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NUNC COCNOSCO EX PARTE THOMAS J. BATA LIBRARY TRENT UNIVERSITY Digitized by the Internet Archive in 2019 with funding from Kahle/Austin Foundation https://archive.org/details/guillotineetpeinOOOOjouf Alain Jouffroy Philippe Bordes Bernard Dufour Chêne Errô Gérard Fromanger Jacques Monory Antonio Recalcati Vladimir Velickovic Jean-Paul Chambas © 1977 Sté NI le des Editions du Chêne, Paris. Tous droits réservés. ISBN: 2 85 108 134 9 sommaire Alain Jouffroy Introduction à FrançoisTopino-Lebrun Le secret de l’énergie, c’est l’énergie du secret Philippe Bordes Intentions politiques et peinture Le cas de la mort de Caius Gracchus Alain Jouffroy Introduction aux amis de Topino-Lebrun Pour une nouvelle peinture d’histoire Textes et tableaux pour Topino-Lebrun Bernard Dufour, Erro, Gérard Fromanger, Jacques Monory, Antonio Recalcati, Vladimir Velickovic, Jean-Paul Chambas Tableau chronologique de Topino-Lebrun Textes et documents Alain Jouffroy 8 Introduction à François Topino-Lebrun C’est beau, de rencontrer quelqu’un. Cela peut arriver n’importe où, dans ce monde. N’importe quand. Mais le plus étrange, c’est qu’on ne rencontre pas seulement des vivants, etque la rencontre d’un mort peut vous changer la vie. On ne comprend pas tout de suite pourquoi. C’est subtil, ces choses-là: si subtil qu’à notre insu les rapports avec les vivants deviennent plus nets, plus intenses, plus transparents. Le mort met à nu notre relation quotidienne au monde. Hier, qui n’est plus hier, devient ici, devient maintenant, devient même demain : le mort tra¬ verse tout et transforme notre propre présent en histoire... Quand j’ai rencontré le nom de Topino-Lebrun dans le livre d’Étienne Delé- cluze : Louis David, son école et son temps*, je fus piqué au plus vif, au plus intime de moi. Comment pouvais-je ignorer un nom qui me révélait, en quelques mots, une telle histoire? Comment avait-on pu me le cacher? C’est vrai, j’étais à cet égard d’une ignorance à peu près sans rivages. Mais tout de même... Hanté, obsédé àce moment par l’époque qui a précédé le coup d’État du 18 Brumaire, je me posais toutes sortes de questions sur ce que pouvaient penser des individus, des écrivains, des peintres, qui avaient participé de tout près à la prodigieuse invention historique de la Révolution jusqu’en Thermidor, et qui ont tenté, malgré une répression impitoyable, de la poursuivre autour de Gracchus Babeuf, et de cet homme assez merveilleux, encore trop peu connu, qui s’appelle Philippe Buo- narotti... En 1971, j’en étais à me demander s’il ne fallait pas remonter à cette période obscure qui va de 1796 à 1800 pour expliquer les arrière-plans secrets, profondé¬ ment français, de l’échec de mai 68. Les révolutions qui me fascinent le plus sont françaises : je l’avoue. C’est elles que je saisis le mieux, c’est elles qui me sem¬ blent le plus chargées de chances et d’électricité mentale. Je ne suis «patriote» que dans le sens même que ce mot transmettait au monde en 1793, et si je ne me suis jamaisdéclarétel, c’estquedepuisThermidor le patriotisme a été confisqué, en France, par les ennemis de la révolution. La France représente le pays de la révolution par l’individu et pour l’individu, précisément le contraire de ce que ces gens-làen ontfait. C’estd’ailleurs une raison de plus, pour moi, de tout faire pour réveiller l’esprit le plus énergique de la Révolution. On ne s’y emploiera jamais assez. Dans son livre, Étienne Delécluze dit du mal de Topino, et je suis toujours attiré par les individus dont les gens se croient obligés de dire du mal. S’il y a résis¬ tance, s’il y a même une légère réserve à l'égard de quelqu’un, ça éveille tout de suite ma curiosité, sinon ma sympathie automatique pour la personne visée. Delécluze écrivait, sous Napoléon III, des choses qui ne devaient pas trop déplaire aux gens qui se croyaient obligés de dénigrer la Révolution pour mas¬ quer le fait que, sans les frères Robespierre, Bonaparte n’eût jamais remporté les victoires d’Italie qui l’ont porté en Égypte, et au pouvoir suprême. Delécluze disait donc de Topino-Lebrun qu’ayant «embrassé avec ardeur» les idées révolution¬ naires de 1793, il n’avait cessé de «tremper dans toutes les conspirations républi¬ caines», et qu’ayant suivi en Suisse un certain Bassal, envoyé secret du Direc¬ toire,Topinoy avait pris, «tout en s’occupant de son art», « un goûttrès vif pour les * Didier et Cie, Libraires-éditeurs, Paris, 1855. intrigues politiques». Et il ajoutait ceci: «Bien qu’il fût encore en Suisse, on le désigna comme l’un des agents présents à l’attaque du Camp de Grenelle» — en septembre 1796 — et qu’il avait déjà été «compris dans les mandats décernés contre les complices de Babeuf». Cette liaison entre un peintre d’histoire, élève de David, et l’un des révolutionnaires les plus importants de l’époque du Direc¬ toire, me frappa beaucoup. Mais Delécluze, imperturbable, continue : « Rentré en France en 1797, il reprit ses pinceaux et acheva le tableau de la Mort de Caius Gracchus, exposé au Louvre l’année suivante.» Gracchus Babeuf ayant été condamné à mort et gui Ilotiné en même temps que son ami Darthé le 21 mai 1797, je reconnus dans cette représentation de la mort de Caius Gracchus celle de Gracchus Babeuf. Babeuf avait en effet intitulé son journal le Tribun du peuple, ce qui était, en 124av. J.