Document généré le 1 nov. 2018 18:13 Québec français Monument Borges ou Qu’est-
Document généré le 1 nov. 2018 18:13 Québec français Monument Borges ou Qu’est-ce qu’un auteur ? Annick Louis Jorge Luis Borges Numéro 159, automne 2010 URI : id.erudit.org/iderudit/61582ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (imprimé) 1923-5119 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Louis, A. (2010). Monument Borges ou Qu’est-ce qu’un auteur ?. Québec français, (159), 33–36. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2010 AUTOMNE 2010 | Québec français 159 33 MONUMENT BORGES OU QU’EST-CE QU’UN AUTEUR ? PAR ANNICK LOUIS* D ans le célèbre essai « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), Michel Foucault répondait aux inquié- tudes exprimées par Roland Barthes dans « La mort de l’auteur » (1968), en proposant une réflexion systématique sur la notion d’auteur en Occident. Tous deux essayaient de s’opposer à une conception des études littéraires alors dominante à l’Université française, celle de l’histoire littéraire dans la tradition de Gustave Lanson. Pour ce courant, la question essentielle était : Qui parle dans le texte ? La réponse, toujours : l’auteur. La figure de l’auteur constituait l’objectif majeur de la critique, qui se concentrait sur la description de ses intentions et de sa psychologie ; l’œuvre n’était rien d’autre que l’espace où cette subjecti- vité s’exprimait. En proposant de reconsidérer la notion d’auteur, les essais de Barthes et Foucault clôturent l’ère structuraliste, et se projettent vers ce que nous connaissons sous le nom de poststructuralisme, un courant littéraire qui accorde une place plus importante au lecteur : « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur » (Barthes 1968 / 1984 : 67). Cette sentence, sur laquelle se termine le texte de Barthes, montre que l’auteur a cessé d’être le garant du sens du texte et de constituer la raison d’être de la critique. À la question : Qui parle ? Barthes répond, comme on sait, qu’il est impossible de le savoir parce que « l’écriture est destruction de toute voix, de toute origine » (Barthes 1968 / 1984 : 61). Un cycle de la critique s’achève aussi avec cet essai de Barthes : puisque le fait littéraire a été pensé, depuis le début du XXe siècle, à partir du modèle linguistique, au moyen du schéma qui définit trois instances majeures – l’auteur, le texte, le lecteur –, le mouvement est désormais accompli. Borges par Alicia D’Amico, 1963 Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres, de développer en cinq cent pages une idée que l’on peut très bien exposer oralement en quelques minutes. “ ” Jorge Luis Borges, Fictions J o r g e L u i s B o r g e s 34 Québec français 159 | AUTOMNE 2010 Cependant, Barthes lui-même attire l’attention, quelques années plus tard, sur la façon dont ce qu’il appelle le besoin d’auteur s’impose à nous : « … mais dans le texte, d’une certaine façon, je désire l’auteur : j’ai besoin de sa figure (qui n’est ni sa représentation, ni sa projection), comme il a besoin de la mienne… » (Barthes 1973 : 45-46). Et, en effet, personne ne peut affirmer aujourd’hui que la figure de l’auteur ne joue pas un rôle essentiel dans la relation à la littérature en Occident ; le public et les spécialistes ont transformé leur relation à l’auteur sans que cette catégorie perde en poids ou en actualité, car il ne fait aucun doute que la critique académique apporte – tout comme les médias – sa contribution à ce qu’on peut appeler la construction du désir d’auteur (ou « culte de l’écrivain », dans les termes de Daniel Fabre) – par exemple, en continuant à considérer l’auteur comme un axe organisateur d’objets d’étude et de corpus, ce qui assure la pérennité de la catégorie. C’est la raison pour laquelle le besoin d’auteur dont parle Barthes peut nous aider à mieux définir ce qu’est aujourd’hui un auteur ou, en tout cas, à comprendre les enjeux dans lesquels s’inscrit cette figure. Parmi les questions qu’on peut se poser se trouve celle-ci : est-il possible de concevoir l’auteur non pas comme l’origine du texte, mais comme l’un de ses destins ? Être auteur… ou le devenir Centrer une étude littéraire sur un auteur peut comporter des risques ou apporter des garanties, selon l’objet choisi ; un auteur canonique ou un autre qui est encore peu connu, qui relève d’un courant littéraire ou de l’histoire de la littérature, mènent à des circulations et des possibilités académiques