D’ILYA FADEYEVITCH TSION À ÉLIE DE CYON — D’ÉLIE DE CYON AUX PROTOCOLES DES SAG
D’ILYA FADEYEVITCH TSION À ÉLIE DE CYON — D’ÉLIE DE CYON AUX PROTOCOLES DES SAGES DE SION ? En lisant « Autour du Calvaire, quelques lettres inédites adressées à Mirbeau », étude de Jean-Claude Delauney et Pierre Michel, parue dans le n° 22 des Cahiers, j’ai rencontré le nom d’Élie de Cyon, directeur de La Nouvelle Revue, « ancien patron de Mirbeau au Gaulois » de 1881 à 1882. Ainsi ce personnage avait eu des relations épistolaires avec Octave. Il était responsable du retard dans la publication du compte rendu du Calvaire par Paul Bourget, qui aurait dû paraître, dans La Nouvelle Revue, le 15 décembre 1886, et qui sortit finalement le 1er janvier de l’année suivante. Le Calvaire est le premier roman publié par Mirbeau sous son nom et c’est celui qui va le hisser, d’emblée, à sa juste place. Pourquoi avais-je sursauté ? C’est que, pour moi, Cyon était avant tout un des rédacteurs possibles, voire un des inspirateurs supposés d’un des plus célèbres faux de l’histoire moderne, Les Protocoles des Sages de Sion. Ou au moins, selon toute probabilité, celui qui avait exhumé le livre à l’origine du faux, s’en était inspiré et l’avait plagié, selon la leçon ducassienne (Lautréamont : « Le plagiat est nécessaire, le progrès l’implique », etc.) contre la politique financière du ministre russe Witte, sans imaginer l’avenir fantastique de son avatar, car les Protocoles ne sont pas un ouvrage original, mais un démarquage du Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu de l’avocat Maurice Joly, pamphlet contre Napoléon III et le Second Empire. Je l’avoue, le rôle mystérieux d’Élie de Cyon dans la confection de l’écrit contre- révolutionnaire et antisémite probablement le plus diffusé au XXe siècle, éclipsait quelque peu celui qu’il avait tenu en tant que directeur de journaux où Octave Mirbeau avait publié des articles et en feuilleton Le Calvaire, ce roman qui, édité en volume, provoquerait un fameux scandale et apporterait à l’auteur une incontestable notoriété. J’avais retenu seulement les manigances du personnage double, voire triple, quand on pense qu’il s’agissait d’un scientifique réputé en son temps, d’un publiciste féru d’économie et d’ingénirrie financière, mais aussi d’un agent tsariste en France, davantage que le reste, c’est-à-dire son influence dans la presse française de la fin du XIXe siècle, qui devrait être étudiée de près. Néanmoins, je ne tenais pas ce reste pour négligeable. Au contraire, il rendait le personnage encore plus complexe et plus retors à cerner exactement. Juif lituanien, né en 1843 à Telsch, gouvernorat de Kaunas, Lituanie, alors province de l’empire russe, Ilya Fadeyevitch Tsion étudia à Varsovie et Kiev. À 19 ans, il quitta l’université de Kiev pour celle de Berlin. Intéressé par le socialisme, il assista à de nombreuses réunions qui opposaient le chef socialiste Ferdinand Lassalle à son adversaire libéral Hemann Schülze-Delitsch. Devenu rapidement un disciple de Lassalle, il l’abandonna presque aussi vite en constatant à quel point le révolutionnaire allemand se moquait comme d’une guigne du sort des ouvriers. Venu à Genève pour se marier, le théoricien de la « loi d’airain des salaires » mourut en duel en 1864. Cyon termina ses études de médecine et rentra en Russie où, à Saint-Pétersbourg, il fut reçu docteur en médecine à 22 ans. Il prit un poste de professeur de physiologie à l’Académie de médecine militaire. Un de ses élèves les plus connus fut Ivan Petrovitch Pavlov, de quelques années son cadet. Ayant abandonné le socialisme, par arrivisme ou conviction, Cyon se rallia à l’autocratie et se convertit à l’orthodoxie. Son projet d’entrer à l’Académie des sciences échoua, malgré l’influence de son parrain en orthodoxie, le journaliste néo-conservateur Mikhaïl Nikiforovitch Katkov, et la notoriété de ses importants travaux de physiologie. Cependant, il est anobli et fait conseiller d’État par le tsar Alexandre II. Puis, appelé à Paris par Claude Bernard vers 1875, il travaille dans son laboratoire. D’une versatilité à toute épreuve, il étudia à Paris l’économie politique et les finances. Il ajouta une particule à son nom francisé, se faisant appeler « de » Cyon, et fut nommé correspondant du journal Moskovskïïa Viedomosti. En Allemagne, il publia ses travaux scientifiques sous le nom d’Elias von Cyon. En 1881-1882, Arthur Meyer ayant été évincé du Gaulois en mars 1881, Cyon prit la direction de la publication de référence de l’aristocratie et devint de fait le patron d’Octave Mirbeau. Selon la volonté des nouveaux propriétaires (la Banque Parisienne), Cyon fit du Gaulois un organe républicain modéré. Mais en 1882, Meyer reprit le journal, qui redevint royaliste et conservateur. En 1880, Le