1. Bref historique des lectures de la Bible : de la tradition à la lecture litt
1. Bref historique des lectures de la Bible : de la tradition à la lecture littéraire C’est dans la Bible que l’Occident a appris à lire : c’est sur elle, comme sur les textes fondateurs de tradition greco-latine, qu’il a exercé son intelligence critique, à partir d’elle qu’il a mis en place des méthodes de lectures qui sont devenues pérennes et dont les études littéraires, que nous en soyons conscients ou non héritent. Bien sûr, ce même regard critique, à partir du XVIe siècle notamment, se retourne contre la Bible et en démonte l’architecture, pour mettre en évidence ce qu’il croit être ses lacunes, ses défauts ou ses manquements à la vérité historique. Mais le fait est là : si nous sommes coutumiers d’une lecture à plusieurs niveaux d’un texte, qu’il soit d’ailleurs littéraire ou pas, c’est que, remontant au judaïsme et aux méthodes de lecture hébraïques, une longue tradition nous a enseigné à le faire. Les méthodes traditionnelles de lecture - Les Pères de l’Eglises L’exégèse chrétienne est un héritage des Pères de l’Eglise[1], lesquels, entre le IIe et le Ve siècles, surtout, vont s’attacher à montrer que le Nouveau Testament est une interprétation, une lecture de l’Ancien Testament.[2] Saint Irénée notamment, évêque de Lyon au IIe siècle, veut montrer que l’Ancien Testament n’est pas l’œuvre d’un Dieu inférieur, mais que le même Dieu est à l’œuvre dans les deux testaments. Clément d’Alexandrie, son contemporain, met en place une théorie du symbolisme de la Bible. Origène, suivi par bien d’autres Pères (saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise, saint Augustin…), inaugure une interprétation allégorique des textes. - L’exégèse médiévale Après Saint Augustin en Occident et Théodoret de Cyr en Orient, nous entrons dans l’époque dite des commentaires des Pères : les exégètes composent des manuels qui rassemblent des citations des Pères, citations que l’on retrouve aussi en marge des textes sacrés. Les commentateurs proposent une lecture à partir d’un Père pris comme autorité principale (par exemple saint Jean Chrysostome). Avec le commentaire des Pères se transmet leur théorie et pratique, dite des quatre sens de l’Ecriture, qu’Origène semble avoir été le premier à formuler dans la tradition chrétienne[3] : - le sens littéral ou historique ; - le sens allégorique ou spirituel (il interprète un passage de l’Ancien Testament à la lumière de la vie du Christ) - le sens tropologique ou moral ( règles de conduites) - le sens anagogique ( fin dernière à laquelle est promis le croyant, en interprétant le Nouveau Testament). L’exégèse médiévale, jusqu’au XIVe siècle, reste fidèle aux Pères ; mais progressivement on assiste à la séparation de la théologie et de l’exégèse et la Renaissance inaugure une ère d’interprétations nouvelles. Sortir de la tradition : de la Renaissance jusqu’au XIXe siècle A partir de la Renaissance, science et foi commencent à se séparer : la Bible devient objet d’investigation scientifique, tandis que l’Humanisme revendique une lecture personnelle des textes sacrés, rendus plus accessibles par leur traduction dans les langues européennes. Mais les changements décisifs, en matière de critique textuelle de la Bible viennent des siècles suivants : - Richard Simon, en 1678, dans son Histoire critique du Vieux Testament, démontre que Moïse n’a pu écrire le Pentateuque actuel. Il est condamné par Bossuet. - Jean Astruc, en 1753, publie un ouvrage dont le titre laisse transparaître clairement le propos : Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moïse s’est servi pour composer le Pentateuque. - Au XIXe siècle, l’idée que Moïse n’a pu composer des textes rédigés entre les IXe et Ve siècles avant Jésus Christ va de soi pour de nombreux chercheurs. La théorie des quatre documents qui auraient servi à composer le Pentateuque[4] est mise en place par Julius Wellhausen : Yahviste, Elohiste, Deutéronomiste, Sacerdotal. - L’histoire devient une science pilote, qui se veut critère définitif de la vérité des textes bibliques. Le non historique est rejeté comme erroné. - Les textes babyloniens issus des découvertes archéologiques révèlent leur parenté avec plusieurs récits bibliques. Le XIXe siècle aboutit ainsi à une histoire comparée des religions dont les objectifs avoués sont de réduire les récits bibliques à des mythes semblables à ceux des religions antiques, à débarrasser les textes du merveilleux et du surnaturel. Cette même période voit l’efflorescence des vies de Jésus, celle de Renan étant la plus célèbre (1863). Au XXe siècle Les méthodes de lecture de la Bible qui tiennent le haut du pavé sont issues de ces trois siècles de remise en cause des fondements historiques des textes. D’abord menée par les adversaires de la foi chrétienne, la