Revue des Études Grecques Georges Séféris et la langue poétique dans la Grèce m

Revue des Études Grecques Georges Séféris et la langue poétique dans la Grèce moderne André Mirambel Résumé La langue de Séféris mérite d'être étudiée en raison même du contraste qu'offre sa simplicité avec la profondeur de la pensée qu'elle exprime. La syntaxe fait apparaître une prédominance de la phrase nominale et de la coordination dans les rapports interpropositionnels. Le vocabulaire intéresse moins par les créations lexicales que par les relations qu'établit le poète entre les mots pour renouveler les images et rechercher de nouvelles associations. C'est un retour à la simplicité et au concret, qui a sa place dans l'histoire moderne de la langue littéraire, spécialement de la langue poétique, en Grèce. Citer ce document / Cite this document : Mirambel André. Georges Séféris et la langue poétique dans la Grèce moderne. In: Revue des Études Grecques, tome 79, fascicule 376-378, Juillet-décembre 1966. pp. 660-697; doi : https://doi.org/10.3406/reg.1966.3888 https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1966_num_79_376_3888 Fichier pdf généré le 18/04/2018 GEORGES SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE Georges Séféris fait, dans l'histoire de la poésie néohellénique, figure de précurseur et d'initiateur. Dès la publication de son premier recueil Στροφή (qui signifie « Strophe » ou « Stance », mais aussi «Tournant»), en 1931, la poésie dite «moderne» (1) pénètre dans la poésie grecque, avec la double tendance des poètes « hyper- conscients » et des poètes « voyants », opposés par le tempérament, mais soucieux également de ramener à l'unité cosmique la variété des apparences et des faits de l'univers (2). L'originalité de Séféris, l'importance, la place de ce poète dans la poésie de la Grèce Moderne, ont été plus d'une fois déjà soulignées et analysées. L'attribution en 1963 du Prix Nobel (3) a attiré sur lui une particulière attention. On a montré, on a rappelé comment il avait renouvelé la poésie néohellénique du point de vue de l'inspiration, de la sensibilité et des idées. On a moins parlé de l'expression elle-même, de la langue (4). (1) Au sens où G. Spyridaki prend le mot (cf. La Grèce et la poésie moderne, 1954), p. 13 : « Le terme de poésie moderne convient à l'activité poétique de notre époque, toutes les fois que celle-ci pose, dans ses créations, le problème de l'unité du monde, au moyen d'un langage qui tente de recouvrer l'intégrité de ses pouvoirs. » (2) Ibid., p. 15-17. (3) Cf. A. Mirambel, Georges Séféris Prix Nobel 1963 (Belles Lettres, 1964) ; indications bibliographiques, p. 9-10, notes au bas des pages. Voir aussi G. Georgiades Arnakis, The Tragedy of Man in the Poetry of George Seferis (The Texas Quarter, Spring 1964, p. 57). (4) Avec raison G. Spyridaki écrit (ibid., p. 19) : « Le langage dans lequel s'incarne cette poésie se ressentira de ces préoccupations [vouloir tout assimiler] : il serasoitd'unedensité chargée d'absolu, comme s'il voulait résorber toute essence, soit d'une impalpable ténuité, et tentera de suggérer, par des moyens qui ressor- tissent parfois au domaine de l'incantation, une certaine sensation d'univers. » G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 661 Telle est la raison pour laquelle il a semblé utile de présenter ici un certain nombre de remarques sur la langue de cet écrivain et sur son apport à l'instrument d'expression poétique dans la Grèce d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas là d'une simple présentation de «forme» ou de langage extérieur au service d'une idée, mais de beaucoup plus, de l'idée imposant l'expression, toute l'expression, tout le système expressif. Il y a, en effet, chez Séféris, d'une part, un singulier contraste entre la profondeur de l'idée et la simplicité de l'expression ; mais, d'autre part, puisqu'il est question d'un poète moderne de la Grèce, il y a à situer la langue dont il se sert dans le développement général de la langue poétique comme instrument de l'expression littéraire, en un pays où le problème de l'expression a joué — et joue encore — · un rôle aussi important. Nous avons jugé opportun, pour aider à la compréhension du sujet qui sera ici traité, de reproduire un extrait d'un poème majeur de Séféris, dans le texte grec suivi de sa traduction (1). Ainsi pourra- t-on mieux saisir la nature de la relation de la langue à la pensée chez le poète. Γιατί πέρασαν τόσα και τόσα μπροστά στα μάτια μας πού και τα μάτια μας δεν είδαν τίποτε, μα πάρα-πέρα και πίσω ή μνήμη σαν το άσπρο πανί μια νύχτα σε μια μάντρα πού είδαμε οράματα παράξενα, περισσότερα κι' άπό σένα να περνούν και να χάνουνται μέσα στο ακίνητο φύλλωμα μιας