Bulletin of the Transilvania University of Braşov Series IV: Philology and Cult
Bulletin of the Transilvania University of Braşov Series IV: Philology and Cultural Studies • Vol. 6 (55) No.1 - 2013 LA LEÇON DE IONESCO – SYMBOLE DU TOTALITARISME Aurel BARBINTA1 Résumé: La Leçon d`Ionesco est la caricature de l`esprit de domination présent dans les relations de maître à élève. Le professeur est le symbole de toutes formes de dictature. Quand les dictateurs sentent que la domination qu`ils exercent sur le peuple décline, ils cherchent à supprimer les rebelles, même au prix de la perte de leurs pouvoir. Cette interprétation est bien un peu rationaliste, quoiqu`elle soit étayée à la fin de la pièce, par la remise au professeur par la bonne du brassard à croix gammée. L`allusion politique à la dictature est certainement évidente, mais ce n`est que l`un des aspects, de ce qu`elle veut faire entendre: la nature sexuelle de tout pouvoir et le rapport entre le langage et le pouvoir en tant que base de tous les liens humains. Mots-clé: pouvoir, dictature, autorité, professeur, élève. 1 Department of Modern Languages and Communication, Technical University of Cluj-Napoca. La Leçon va s`efforcer de saper les fondements de tout pouvoir. L`absence totale de tout renseignement sur le passé du personnage, sa vie hors des cours, ses goûts personnels, limite clairement l`interprétation. Ce n`est pas tel ou tel professeur qui nous est présenté, mais l`incarnation d`une abstraction, un simple rôle. Ionesco a quelque raison personnelle de choisir cette autorité parmi d`autres. Il s`est en effet heurté à des enseignants roumains, comme il le rapporte à Claude Bonnefoy : « Il y avait entre moi et les professeurs des oppositions… profondes qui n`étaient pas seulement, je crois, l`expression d`une fronde d`adolescent. C`était a l`égard de quelques professeurs de Bucarest qui étaient nazifiés à ce moment-là » (Bonnefoy 21). Trois procédés sont mis en œuvre pour atteindre cet objectif. D`abord une caricature virulente annihile l`estime qu`on pourrait porter au personnage, la faiblesse croissante du maître devant les pulsions érotiques permet de souligner toute hypocrisie du pouvoir; enfin sous nos yeux une autorité légitime se transforme en tyrannie injustifiable. De même que les Smith et les Martin de La Cantatrice chauve sont des stéréotypes qui représentent les idées reçues des Français sur les petits bourgeois anglais, de même le professeur de La Leçon concentre en lui de nombreux traits caricaturaux qui hantent l`imaginaire des Français de l`époque. Une longue tradition littéraire (à partir de Gargantua et Pantagruel de Rabelais) a facilité la stylisation du personnage. Il a suffi à Ionesco de grossir ces défauts, déjà répertoriés, jusqu`à l`absurde pour créer cette marionnette, symbole de tous ceux qui se croient, à divers titres, responsables d`une éducation. Le professeur de La Leçon correspond assez bien à l`image caricaturale d`un instituteur sous la III-e République. Pour faire le portrait de Bulletin of the Transilvania University of Braşov • Series IV • Vol. 6 (55) No.1 – 2013 10 celui-ci, Ionesco remonte au passé pour se souvenir de ses maîtres. Dans Présent passé-Passé présent il raconte cette anecdote : « Le directeur de l`école communale, M. Robinet, la calotte noire sur la tête, sa petite barbe blanche, me dit : Ce n`est pas trop mal, mais je croyais que tu serais un meilleur élève que ça » (Ionesco 40). On reconnait bien la le pédagogue de La Leçon. Le personnage d`Ionesco dénote le même désir de respectabilité: faux col dont le blanc souligne l`autorité des vêtements noirs: pantalons, souliers et cravate bourgeoise. La blouse et les lorgnons sont des attributs professionnels quasi obligés, toutefois ils soulignent les côtés matériels du métier : baisse de la vue, poussière des craies. Une autre similitude, entre le professeur de La Leçon et Botard des Rhinocéros, est frappante. Voilà comment voit Ionesco ce dernier: (acte II, tableau 1): « Instituteur retraité, l`air fier, petite moustache blanche; il a une soixantaine d`années qu`il porte vertement. Dans La Leçon le professeur domine l`élève, mais à son tour il est dominé par la bonne qui le traite comme le ferait une mère qui aimerait (sans pouvoir l`approuver) et gâterait son enfant terrible en fermant les yeux sur ses plus flagrants écarts. Selon la pièce (conformément à sa structure circulaire) il est certain que toutes les élèves ont mal aux dents et que le professeur les viole et les tue toujours. Le meurtre auquel nous assistons est le quarantième de cette seule journée. Et la pièce se termine sur l`arrivée de la quarante et unième élève venant prendre sa leçon. Ionesco a choisi un professeur pour montrer le pouvoir, souvent