Les Cahiers de l'Actif - N°282/283 165 Correspondance I. L'AFFECTIF Une syntaxe
Les Cahiers de l'Actif - N°282/283 165 Correspondance I. L'AFFECTIF Une syntaxe institutionnelle bien commode Les sentiments triviaux, intimes, familiaux sont transposables à l'iden- tique dans l'institutionnel. L'Institution les porte, les habille, les coiffe et les valorise. L'amour du travail bien fait, le courage, le sérieux, l'éducation, l'obéis- sance, l'honnêteté, la fidélité, la reconnaissance, la politesse, la pro- preté sont encouragés et constituent de solides viatiques. Manager à l'affectif ! Jean-Louis Léonard Directeur Centre Hospitalier d'Armentières (59) D'un point de vue sociétal, psychologique et existentiel, le Management est, entre autres, l'incarnation symbolique de trois désirs : le désir du Manager, celui des Tutelles1 (ou du marché) et celui de l'Institution2 (le collectif). “Le désir de l'Homme-Manager” est à la fois visible et caché, lisible et secret, logique et irrationnel, professionnel et profane, humain et inhumain, conscient et inconscient, langagier et corporel... Le langage dit affectif est d'une lecture commune, aisée et compréhensible par tous. Levier commode, fonctionnant bien, car il parle à tout un chacun, sans médiation, sans médium, directement. C'est un code relationnel sans code, dans lequel tout l'Humain se love et se livre, au centre duquel tout l'Institutionnel est inscrit. La tentation est donc grande, d'en vivre professionnellement et de s'en servir au fil du temps, qu'on soit manager ou/et managé. 1. S'exprime au travers d'une politique sanitaire, économique, etc. 2. Traduit par l'idée dominante. Correspondance Les Cahiers de l'Actif - N°282/283 166 Les qualités de cœur, le respect, le dévouement, l'exemplarité, l'empa- thie, la compassion, l'amitié, la sensibilité se révèlent être aussi d'ex- cellents traits d'union. Certes, la fragilité émotive et l'émotivité, par contre, ne sont pas acceptées. Ces sentiments sont stigmatisés comme étant aprofessionnels. Incom- patibles en tout cas avec une fonction d'autorité qui requiert, elle, soli- dité, fermeté et impavidité en regard de situations critiques, de dé- tresse, de souffrance. Le leader doit se montrer impassible, imperméable et insubmersible face aux montées de violence, aux situations de stress, aux bouffées d'angoisse et ce, au risque d'être invalidé et délégitimé. Ce faisant, le Manager et le managé s'inscrivent, tous deux, dans le registre de la reconnaissance mutuelle et réciproque. Leurs égos ont faim et ont soif. Des marques d'estime, d'encouragement, de séduc- tion, de félicitations sont toujours les bienvenues. Chacun tend son miroir à l'Autre. Le Manager et le managé aiment se voir renvoyer une image flatteuse. NARCISSE est au cœur de l'institution. NARCISSE est au cœur de chacun d'entre nous. Dans le déroulé de cette chaîne affective, la plupart des acteurs s'y sentent bien. En pays familier. En territoire balisé, connu. En bonne place. Ce mode d'expression est sans surprise. Certes, ce système relationnel comporte son lot d'avantages, son flot d'inconvénients. Ainsi, d'instinct, on sait nager, faire avancer une idée, un dossier, un projet. On voit au premier coup d'œil comment se conci- lier les bonnes grâces des uns et des autres. Éviter les écueils, les chausse- trappes, les rebuffades. Par contre, il est plus malaisé d'en percevoir les limites, les contraintes et les effets pervers. Vite catalogué, on est enfermé dans un rôle, une image, un comportement, un emploi bien cadré, parfois un contre- emploi assigné qui déterminent notre représentation sociale et bornent ainsi notre champ des possibles. Ce système relationnel installé, il est difficile de s'en départir, de s'en distancier. Le changement de pied, la volonté de changer, de progres- ser, de secouer le carcan, d'innover ne sont guère tolérés, acceptés, autorisés. Celui qui persiste est au mieux taxé d'inconstant, d'iconoclaste, perçu comme un contestataire, voire un petit malin, un inquiétant petit génie ou pire, marginalisé, rejeté, invalidé. Les Cahiers de l'Actif - N°282/283 167 Correspondance Certes, le registre affectif signe l'humain ; rien que du normal et du banal en somme. Aussi sa mise à l'index au motif qu'il faut professionnaliser les comportements institutionnels peut s'avérer, pire encore, au niveau des effets pervers. Au nom de la technique, du pro- fessionnalisme, d'un management de type “saut à l'élastique”, l'affec- tif visible, tangible, parlé et agi, est expurgé, gommé pour mieux se dissimuler derrière le non-dit, la rationalité apparente, la négation voire la dénégation. Cette entreprise n'est, ni plus ni moins que de la manipulation, qu'un stratagème qui se croit habile, qu'une rationalisation3 qui se pense in- telligente. À terme, le managé n'est pas dupe, il perd confiance et déve- loppe un système de défense et de résistance. Le Manager y perd en authenticité et partant, en crédibilité. Sa capacité d'animer, d'entraîner, de fédérer prend du “plomb dans l'aile”. Urbi et orbi, il est vécu comme un