Gaulois encore sous la direction de Meyer, Mirbeau s’était un peu moqué de Juliette Adam, laquelle ne s’en formalisa pas. Elle ne lui en voulut pas davantage lorsqu’il se gaussa de son roman, Un rêve sur le divin, publié en 1888, « bijou philosophique » selon l’occultiste Papus. En peu d’années, Cyon occupe une place enviable dans le milieu journalistique parisien. Comment s’y était-il pris pour succéder à Arthur Meyer et devenir le bras droit de Juliette Adam ? Mirbeau connaissait-il son passé scientifique ? Le sait-il très capé en affaires financières dans le même temps où lui-même est coulissier à la Bourse ? En tout cas, il s’adresse à lui avec la plus entière déférence lorsque, apprenant qu’il a été nommé directeur de La Nouvelle Revue, il lui demande d’accepter de publier le chapitre du Calvaire abandonné à la demande pressante et très motivée de Juliette Adam. Ce chapitre sur la guerre de 1870, qui révulsait tellement la pauvre Juliette, républicaine, patriote et antiallemande (voir sa lettre à Mirbeau du 5 août (Cahiers O.M., n° 22, p. 98). La châtelaine de Gif prêchait sans cesse pour une alliance franco-russe, que Bismarck tentait par tous les moyens d’empêcher. Malgré les objurgations de Mirbeau : « Je vous supplie, chère Madame, de ne pas vous arrêter à de certaines expressions de franchise, à des brutalités indispensables, qui ne sont en réalité que des excès de tendresse… » (2 août 1886), elle ne reviendra pas sur sa décision, d’où la tentative de fléchir Cyon. Mais Juliette Adam restant la vraie patronne de La Nouvelle Revue, malgré ce que crut un moment notre romancier, Cyon ne se donna pas la peine de lui répondre ou, comme le note Pierre Michel, se contenta de répondre « par la négative ». Naturellement, Mirbeau continua ses relations avec le puissant personnage, dont l’ambition n’était pas de remplacer Juliette Adam. Au reste, Cyon paraît avoir été un agent d’influence placé auprès d’elle par une coterie pétersbourgeoise qui promeut l’alliance franco-russe auprès des Français. Mais tout en étant acculturé, écrivant du reste en français, le personnage agit d’abord dans l’intérêt de la Russie, ensuite de celui de la France. Rien ne serait aussi dangereux pour la France que l’entente entre les empereurs de Russie, d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie perdure. En 1886/87, Cyon est pleinement investi dans la mission de faire de la France le principal investisseur en Russie. Si bien qu’il ne se met guère en frais pour Mirbeau, qui maintient encore quelque temps une correspondance avec lui. L’entretenant de sa crainte de l’influenza (la grippe), Mirbeau reçoit le conseil suivant : attraper l’influenza pour être protégé du choléra qui sévit dans le Midi où notre romancier compte se rendre. C’est le conseil du médecin que Cyon a été, ce qui tendrait à prouver que Mirbeau n’était pas sans connaître une partie de son passé professionnel du côté de la médecine. Ceci ressort de la Correspondance générale, et elle ne nous permet pas actuellement d’en apprendre plus sur la relation entre les deux hommes. Ce qui a pu les éloigner peut-être, c’est l’alliance franco-russe dont Cyon est un ardent promoteur, tandis que Mirbeau la condamne tout en se plaignant d’être empêché de s’exprimer sur cette question dans la presse. En 1887, Cyon est nommé délégué du ministère des Finances russes à Paris et il finit par quitter la direction de La Nouvelle Revue parce que son mentor, Katkov, le lui a demandé, tout en continuant sa collaboration. On peut penser qu’il présenta moins d’intérêt pour Mirbeau. Il faut donc retourner maintenant à l’ouvrage fondamental qui nous dévoile l’aspect caché de la carrière de Cyon en France. Il s’agit d’un livre de plus de 700 pages, L’Apocalypse de notre temps, sous titré « Les dessous de la propagande allemande d’après des documents inédits », paru en 1939 aux éditions Gallimard. Son auteur est Henri Rollin (1885- 1955), ancien officier de marine et sans doute membre des services secrets français. Féru d’histoire et de politique internationale, entré au journal Le Temps dès 1920, il y écrit jusqu’à la Deuxième guerre mondiale. Devenu un spécialiste de la Russie, il publie La Révolution russe, en 1931. L’Apocalypse de notre temps, imprimé à la fin de septembre 1939, sera saisi par les Allemands en août 1940. Le livre raconte en détail les différentes étapes de la fabrication des Protocoles des Sages de Sion et décrit aussi toutes les manœuvres de la diplomatie secrète depuis la fin du XIXe uploads/Litterature/ maxime-benoit-jeannin-d-x27-ilya-fadeievitch-tsion-a-elie-de-cyon-d-x27-elie-de-cyon-aux-x27-protocoles-des-sages-de-sion-quot.pdf
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- Publié le Nov 15, 2022
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