CRITIQUES objectif, tels qu'ils pourraient être enregistrés par l'œil d'une caméra, sans l'inte rprétation d'une conscience. On ne connaît donc pas les pensées des personnages décrits. (Labouret et Meunier, 1994, 146) II y a effectivement ici une description de l'aspect extérieur du person nage, mais il nous semble abusif d'affirmer que nous avons là une description objective, telle qu'elle pourrait être enregistrée par une caméra (comme si, d'ailleurs, les caméras étaient garantes de l'objectivité !). D'abord, les informat ions données sont surabondantes, qu'elles concernent « le coton aminci » de la veste, le « velours » du pantalon, le « mouchoir à carreaux », ou encore les mains « gourdes ». Non seulement la description fournie par le narrateur est, dans cette situation, étonnamment précise, mais encore elle est éminemment subjective, du fait fondamental que c'est le narrateur qui est à la source des qualifications. Ainsi, c'est lui qui est à l'origine des qualifications sur le coton « aminci » (3), le pas « allongé », le « petit » paquet : ce sont là des adjectifs évaluatifs (non axiologiques), dont la caractéristique est de renvoyer à une dou ble norme d'évaluation, la première, interne à l'objet décrit, et la seconde, in terne à l'énonciateur. Par conséquent, il est possible de déceler une subjectivité dans cet extrait ; ces premières traces sont certes bien minces, mais ce ne sont pas les seules. En effet, tout concourt à faire comprendre au lecteur la détresse dans laquelle se trouve Etienne Lantier. En outre, le verbe le « gênait » présup pose que le narrateur accède à la conscience du personnage, tout comme l'ad verbe « beaucoup ». Au demeurant, si l'on ne partageait pas cette interprétation, alors il faudrait considérer que « beaucoup », exprimant une quantification sub jective du narrateur, ainsi que la subjectivité de la métaphore « les lanières du vent d'est », sont aux antipodes de cette affirmation de neutralité et d'objectiv ité, et témoignent de cette forte subjectivité coréférant au narrateur anonyme cherchant à susciter chez le lecteur des sentiments de sympathie, ou, à tout le moins, de commisération, pour son héros. De plus, ces détails peuvent difficilement être « vus de l'extérieur », dans le régime de la fiction réaliste, pour la bonne raison qu'il fait nuit noire... comme le premier paragraphe de l'incipit, juste avant l'extrait cité, le précise à deux reprises, à ces points stratégiques que sont l'ouverture et la fermeture du para graphe : la scène se passe « sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre », « au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres ». Resituons donc (1) dans son contexte antérieur immédiat (2), afin de mieux faire ressortir les limites des analyses de Labouret et Meunier. Q/"\ 3 « Aminci », c'est-à-dire, ici, usé, est bien un évaluatif non axiologique. Qui plus est, il présuppose un savoir /U du narrateur supérieur à ce qu'un observateur extérieur pourrait savoir à cet instant et en ce lieu : si le narrateur qualifie le coton d'« aminci », cela présuppose qu'il savait que le tissu était plus épais, à une époque antérieure, LITTÉRATURE et surtout qu'il veut le faire savoir à son lecteur. La présence du narrateur comme instance focalisatrice est n° 107 - oct. 97 exprimée par ce qu'il perçoit, sait, et évalue, et parce qu'il perçoit, sait, et évalue. L'INTROUVABLE FOCALISATION EXTERNE ■ — (2) Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait uploads/Litterature/ rabatel-a-l-x27-introuvable-focalisation-externe.pdf
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- Publié le Jui 21, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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