perverti, que possède la connaissance. S`il s`est arrêté sur l`enseignant, c`est parce qu`il exerce une profession vouée à la transmission du savoir et qu`il est amené à entretenir des rapports d`autorité avec ses élèves. C`est dans l`exercice de son métier que le professeur de La Leçon révèle, par son comportement, comment la connaissance peut être détournée de façon perverse pour devenir un instrument d`asservissement. Cette évolution apparaît clairement tout au long de la pièce. Il a un béret basque sur la tête; il est revêtu d`une longue blouse grise pour le travail, il a des lunettes sur un nez assez fort; un crayon à l`oreille; des manches, également de lustrine. Cependant la calotte noire du professeur de La Leçon indique une piste supplémentaire. Certes, les vieux maîtres ou intellectuels du XIX-ème siècle portaient la calotte (Renan, Anatole France). La longue blouse noire et le faux col blanc font songer à la soutane. La bonne signale d`ailleurs à son interlocuteur qu`il est «un peu curé à ses heures» (Ionesco, Théâtre, éd. cit., p.92). Ionesco réunit donc dans la même caricature les frères ennemis de l`éducation sous la III-ème République: l`instituteur et le curé. La dévalorisation physique est confirmée par le bégaiement initial du maître et la faiblesse de sa voix. Dans ses indications scéniques, Ionesco montre clairement sa volonté de schématiser le personnage, auquel il prête des caractéristiques, à dessein, caricaturales. Ce parti pris se manifeste avec une netteté particulière dans la description du vêtement du professeur. Il est vêtu à la manière des instituteurs du début du XX-ème siècle, ce qui l`éloigne de l`enseignement de notre époque et fait donc de lui l`enseignant en général, un enseignant désincarné, un enseignant réduit à sa fonction. Le professeur se met d`abord, avec un grand sens de pédagogie, au niveau de son élève, essaie de la comprendre, s`efforce de l`encourager. Mais il s`éloigne bientôt des connaissances d`arithmétique claires et utiles, pour aborder un savoir linguistique, coupé des réalités, qu`il complique à plaisir. La jeune fille alors, ne parvient plus à suivre, devient un être passif, toute soumise à l`autorité de la science. BARBINTA, A.: « La Leçon » de Ionesco - symbole du totalitarisme 11 La progression de l`agressivité du professeur est plus continue dans le mouvement général de la pièce, ses monologues sont plus longues, sa transformation se fait plus insensiblement que celle de l`élève, qui, elle, procède par sursauts, ses phrases sont très brèves. Le professeur passe par toutes les gammes de sentiments: la timidité, l`assurance, le passage de l`une à l`autre, le comique, le tragique, ainsi que le plaisir, la fureur. Les lueurs lubriques, quant à elles, feront place à une flamme dévorante. Leur répression première ne dure donc pas longtemps, et aboutit vite à un échec témoignant de l`incapacité du maître de se dominer, alors même qu`il accable son élève des contraintes dont il s`est libéré. Il cherche à la réduire à l`état d`objet et de mécanisme malléable. En fait c`est lui qu`il veut détruire en elle. Son besoin de tout expliquer, obsession de clarté due au refus, lui-même irrationnel, de son être trouble, le pousse à détruire en son élève tout ce qu`il y a d`obscur; ce que son orgueil l`a toujours entraîné à méconnaître en lui, et l`empêche d`accepter chez les autres. Mais il ne s`aperçoit pas que les pulsions qui l`amènent au crime sont du même ordre, et qu`il en est le jouet tragique. Le cours de philologie est un véritable délire verbal ou l`explication scientifique sombre dans l`absurdité des puissances irrationnelles qui dépossèdent le Professeur de lui-même. Toute volonté pédagogique disparaît, le déséquilibre du dialogue est frappant: c`est un cours magistral que subit l`élève. Elle abdique toute prétention à imposer sa volonté au professeur auquel elle se soumet corps, âme et esprit. La répétition du leitmotiv « J`ai mal aux dents » est significative. Le dominant impose au dominé une souffrance qui désarme sa volonté, qui fait de lui un être sans défense. Il semble la proie d`une hâte incontrôlable qui le pousse à déverser sur sa victime une effrayante logorrhée. Dans une étude consacrée à Ionesco, Marie- Claude Hubert, utilise en ce sens le syntagme de « connaissance paranoïaque » (Hubert 74), et démontre que le savoir peut à tout instant faire basculer l`être dans la folie et déchaîner, chez celui qui croit le posséder, une soif inextinguible de puissance, au point qu`il se confond avec le « maître absolu » dont parle Hegel et brise l`élève, pauvre fétu entre ses uploads/Litterature/la-lecon-analisis.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2021
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