des métiers, à commencer par les tarifs (dont le cycle des renégociations rythm

des métiers, à commencer par les tarifs (dont le cycle des renégociations rythme les grèves ouvrières), les conseils de prud’hommes (dont on réclame la réforme égalitaire), ou encore les sociétés de com- pagnonnage (en tant que lieux de socialisation, de solidarité et de résistance). C’est en effet à partir de ces expériences que les idées d’une république sociale et démocratique surgissent et évoluent. En opérant ce renversement des perspectives historio- graphiques classiques proposé par M. Riot-Sarcey, on pourrait parvenir à montrer dans quelle mesure la Commission du Luxembourg de 1848, grâce aux ouvriers, fut une expérience d’apprentissage social et politique, voire républicain, pour des théoriciens comme Louis Blanc ou Constantin Pecqueur. Jusqu’ici, on a surtout fait référence aux deux premières parties du livre. Si, dans les chapitres consacrés au Second Empire, à la Commune et à la Troisième République, le livre demeure structuré autour des resurgissements de l’expérience de 1848, la manière de raconter tend à changer : elle devient plus linéaire ainsi que les jeux de résonances plus sourds. D’ailleurs, à la fin, « la république sociale n’est plus qu’une fantasmagorie de l’histoire » (p. 291), l’idée de république se fait de plus en plus univoque, le prolétariat semble se destiner à l’abandon d’une organisation autonome et « l’œuvre souterraine de l’émancipation ouvrière se déplace et se poursuit ailleurs, notamment à Saint- Pétersbourg en octobre 1905 » (p. 290). Un doute vient à l’esprit : peut-être que le socialisme d’après la Commune ne peut être compris qu’à l’échelle européenne. Il s’agirait de repenser, à partir des discontinuités, les continuités souterraines étouf- fées par la « fabrique de l’histoire » des courants divergents du socialisme. 18 mars 1871-17 mars 1921 : un demi-siècle exact sépare la proclamation de la Commune de la fin de la répression de Kron- stadt, en passant par les soulèvements ouvriers dans toute l’Europe, par les débats grâce auxquels révi- sionnistes et léninistes ont renversé la logique de la révolution sociale et par la trahison du pacifisme internationaliste perpétrée par la presque totalité des partis socialistes. Cette histoire européenne reste à penser, et les intuitions de M. Riot-Sarcey ainsi que ses mises en discussion méthodologiques peuvent servir d’inspiration féconde. Andrea Lanza – Université de Toronto Capturer les barricades, oublier les barricadeurs. À la recherche de l’intention énigmatique du daguerréotypiste retrouvé de Juin 18481 « J uin fut une commotion. Et déjà par sa radicalité sociale. Ces clichés sont une manière de le signifier en éternisant l’histoire d’une rue, de son unité et de ses amitiés. Comme une adresse lancée à la postérité » (p. 127). Noyées au milieu du neuvième et dernier chapitre, représentatives d’une plume directe, ces quatre phrases illustrent l’énorme ambition qu’Olivier Ihl accorde aux trois daguerréotypes appréhendés en objets sociaux qu’il se propose de situer dans un espace social, mais aussi culturel et politique. Dans sa Barricade renversée, ce spécia- liste des modalités de la conception républicaine de la représentation politique se pose bien en récepteur curieux et rigoureux de cette mysté- rieuse adresse iconographique. Il s’attelle à l’his- toriciser, à la déchiffrer par une efficace mise en récit qui, par son rythme, ne va pas sans faire penser à celle des scénaristes des séries policières contemporaines. Une enquête que l’auteur, en filant la métaphore photographique, n’hésite pas également à « assimiler, la chimie en moins, à un développement historique » (p. 60). Charles-François Thibault, daguerréotypiste des barricades du faubourg du Temple « Histoire d’une photographie », d’abord. Ou plutôt, derrière ce sous-titre simplificateur et ana- chronique, histoire d’un film photographique, histoire de la série de trois daguerréotypes pris les 25 et 26 juin 1848 d’une rue de l’Est populaire parisien en insurrection. C’est cette histoire qui s’avère la plus réussie. Le retour aux objets, aux plaques de cuivre, où O. Ihl découvre un minus- cule poinçon désignant « Daguerreotype Riche- bourg à Paris quai de l’Horloge 69 », lui permet de corriger sévèrement ce que les historiens de l’art ou autres spécialistes de la photographie croyaient savoir de ces clichés aujourd’hui conservés pour deux d’entre eux au Musée d’Orsay et pour le troisième, souvent oublié, au Musée Carnavalet. Par l’exploitation des sources journalistiques, cadastrales et notariées, 1. À propos d'Olivier Ihl, La barricade renversée. Histoire d'une photographie. Paris 1848, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2016 (Champ social), 148 p., illustrations. ❘REVUE FRAN ¸ CAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘VOL. 67 No 2 ❘2017 LECTURES CRITIQUES ❘365 exploitation digne des meilleurs historiens des espaces sociaux parisiens, l’auteur apporte effec- tivement trois correctifs fondamentaux. D’une part, en juillet 1848, loin d’être une