πιπεριάς * γιατί γνωρίσαμε τόσο πολύ τούτη τη μοίρα μας στριφογυρίζοντας μέσα σέ σπασμένες πέτρες, τρεις ή εξι χιλιάδες χρόνια ψάχνοντας σέ οικοδομές γκρεμισμένες πού θα είταν 'ίσως το δικό μας σπίτι προσπαθώντας να θυμηθούμε χρονολογίες και ηρωικές πράξεις ' θα μπορέσουμε ; (1) Μυθιστόρημα [«Légende »), 1935, ρ. 75 de la 4e édition publiée chez Ikaros à Athènes en 1963, La traduction est de G. Spyridaki, op, cit., p. 31-32, 662 ANDRÉ MIRAMBEL γιατί δεθήκαμε και σκορπιστήκαμε και παλαίψαμε με δυσκολίες άνύπαρχτες όπως λέγαν χαμένοι, ξαναβρίσκοντας ενα δρόμο γεμάτο τυφλά συντάγματα βουλιάζοντας μέσα σε βάλτους και μέσα στη λίμνη του Μαραθώνα, θα μπορέσουμε να πεθάνουμε κανονικά ; « Parce que tant de choses ont passé devant nos yeux nos yeux n'ont rien vu, mais plus loin et en arrière, la mémoire comme la toile blanche une nuit dans un enclos où nous vîmes des apparitions étranges, plus encore que loi, passer et se perdre dans le feuillage immobile d'un poivrier; parce que nous avons connu si bien ce destin qui est le nôtre, tournant parmi des pierres brisées, depuis trois ou six mille ans, tâtonnant parmi des bâtiments en ruine qui étaient peut-être notre propre maison, essayant de nous remémorer les dates et les actions héroïques ; pourrons-nous? parce que nous avons été enchaînés et dispersés et poussés jusqu'au combat par des difficultés inexistantes, comme on [disait, égarés, retrouvant un chemin plein de régiments aveugles, nous enfonçant dans des marais et dans le lac de Marathon, pourrons-nous mourir selon les normes? ». . . j Rarement, dans les littératures de l'Europe moderne et contemporaine, le problème de la langue s'est posé avec autant d'acuité que dans la Grèce des xixe et xxe siècles. En Grèce, la langue de la poésie, — entendons celle des grands créateurs —, a contribué G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 663 à jeter les bases de la langue littéraire tout au cours du siècle dernier, et le mouvement, de nos jours, se poursuit. Bien entendu, cette langue de la poésie a sa mission propre, mais elle a aussi, · — ■ et dans de vastes proportions, ■ — - aidé à élaborer la langue de la prose et à faire de la langue communément parlée également une langue écrite, la langue écrite. C'est ainsi que, dès les débuts de la période qu'on peut appeler « nationale » des lettres néohelléniques, au début du xixe siècle, une grande tradition se constitue avec Denys Solomos, le fondateur et le chef de file de l'École Ionienne. Du point de vue de l'expression, Solomos s'appuie sur la langue démotique parlée rejetant le purisme, et sur la langue de la littérature orale, celle des chansons populaires (1) ; il ajoutera ses propres créations. Le principe sera ensuite défendu par les contemporains ou les successeurs de Solomos, moins grands poètes, mais non négligeables, ainsi Tertsétis et Typaldos, puis Markoras, Martzokis et Mavilis, même aussi Valaoritis, poète de plus grande envergure (2). Tous ces poètes ont le souci d'une « langue nationale » au moment où se construit la Nation Hellénique. A la fin du xixe siècle, nous rencontrons une attitude tout à fait comparable à celle de Solomos chez Costis Palamas, qui domine l'époque, et chez les poètes athéniens tels que Krystallis, Chatzopoulos, Vlastos et bien d'autres, dont Golfîs, Tsirimokos, Mélachrinos, Skipis, Varnalis, Kazantzakis, Sikélianos. Il faudrait ajouter les poètes contemporains, quelles que soient les tendances ou les écoles dont ils se réclament. Des poètes de cette génération seul s'écarte Cavafis, dont la langue est d'une structure originale et toute différente (3). Georges Séféris, dont l'œuvre couvre aujourd'hui un peu plus d'une trentaine (1) Cf. D. Hesseling, Histoire de la littérature grecque moderne, p. 64-65 : « ... il estimait que c'était dans les chansons populaires, dans la poésie des kleftes, des pêcheurs et des montagnards, que se manifestait l'âme de l'Hellade. Ce grec, il l'étudia avec passion. Il en fit une langue dans laquelle il exprima les pensées les plus profondes... Il rassemblait les chansons de toutes les parties de la Grèce... et évita, grâce à son éducation scientifique, mais plus encore par son indépendance intellectuelle et la délicatesse de son sentiment, toute imitation irréfléchie. Solomos était un esprit créateur. » (2) La seule attitude divergente a été celle d'André Calvos, grand poète, mais fort différent de Solomos. La langue de Calvos, faite de purisme associé au vulgarisme, a été créée par lui et pour lui : elle ne convient qu'à lui uploads/Litterature/ mirambel-andre-georges-seferis-et-la-langue-poetique-dans-la-grece-moderne-in-revue-des-etudes-grecques-tome-79-pdf.pdf

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