différentes (bien que d’autres données comptent aussi, comme la méthodologie et la conception critique dans la possibilité d’ériger une étude sur un auteur en objet). La position des critiques qui se spécialisent sur un auteur canonique a quelque chose de futile, parce qu’ils étudient des corpus auxquels l’autorité de l’auteur apporte une stabilité et une solidité, mais leurs interprétations ne sont reçues et entendues que si elles coïncident avec la perception qu’une époque a de cet auteur (ou sont valorisées plus tard) – ce qui revient à dire que les traditions interprétatives ont plus de poids que les objets eux-mêmes. Car l’auteur canonique est souvent un objet national : lorsqu’un écrivain est célèbre, ses compatriotes projettent sur lui un certain sens de propriété, l’auteur fait partie d’un patrimoine culturel identitaire composé à la fois de l’objet lui-même et d’une perspective dominante sur celui-ci. Chaque État moderne a un écrivain (au moins) qui représente la culture et la Nation, et qui fonctionne à la fois comme « monument » et comme objet de renouvellement culturel. Les Argentins ont Borges, bien qu’on ne puisse pas dire qu’il leur appartient, parce que lorsqu’un auteur base sa célébrité dans la circulation internationale, il appartient à tout le monde et, en même temps, il n’est à personne – ce qui veut dire que chaque tradition interprétative qui l’adopte se l’approprie au point d’en faire un auteur (presque) national1. Mais Borges en tant qu’écrivain célèbre sur le plan inter- national est un cas particulier aussi pour une autre raison. À sa mort, en 1986, il a laissé son œuvre dans un état confus, à un moment où la critique et les spécialistes prenaient conscience de l’existence d’un vaste corpus de textes qui n’était pas disponible dans les différentes versions de ses œuvres complètes. Cette situation résulte d’un processus constant de sélection sur sa production éditée dans des revues et des journaux, raison pour laquelle le corpus borgé- sien reste instable2. Certes, aujourd’hui, la presque totalité des textes de l’auteur argentin est disponible, au moins en espagnol, sous forme de livre, bien qu’elle se trouve dans un état de dispersion ayant empêché l’œuvre de Borges d’accéder au rang d’« œuvre monument3 ». L’apparition (ou le retour) de cette masse importante de textes a contribué à transformer Borges en un auteur incarnant à la fois la culture argentine et la culture lettrée occidentale : la critique et les médias ont cherché dans son œuvre toutes les facettes possibles de la culture argentine et occidentale, du tango au nazisme, en passant par l’architecture et la cybernétique. Borges incarnerait toute la culture d’une époque. C’est dans ce double mouvement par lequel une culture érige un écrivain en monument national et, simultanément, en fait une icône universelle, que se construisent les auteurs canoniques. Définition borgésienne de l’auteur On ne sera donc pas surpris si nous proposons ici de repenser la notion d’auteur à partir des conceptions et pratiques borgésiennes. Qu’est-ce qu’un auteur pour Borges ? Une première réponse est qu’un auteur est une volonté. Le processus de sélection que nous avons évoqué met en évidence une volonté de manipulation du corpus et de mise en place de significations et de facettes de l’œuvre, à différents moments historiques, et dans des circonstances variables. Un des objectifs de chacune de ces étapes de sélection est de générer une image différente de l’auteur et de son œuvre ; d’autres effets peuvent être mesurés par la circulation et les interprétations de la littérature que chaque sélection met en valeur (auteurs, ouvrages, questions théoriques). Ces manipulations renvoient également à une réflexion sur les effets de sens des textes dans la culture, et dans le milieu littéraire. Sans oublier le fait que la sélection borgésienne impose sur l’œuvre une division entre « œuvre occulte » et « œuvre visible » – dans les termes que Borges emploie dans « Pierre Ménard, auteur du Quichotte »4. Une deuxième réponse serait que l’auteur est une mise en scène de l’auteur. Il est désormais impossible d’ignorer la dimension publique de l’auteur. Quant à Borges son rôle et sa uploads/Litterature/ monument-borges-ou-qu-x27-est-ce-qu-x27-un-auteur 1 .pdf
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- Publié le Oct 30, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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