première, la traduction sous forme de gravures de deux de ces daguerréotypes dans L’Illustration s’inscrit dans la vogue du recours à ce procédé technique par une presse occidentale qui offre depuis quelques années à ses lecteurs des repré- sentations des manifestations politiques se vou- lant plus réalistes ou objectives. Il faut donc pousser un peu plus loin si, comme encore récem- ment dans la thèse citée de Thierry Gervais1, l’on souhaite remonter aux origines du photorepor- tage politique, à sa préhistoire. Puisque, à l’image de The Illustrated London News outre-Manche, L’Illustration publie dès sa première année d’exis- tence, en 1843, une gravure d’après daguerréotype des troubles politiques au Mexique ou encore, en avril 1848, du rassemblement chartiste de Kennington Common. En outre, les barricades immortalisées ne sont point, comme le suggèrent les légendes de L’Illustration et désormais du Musée d’Orsay, celles également nombreuses de la rue Saint-Maur-Popincourt, mais trois barri- cades érigées au travers de la douce pente de la rue du Faubourg-du-Temple, aux intersections avec la rue Bichat, le passage de Joinville – depuis supprimé par le percement haussmannien de l’avenue Parmentier – et la rue Saint-Maur ! Enfin, grâce à cette relocalisation de la scène représentée, ces clichés effectués depuis une chambre du troisième étage du 92 de la rue du Faubourg-du-Temple n’apparaissent plus comme l’œuvre d’un professionnel, mais comme celle d’un amateur vraisemblablement initié à cette « science mondaine » par son ami daguerréoty- piste Pierre-Ambroise Richebourg. La démonstra- tion ne permet plus d’en douter : c’est le locataire de cette chambre, Charles-François Thibault, pré- sent auprès de Richebourg lorsque celui-ci réali- sera seulement quelques mois plus tard un daguerréotype d’un ami commun mettant en route sa nouvelle machine à vapeur dont ils cher- cheront ensemble à exploiter la commercialisa- tion, c’est donc ce fils d’un garçon de caisse du troisième arrondissement qui se cachait jusqu’ici derrière la simple signature de Thibault qui accompagne ces trois daguerréotypes des journées de juin 1848. Rétablir l’identité de ce quadragé- naire et inventeur parisien, qui une dizaine d’années plus tôt avait déposé un brevet portant sur une échelle à incendie, l’inscrire dans une nébuleuse scientifico-industrielle sensible aux nouvelles formes de représentation artistiques et politiques, voilà un acquis définitif de La barricade renversée. De l’ancrage socio-spatial du daguerréotypiste amateur « Histoire d’une rue, de son unité, de ses ami- tiés », ensuite. Si l’on ne peut souscrire à l’idée que ces trois images éterniseraient l’histoire du haut de la populaire rue du Faubourg-du-Temple, il n’en demeure pas moins qu’elles possèdent le mérite d’avoir piqué la curiosité du chercheur qui, à son tour, tente effectivement de reconstruire une telle histoire afin de placer les barricades photo- graphiées dans l’épaisseur historique d’un espace social. Ici, l’histoire spatiale de ce fragment de rue, l’histoire de son urbanisation, s’avère plus convaincante ou, surtout, plus originale qu’une histoire de l’industrialisation et de la politisation du quartier qui se limite à rappeler davantage les noms que les itinéraires de quelques figures célè- bres dont les liens avec les protagonistes des daguerréotypes et des barricades ne sont jamais véritablement établis. En revanche, à nouveau principalement grâce à l’usage d’actes notariés, O. Ihl exhume avec brio les stratégies matrimoniales et économiques de quelques familles de maraîchers s’investissant dans une forme d’urbanisation typiquement fau- bourienne qui, malgré la prudente hypothèse qui séduit l’auteur (p. 33), n’a généralement rien d’un projet phalanstérien d’inspiration fouriériste. Face à la pression démographique, quoique plus tardi- vement que des collègues extra-muros – mais cela ouvrirait vers une discussion trop longue –, ces maraîchers se convertissent à la spéculation immobilière en ouvrant sur leurs jardins des voies à urbaniser perpendiculairement au faubourg. C’est le cas du riche jardinier Jean-Pierre Piver, dont la mémoire est encore aujourd’hui conservée par le nom du passage qu’il ouvrira à partir de l’emplacement de la maison dans laquelle il loue une chambre à son ami Thibault qui – pourquoi pas en contrepartie de quelques mois de loyer 1. Thierry Gervais, « L'illustration photographique : naissance d'un spectacle de l'information, 1843-1914 », thèse de doctorat en histoire et civilisations, Paris, EHESS, 2007. ❘REVUE FRAN ¸ CAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘VOL. 67 No 2 ❘2017 366 ❘Revue française de science politique difficiles à payer en ce temps de crise écono- mique – lui cède les deux daguerréotypes repro- duits sous forme de gravure par L’Illustration et désormais consultables au Musée d’Orsay. C’est le cas aussi de Thibault lui-même qui, comme Piver, se marie dès l’année suivante à uploads/Litterature/ recension-la-barricade-renversee-rfsp-67-2-2017.pdf

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