-C., lafonction mêmede Caius Gracchus dans la République romaine. Ainsi me fallait-il relireAppienetPlutarque,ceque je fis, en y cherchant les faits qui pouvaient fasciner Babeuf. J’en découvris de si nombreux que je ne voyais déjà plus comment l’on pourrait éviter d’établir un lien entre le tableau de Topinoet... la mort de Babeuf. Avant même d’avoir vu ce tableau, dont je ne savais pasàce moments’il avait ou non disparu, je sentais que je m’avançais là sur une piste qui me conduirait loin. Cette peinture d’histoire, celle de David et de ses élèves, mais aussi celle de Géricault et de Delacroix, m’a toujours semblé beau¬ coup plus énigmatique qu’elle n’en a l’air. Topino m’aidait, par cette seule demi- page de Delécluze, à entrer dans l’un de ses secrets. Babeuf était peut-être le sujet caché de ce tableau sur Caius Gracchus, et si l’on a toujours tendance à ne voir dans les choses que ce que l’on a décidé d’y projeter, je me disais que, malgré tout, mes fantasmes allaient peut-être réveiller une histoire censurée depuis près de deux siècles. Dans Plutarque, je découvris que Caius Gracchus ayant tenté une première fois de se suicider, avait fui avec un seul de ses esclaves, qui le tua avant de s’égorger lui-même. « Pourtant, dit Plutarque, à ce qu’affirment quelques-uns, tous deux furent pris vivants par les ennemis.» Or, Babeuf et Darthé ayant eux aussi tenté de se suicider après la sentence de mort, qui fut prononcée dans le silence qui succédait dans cette occasion à un roule¬ ment de tambour, c’est blessés par leurs mauvais poignards qu’ils furent guilloti¬ nés le lendemain. L’analogie entre la mort de ces deux amis romains et la mort de ces deux amis français était d’autant plus frappante qu’elle redoublait la première analogie: de nom, de titre, et d’idées sur le partage des terres, entre Gracchus Babeuf et Caius Gracchus. Un homme aussi épris des idées de 1793 que l’était FrançoisTopino-Lebrun ne pouvait être inconscientdece rapport, et je décidai de m’en assurer en menant une enquête à partir de ces premières indications. Mais il y avait pour moi une raison supplémentaire pour m’aventurer de ce côté, où j’avais tout à apprendre. Une raison simple et forte: c’est que Delécluze concluait sa note par ces mots: «En 1799, il figura parmi les Jacobins du Manège, et enfin, après l’installation du gouvernement consulaire, il continua d’être regardé comme l’un des chefs de ce parti. Impliqué dans l’affaire de Ceracchi, Arena et autres, il fut condamné à mort et exécuté ainsi qu’eux en place de Grève, le 11 janvier 1801.» Ainsi, cet homme dont j’ignorais le nom deux minutes plus tôt, et qui avait entre¬ pris avant de mourir un dernier tableau de douze mètres de long, le Siège de Lacédémone, était mort sur la guillotine du fait de Bonaparte Premier consul. Ce n’était donc pas la Terreur de 93-94 qui avait tué un peintre, mais l’homme d'État le plus longtemps admiré des Français, le vainqueur de Marengo : cette «tache de sang intellectuel » sur la réputation de Napoléon, toute l’eau de la mer n’avait pu l’effacerque par la censure. Il fallait donc la révéler au grand jour. Mon parti était pris. Cela m’a demandé six ans, et grâce aux amis, je suis à la veille d’y parvenir. Sortir un individu révolutionnaire de l’ombre où on l’a précipité n’est pas une tâche facile, je devais m’en rendre compte assez vite. Seule une obstination à peu près insensée pouvait venir à bout des résistances et des scepticismes que j’ai rencontrés. Il y avait là comme une barre noire, qui me coupait de tout ce que la société a refoulé dans ses oubliettes, et je me sentais tombé dans un piège iden¬ tique. Que faire? Sans les conseils de quelques amis, je tournerais peut-être encore en rond autour de ce mort insaisissable. L’Association des amis de Topino-Lebrun, que j’ai fondée uploads/Litterature/ alain-jouffroy-guillotine-et-peinture-topinolebrun-et-ses-amis-1-pdf.pdf
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- Publié le Nov 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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