04/06/2021 Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale - Miroir ou
04/06/2021 Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale - Miroir ou Image… - Presses universitaires de Rennes https://books.openedition.org/pur/31877 1/16 Presses universitaires de Rennes Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale | Fabienne Pomel Miroir ou Image… Le choix d’un titre pour un texte didactique SEARCH Tout OpenEdition 04/06/2021 Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale - Miroir ou Image… - Presses universitaires de Rennes https://books.openedition.org/pur/31877 2/16 1 Chantal Connochie-Bourgne p. 29-38 Texte intégral Les termes de miroir et d’image ont servi au Moyen Âge à intituler des œuvres didactiques présentant à leur public des images du monde où s’instruire de ses lois, observables tantôt dans les phénomènes naturels, tantôt dans le déroulement de son histoire et dans les mœurs des hommes1. La métaphore inscrite dans le titre de ces œuvres suscite diverses interprétations de l’objet comparé qui viennent des différents usages faits de l’objet comparant. Le miroir médiéval peut être un instrument scientifique d’observation des astres ou un luxueux objet de coquetterie où se mirer. Sa petite dimension, sa forme circulaire, sa surface convexe offrent une image réduite, partielle et souvent floue. Instrument utile mais imparfait, le miroir ne se pare de reflets que dans un espace lumineux. Sans objet dont saisir les contours et les couleurs et sans source lumineuse, le miroir n’est qu’une forme vide et vaine. Et que serait un miroir où personne ne viendrait contempler d’image ? Aux ʚʋʋe et ʚʋʋʋe siècles, des textes scientifiques et didactiques écrits tant en latin qu’en français sont intitulés Speculum ou Imago et Miroir de … ou Image de … ; on décèle sous ces titres une forme seconde de la métaphore du livre de la nature. Le clerc, en effet, se dit descripteur du monde créé, qu’il sait déchiffrer et qu’il donne à lire. Dans le choix qu’il fait d’un titre se manifeste sa relation au livre et à l’acte d’écrire. Même s’il effectue une compilation, ce qu’il donne à lire est plus le spectacle du monde que la tradition livresque de la clergie, du moins est-ce ce qu’il affirme ; même s’il s’appuie sur des « auctoritates », le contrat pédagogique qu’il passe tacitement avec son lecteur/auditeur concerne les res, les phénomènes naturels, auxquels il se doit d’apporter une explication. Le clerc est spectateur du monde et lecteur averti par la fréquentation des livres, en premier lieu du Livre par 04/06/2021 Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale - Miroir ou Image… - Presses universitaires de Rennes https://books.openedition.org/pur/31877 3/16 2 excellence, la Bible. Aussi est-il en mesure de déchiffrer le livre de la nature. Or, assimiler la nature à un livre revient à reconnaître dans son Auteur, le Créateur, un écrivain. Dieu inspire les prophètes et inscrit également des leçons dans la forme et le comportement de ses créatures. Le savant déchiffre pour le salut des hommes les signes qu’il lit dans l’Écriture et dans les réalités sensibles, comme en témoigne la littérature des Bestiaires, des Lapidaires ou des sommes encyclopédiques. Alors que le Livre révèle par des mots (verba), la nature se lit dans ses choses (res). Si la métaphore du livre de la nature met sur un pied d’égalité deux voies de révélation différentes, celle du miroir et de l’image reflétée conduit davantage à considérer la relation du livre au monde créé, ce qui implique la prise en compte et du Créateur de ce monde et de l’auteur du livre. Partant de ces différents constats, on comprend que l’emploi de la métaphore catoptrique pour son titre témoigne de la part de son auteur un jugement sur la portée de son texte. Une certaine modestie, sincère ou feinte, s’affiche souvent dès le titre et/ou le prologue, ou bien se prononce le désir de se distinguer des faiseurs de fables et de revendiquer sa place dans le rang des philosophes, de ceux qui dévoilent des vérités sur l’homme et sur le monde. La prudence du lecteur est donc requise : qu’il ne se laisse pas prendre à l’ombre des choses, qu’il ne se laisse pas fasciner par l’image trompeuse de lui-même, mais qu’au contraire il veille à contempler la réalité, la vérité, à travers le reflet. Regarder dans un miroir, y contempler une image, c’est apprendre à voir au-delà. Liée à ces représentation mentales, la métaphore du miroir convient aux écrits didactiques à visée édifiante. Le spectacle du monde comme celui de l’homme conduit à un retour sur soi, à une réflexion d’ordre intellectuel et spirituel qui doit faire accéder à ce qu’on nomme dans ces textes la lumière, la vérité, le Bien, Dieu. Les historiens de la littérature médiévale relèvent dans le titre Miroir