MODÈLES THÉORIQUES DES DYSLEXIE-DYSORTHOGRAPHIE Janine Flessas M.Ps.Neuropsycho
MODÈLES THÉORIQUES DES DYSLEXIE-DYSORTHOGRAPHIE Janine Flessas M.Ps.Neuropsychologue Directrice clinique CENOP-FL Les dyslexies : Introduction Sur le plan étymologique, la dyslexie est un terme très général qui signale simplement l'existence de difficultés dans l'acquisition du langage écrit. Cependant, tout bon pédagogue sait qu'un enfant n'a appris à lire que s'il est à la fois capable de décoder et de comprendre ce qu'il lit. "Apprendre à lire, c'est apprendre à construire des significations à partir d'une extraction d'indices et formuler des hypothèses à partir de cette extraction; c'est aussi utiliser, à chaque moment, l'information déjà recueillie pour traiter la suite du message" Malgré cette apparente complexité, comment expliquer que certains enfants y parviennent en quelques semaines seulement alors que d'autres, pourtant tout aussi intelligents, souffriront toujours de ne pas réussir à automatiser leur décodage? Psychologues et psychanalystes cherchent souvent des causes de nature psychoaffective ou psychosociale à un certain nombre de difficultés de lecture. Les neuropsychologues, appuyés en cela par des recherches scientifiques de plus en plus sophistiquées, se montrent quant à eux convaincus que dans un grand nombre de cas, l'origine de ces difficultés de lecture s'inscrit dans une atteinte constitutionnelle touchant les mécanismes cérébraux de l'enfant. Ils réservent à ces cas l'appellation de dyslexies ou de troubles spécifiques d'apprentissage de la lecture. Pour ces enfants, un trouble de la relation maître - élève ou même la méthode de lecture utilisée en classe ne sauraient être considérés comme des facteurs déterminants, même s'ils rendent la situation éventuellement encore plus difficile à gérer pour l'enfant dyslexique. 1.1. Modèles cognitivistes L'un des premiers à évoquer un modèle pluraliste des difficultés de lecture fut Morton (1969), dont les travaux se poursuivirent avec son collègue Patterson (1980). Leur modèle des "logogènes" constitua un exemple classique des travaux des cognitivistes, illustrant l'acte de lecture comme la résultante de deux procédures plus ou moins indépendantes et s'assistant mutuellement, chacune ayant son propre seuil d'activation. Les 2 procédures de Morton et Patterson correspondent à 2 voies, par lesquelles un lecteur peut prononcer un même mot écrit. Elles sont identifiées comme "lexicale" et "phonologique", chacune des opérations devant être réalisée selon une succession linéaire. La voie lexicale permet une identification visuelle rapide des mots familiers mais elle est également indispensable à la lecture de mots irréguliers. La voie phonologique s'appuie sur un système de règles permettant la conversion graphèmes - phonèmes. Elle est indispensable à la lecture de non-mots et de mots nouveaux. L'inefficience de l'une ou de l'autre était considérée à l'origine des 2 grandes formes de dyslexie. Ce modèle fut complexifié quelques années plus tard avec la collaboration de Patterson et Shewell (1987), dont nous reproduisons une adaptation provenant de l'ouvrage de Grégoire et Piérart (1994). Adaptation du modèle classique de la lecture ou modèle de lecture dit "à 2 voies". (Patterson et Shewell, 1987 Ce nouveau modèle introduit les notions aujourd'hui bien connues de procédures d'assemblage et d'adressage. La première (la voie de droite) exige une segmentation de la séquence orthographique, chaque segment étant par la suite mis en correspondance avec des segments phonologiques. Ces derniers sont ensuite assemblés de manière à être articulés. Il s'agit donc de la voie d'assemblage. La seconde voie ne serait utilisable que lorsque les mots écrits sont devenus familiers, ce qui leur permet d'être stockés en mémoire, et elle est indispensable pour tout mot "irrégulier", c'est à dire dont la prononciation ne peut s'effectuer seulement à l'aide de la correspondance graphèmes-phonèmes. Une fois reconnus visuellement par la voie d'adressage ces mots accéderaient au système sémantique puis au système permettant de les articuler (grâce à la mémoire tampon phonologique). Ces premiers cognitivistes tout comme leurs prédécesseurs neuro-anatomistes appuyaient leurs recherches presqu'exclusivement sur des observations cliniques auprès de patients atteints de dyslexies "acquises", généralement à la suite de dommages cérébraux bien circonscrits. Ultérieurement, d'autres chercheurs tels que Stuart et al. (1988) et Seymour et al. (1989), critiquant le modèle initial de Morton et Patterson tentaient à leur tour de concevoir d'autres schémas dans le but de rendre compte plus spécifiquement des troubles présentés dans le cadre des dyslexies dites développementales. Le tableau 2, inspiré d'un schéma de Seymour (1986) introduit une 3ème voie, la voie sémantique, qui éclaire la nature de certains troubles de lecture où le décodage s'effectue de façon fluide mais sans que l'enfant saisisse vraiment le sens du message écrit, ce qui est souvent le cas chez les hyperlexiques. Inversement, un certain nombre de dyslexiques utilisent préférentiellement cette voie sémantique plutôt que les deux autres, ce qui entraîne chez eux des erreurs de décodage, par anticipation parfois erronée du sens. 1.2. Modèles