autocrate, un tyran, un per- vers. À son encontre, émergent plusieurs stratégies possibles : s'en pro- téger ou/et le fuir, ou/et le combattre. Quoi qu'il en soit, l'Institution en fera les frais et en pâtira. Le coût social ne sera pas indolore ! II. L'INCONSCIENT Une grammaire égo individuelle à apprendre et à réviser régulièrement Les affects et leurs traductions comportementales, l'affectif, compor- tent une grosse partie immergée dans l'Inconscient, dissimulée der- rière le voile du « dit », pliée et repliée dans le refoulé. L'affect peut recouvrir et exprimer une émotion archaïque, un sentiment infantile, mettant en scène l'égo du tout petit enfant toujours présent et agissant au cœur de l'Homme. Du Manager et du Managé, toujours aux prises avec les désirs de ses parents, de ses grands-parents, d'une histoire transgénérationnelle... 3. Tour de passe-passe psychique qui consiste à s'inventer des raisons acceptables pour son esprit critique afin de légitimer une conduite dont on veut ignorer les vrais motifs. Correspondance Les Cahiers de l'Actif - N°282/283 168 Passée la période de l'enfance, les affects inconscients sont renvoyés alors, à la vie se faisant et devenant ; ils affectent la vie au quotidien du Manager et du Managé et impriment leur façon d'être, de paraître, de potentialiser, de capitaliser, de travailler. Selon les itinéraires individuels, il peut s'agir d'un problème d'identité, d'insécurité affective, de non reconnaissance, d'une affaire de mal- traitance, d'inceste, d'abandon, de violence, de rejet, de réification4, de bouc émissaire, de dette familiale, d'intense plénitude et aussi d'hyperprotection. L'affect est une trace psychique qui marque un di- vorce, signe un deuil, une perte, un enfermement, une violence terrible faisant écho à une souffrance5 horrible voire à contrario à une béati- tude, à un amour fou, à un vécu protégé, trop protégé aux accents autistiques, aux relents ghettoïdes. Selon les individus, l'affect a à voir avec la peur panique de la mort, la peur panique de l'abandon, à l'idée de meurtre vengeresse assortie d'un inépuisable sentiment de culpabilité, à un accident existentiel, à un séisme familial, à une déliaison parentale, niés, évacués, non reconnus car jugés trop dangereux. L'affect, en regard des histoires familiales, se tourneboule dans une blessure, un déni, un vide d'amour, se torsade dans un nœud de désamour. Niché dans l'Inconscient, l'affect est con- tenu en arrière-plan de la conscience. Lové dans l'ombre de la mé- moire, agrippé à l'orbe6 du Moi. L'affect, ainsi engrammé, a pris ra- cine ; il agit, rétroagit, détermine et imprègne les comportements, les émotions, les sentiments, les pensées, les désirs, les fantasmes, les rê- ves, les utopies, les projets, l'affectivité des adultes. Et ce, à l'abri des regards, mine de rien, l'air de ne pas y toucher. Sous le manteau du quotidien institutionnel, professionnel et managérial... Dissimulé dans l'ombre du champ de la conscience. Caché. Aux aguets sous le mot, sous le verbe, sous le sens, sous la vie, sous le factuel, sous l'acte institutionnel et professionnel. Sous l'affectif quoi ! L'affect inconscient témoigne d'une histoire ; il est un signe caractéris- tique, une ponctuation singulière. La courbe particulière d'un itinéraire individuel et spécifique. L'arbre arborescent d'un passé riche de sens. L'affect refoulé n'est ni symptomatique, ni l'item d'une nosographie médicale. II n'est autre que de la poussière d'Humanité, de la cendre 4. Chosification : individu transformé en objet pour la sécurité psychique d'un tiers. 5. Irréductible au terme même car au-delà de toute souffrance. 6. Espace compris entre le centre et la périphérie. Les Cahiers de l'Actif - N°282/283 169 Correspondance ontologique. C'est la marque d'une destinée, la trace d'un destin, l'image propre d'une condition humaine. Sisyphe en chair et en os. Ce faisant, l'affect inconscient n'est pas neutre. II enferme, paralyse, retient, dé- tourne, booste, compense, surdimensionne, pervertit, masque, voile et peut trahir l'affection... L'affect inconscient est une bombe à retardement. Une galerie qui ser- pente sous les fondations de l'affection et qui peut, du jour au lende- main la crouler et la ruiner. L'affect, enraciné dans l'Inconscient, est un étranger au cœur du visi- ble. Un inconnu au centre du lisible. Mais, ce n'est pas le Diable. L'in- conscient est en deçà et au-delà de toute Humanité, de toute altérité. Rien moins qu'une instance psychique réelle. Ne nous en déplaise ! La force de l'Inconscient, c'est précisément qu'il EST. Incontournable. Indépassable. En d'autres termes, il faut toujours faire avec. Inutile donc de biaiser, de faire semblant, comme si... L'affect peut tout chambouler, déréguler, inverser. L'affect inconscient, c'est JUDASISCARIOTE. II pèse lourdement sur les uploads/Litterature/ manager-a-l-x27-affectif.pdf
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- Publié le Oct 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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