critique historique se développe surtout en milieu protestant. Mais, en 1903, le père Lagrange, chez les Catholiques, admet l’autonomie de la science historique et sa place, relative mais importante, dans le champ de l’exégèse : les récits de Création et le déluge, admet Lagrange, n’appartiennent pas à l’Histoire ; cependant, il faut distinguer les genres littéraires dans la Bible et voir ce qu’ils cherchent à nous dire. La méthode historico-critique et ses différentes branches : - La critique textuelle : elle vise à l’établissement du texte, à partir des variantes, des manuscrits. - La critique des sources : elle cherche à établir si le texte étudié est de la main d’un seul auteur ou s’il utilise des textes préexistants. Examen des doublets, des répétitions, des incohérences ; les changements de style, de vocabulaire, de genre… - L’histoire des formes (critique socio-littéraire) veut découvrir le milieu où se sont formés les textes. Elle classe les textes en genres littéraires (récits de miracles, oracles, prières de supplications…) et retrouve les formes les plus primitives et pures, rattachées au milieu de vie qui les a produites. - L’approche comparative : veut mettre en parallèle les textes bibliques et les textes extra- bibliques de manière à examiner les ressemblances et les dissemblances entre ces deux catégories de textes. - L’histoire de la rédaction : elle naît dans les années 50, en réaction contre l’histoire des formes, mais avec l’exigence d’utiliser ses acquis. Cette méthode de lecture ne prétend pas mettre en évidence la réalité des faits ni le milieu qui les a produits, mais la vision du monde, la théologie du rédacteur qui réutilisa les matériaux de la tradition orale. Vers une approche littéraire des textes bibliques Dans le courant du siècle, bien d’autres perspectives sont apparues : la psychanalyse, la linguistique et notamment la sémiotique se sont emparées des textes bibliques et les lisent à la lumière de leur savoir.[5] Mais, tandis que dans les milieux de l’exégèse et de l’enseignement la perspective historico-critique reste majoritaire, dans le courant des années quatre-vingt, une nouvelle approche s’est affirmée. Le livre fondateur de cette nouvelle approche, nommée « analyse narrative », est celui de Robert Alter, « The Art of Biblical Narrative », publié en 1981[6]. Cette école américaine a aujourd’hui de nombreux relais, notamment en France et en Belgique, sous l’impulsion, entre autres, de Daniel Marguerat et d’André Wénin. [7] Loin de l’obsession de « l’Abraham de l’histoire », du « Jésus de l’histoire », en marge donc de la méthode historico-critique qui nie la cohérence des textes bibliques et se contente de voir dans leurs auteurs de simples compilateurs plus ou moins habiles, l’approche narrative part du présupposé que ces textes sont au contraire extrêmement cohérents sur le plan narratif. Cette méthode d’analyse se propose donc de laisser parler le texte, de mettre en évidence son intelligence narrative et de construire un sens avec l’aide du lecteur. Un texte qui, comme le rappelle Paul Ricœur « orphelin de son père, l'auteur, devient l'enfant adoptif de la communauté des lecteurs. » Cette exigence d’un sens du texte à construire par le lecteur était déjà celle de Montaigne : « La parole, disait-il, est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l’écoute » Comme la sémiotique, l’analyse narrative reçoit le texte comme un tout, tel qu’il se présente au regard du lecteur. Elle voit en lui une totalité signifiante ; elle s’intéresse à ce qui fait tenir ensemble le récit (l’intrigue) et discerne le rôle capital que jouent les personnages dans l’histoire racontée.[8] Certes, le ou les auteurs des textes bibliques restent le plus souvent inconnus ; mais cet anonymat n’empêche pas de postuler l’existence d’un « auteur implicite ». Qui que soit l’auteur, il est à l’origine de la stratégie narrative à l’œuvre dans son récit. Voici, pour terminer, comment Daniel Marguerat présente cette méthode de lecture : « Mais sur quels éléments travaille la lecture ? Quelle stratégie le narrateur a-t-il adoptée pour orienter la lecture ? Comment donne-t-il le rythme à sa narration ? Par quels moyens déclenche-t-il adhésion ou répulsion envers ses personnages ? Comment fait-il connaître son système de valeurs ? Que cache-t-il au lecteur ? Voilà le type de questions auxquelles s'intéresse l'analyse narrative. » Et plus loin : « L’analyse narrative s'attache à déterminer par quelles procédures le narrateur construit un récit dont l'opération de lecture va libérer l'univers narratif. Elle se donne les moyens uploads/Litterature/ lnkd-lkt-by.pdf
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- Publié le Mar 30, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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