de … l’indice d’une valeur générique. Sous-ensemble du genre didactique, le miroir désignerait ces œuvres de vulgarisation, scientifiques, morales ou politiques, qui offrent aux lecteurs un objet dans lequel contempler la figure exemplaire de l’ordre du monde 04/06/2021 Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale - Miroir ou Image… - Presses universitaires de Rennes https://books.openedition.org/pur/31877 4/16 3 4 ou celle d’une vie tournée vers le Bien ou celle encore d’un bon gouvernement. Il existe des Miroirs… du monde, de l’âme, des princes, des dames, des bonnes femmes, de l’humaine salvation… Certes, la célébrité de l’œuvre magistrale de Vincent de Beauvais, le Speculum majus, a valeur d’exemple et pousse à voir dans toute description du monde et de l’homme leur image, le texte jouant le rôle d’un miroir. Par ailleurs, le ton moralisateur de ces livres de clergie engendre une prise de conscience de soi qui évoque l’attitude de celui qui observe son image dans un miroir. Cette finalité édifiante explique, sans doute, l’attachement à cet intitulé. Les livres écrits par des clercs pour instruire leur public des choses de la nature, c’est-à-dire les encyclopédies et traités divers, portent des titres comme Liber (ou Tractatus) de natura rerum ou de naturis rerum . Ces ouvrages traitent de la nature en tant que concept, jamais séparé des réalités qui le portent. Liés par la préposition de, le terme liber et le syntagme natura rerum renvoient à deux ordres différents de réalité : d’une part l’objet-livre et le texte qu’il contient, d’autre part la matière qu’il aborde. Le clerc semble privilégier sa matière plus que son travail ; le livre s’efface au profit du sujet étudié à telle enseigne que parfois le terme désignant l’écrit (liber/tractatus) disparaît, devenu inutile, pour ne laisser comme titre que le syntagme précisant la matière traitée (natura rerum).Renonçant à un titre formé de deux termes reliés syntaxiquement par la préposition de, les clercs du ʚʋʋe siècle (à l’exception d’Alexandre Neckam qui écrit encore un De naturis rerum ) préfèrent souvent employer soit un terme unique (comme la Cosmographia de Bernard Silvestre), soit deux termes dont le second est le complément du premier (comme la Philosophia mundi de Guillaume de Conches). L’emploi des termes de miroir ou d’image dans les titres incite donc à s’interroger sur ce qui fonde cet acte signifiant. Speculum apparaît au ʚʋe siècle sous la plume d’Adalbert ; puis, au ʚʋʋe siècle, Honorius Augustodunensis emploie imago et speculum (Imago mundi et Speculum Ecclesiae ) ; à partir du ʚʋʋʋe siècle, l’intitulé avec speculum l’emporte sur celui avec imago, à l’exception, plus tardive, de 04/06/2021 Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale - Miroir ou Image… - Presses universitaires de Rennes https://books.openedition.org/pur/31877 5/16 5 l’Imago mundi de Pierre d’Ailly (ʚʋʘe siècle). Par sa double valeur, objective et subjective, le génitif évoque, semble-t-il, la relation de la production du clerc au monde. Selon le schéma néoplatonicien si influent, et pour l’exprimer d’une façon très schématique, le monde créé est une image sensible, qui doit être appréhendée par l’esprit comme le reflet d’un modèle. Mais qu’en est-il de la mise en mots de ces réalités sensibles pensées comme images ? Le choix du terme imago révèle-t-il aussi une prise en compte du travail du clerc, auteur d’un livre et lui-même métaphorisé en miroir ? Dans cet acte inaugural d’intituler, le clerc porte un jugement sur le rôle qu’il joue dans la transmission du savoir2. De toutes les encyclopédies en langue française produites au ʚʋʋʋe siècle, la seule qui adopte le titre inauguré par Honorius Augustodunensis est l’œuvre de Gossuin de Metz, l’Image du monde3 (1245). La métaphorisation est à l’œuvre aussi dans les titres des autres encyclopédies comme Li Livres dou Tresor de Brunet Latin4, La Fontaine de toutes sciences5 (anonyme) et Li Secrés as philosophes6 (anonyme). Rédigés pour un jeune seigneur ou prétendu tel par l’auteur, ces textes annoncent dès leur titre une entrée dans le monde des savants où nourrir une réflexion sur le bon gouvernement de soi et des peuples, car un homme, et a fortiori un prince ignorant, ne peut faire régner la justice. Placides, le disciple du maître Timéo, dans leur dialogue aussi intitulé Li secrés as philosophes, doit apprendre à connaître l’ordre du monde et celui des sociétés humaines afin de pouvoir exercer ses futures fonction. Brunet Latin instruit son lecteur ami (il uploads/Litterature/ miroirs-et-jeux-de-miroirs-dans-la-litterature-medievale-miroir-ou-image-presses-universitaires-de-rennes.pdf
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- Publié le Mai 05, 2021
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