génétiques ou développementaux Cherchant à expliciter la transition entre le fonctionnement cérébral d'un "illettré" et celui d'un "lecteur compétent", les modèles développementaux s'orientent vers la description des types de stratégies que le sujet doit apprendre à maîtriser pour acquérir le savoir lire. L'un des modèles bien connus est celui de Frith (1985) qui s'inspire directement de considérations philogénétiques. Cette linguiste a en effet identifié dans l'histoire des langues que certaines s'appuyaient exclusivement sur un système logographique telle le chinois tandis que d'autres reposaient sur un système alphabétique, permettant par exemple la transcription phonographique du serbo-croate en alphabet cyrillique. D'autre part, les langues occidentales, telles le français ou l'anglais utilisaient selon elle très largement un système orthographique, combinant des caractéristiques morphologiques et phonologiques souvent très complexes. Trois stratégies de lecture sont ainsi identifiées, correspondant aux procédures requises pour la maîtrise de chacune de ces formes d'écrit (Tableau 3): 1. la stratégie logographique qui assure la reconnaissance globale et contextuelle de certains mots familiers mais ne permet aucune généralisation; 2. la stratégie alphabétique qui s'appuie sur l'identification de graphèmes disposés en séquence et transposés en phonèmes selon le même ordre dans lequel on les entend dans le langage parlé, mais qui ne permet pas le décodage des mots irréguliers; 3. la stratégie orthographique dans laquelle des groupements de lettres sont reconnus visuellement et combinés entre eux pour former des mots avec le support de la sémantique verbale accélérant ainsi le processus de lecture. À ce niveau, les représentations lexicales des mots familiers deviennent directement accessibles. Frith en conclut que l'acte de lire aussi bien que d'écrire s'acquiert tout au long du développement de l'enfant grâce à la maîtrise successive de ces trois stratégies. De plus, elle émet l'hypothèse que la lecture et l'orthographe se développent en décalage de phase, servant à tour de rôle de stimulateur au développement de la stratégie suivante. Tout se passerait comme si la lecture donnait l'impulsion pour la stratégie logographique, l'écriture pour la stratégie alphabétique et la lecture à nouveau pour la stratégie orthographique. Ce modèle qui semble en effet traduire fidèlement la progression des habiletés de maîtrise du langage écrit chez un lecteur "moyen" ne rend pas compte toutefois des anomalies très particulières qui peuvent être observées tant en lecture qu'en dictée chez des sujets dyslexiques. Chez ces derniers, il semble évident en effet que les six étapes de Frith ne se mettent pas en place dans un ordre strictement séquentiel et qu'elles ne peuvent notamment expliquer les difficultés considérables d'un grand nombre de dyslexiques à utiliser une stratégie alphabétique dans le décodage de non-mots, alors même que leurs stratégies orthographiques se révèlent passablement fonctionnelles. D'autres modèles tels celui que Seymour et al (1989) ont mis au point en s'inspirant des théories de Frith, semblent beaucoup plus représentatifs de la réalité des troubles de nature dyslexique, en supprimant la causalité directe qui reliait les trois stades entre eux de façon linéaire. Ainsi, l'actualisation du stade orthographique serait tout autant la résultante des stratégies logographique qu'alphabétique. Ces deux dernières pourraient ainsi se développer concurremment. Comme le présumait Frith, l'accès au stade orthographique reposerait donc bien sur la compétence du traitement phonologique qui permet de prononcer des séquences de lettres particulières comme des syllabes. Mais il requerrait aussi la capacité logographique d'identifier visuellement ces sous-ensembles de caractères comme des structures stables, globalement reconnaissables d'un seul coup d'œil. Selon ce modèle, la dyslexie se caractériserait essentiellement par une difficulté à maîtriser les stratégies orthographiques requises pour accéder tant à une lecture fluide qu'à une production écrite respectueuse des règles. De plus, ce modèle rend mieux compte des deux types de dyslexies habituellement identifiés: la dyslexie "phonologique" qui entrave la mise en place initiale des stratégies alphabétiques et donc la capacité de lire et d'orthographier des non-mots et la dyslexie "lexicale" qui entrave la reconnaissance visuelle des formes logographiques impliquées notamment dans la lecture des mots dits "irréguliers", tels "femme" ou "second" et ne laisse souvent au sujet que la possibilité de les écrire au son"fam", "cegon"… 1.3. Sémiologie et classification des dyslexies-dysorthographies Bien que la dyslexie soit une entité reconnue depuis près de 100 ans, la loi publique des États- Unis reconnaissant le droit du dyslexique à une éducation spécialisée n'a été promulguée qu'en 1978 et la définition acceptée pour ce trouble se fait encore essentiellement par la négative. En effet, pour être identifié comme dyslexique, l'écart relevé entre les réalisations scolaires d'un sujet en lecture uploads/Litterature/ mechanisme-de-lecture 1 .pdf
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- Publié le Sep 07, 2021
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