« Célébrer les kolkhozes et les usines – c’est la même chose que célébrer l’amo
« Célébrer les kolkhozes et les usines – c’est la même chose que célébrer l’amour heu- reux ? Je ne peux pas. » > « Du moins elle sera musicienne » I van Vladi mirovitch Tsvétaïev, le père de Marina Tsvétaïéva, était professeur de philologie et d’histoire de l’art à Moscou. Il fut connu pour avoir fondé le musée Alexandre III, renommé musée Pouchkine. Veuf et père de deux enfants, Valéria et Andreï, il s’était aussitôt remarié avec Maria Alexandrovna Meyn, une jeune et belle pia- niste qui, par cette alliance, renonçait à une carrière de concertiste. Si l’on en croit l’essai autobiographique intitulé Ma mère et la mu- sique, rédigé en France en 1934, au lieu de Marina elle attendait un Alexandre – « fils désiré, réclamé, presque commandé au des- tin9». « Du moins, elle sera musicienne», au- rait soupiré Maria Alexan drovna lorsque Marina vint au monde le 26 septembre 1892. La petite Moussia, un des diminutifs de Marina, hérita, « don de Dieu», d’une oreille juste, d’une mémoire et d’une imagination très vives. Anastassia, sa sœur, naquit en 1894. « Si les mères disaient un peu plus souvent des choses incompréhensibles, non seulement les enfants comprendraient plus de choses en grandissant, mais ils agiraient aussi avec plus d’assurance. Il ne faut rien expliquer à un en- fant, il faut l’ensorceler10. » Ensorcelée, il semble pourtant bien que Moussia le fut. Dans Le Diable, rédigé en juin 1935, elle ressuscite le «Grison – le dogue ter- rible de [son] enfance», auquel elle se dit «re- devable du cercle enchanté de [sa] solitude». Ce diable, qui lui était apparu alors sous les espèces « d’un chien-gris bonne d’enfant », était une incarnation plutôt sympathique : son «image n’est pas suspendue aux murs des sal- les de justice, là où l’indifférence condamne la passion, la satiété condamne la faim, la bonne santé condamne la maladie11 ». Maria Alexan drovna transmit à ses enfants, outre le goût de la musique, celui de la littérature et des langues. Marina faisait preuve de dispo- sitions artistiques. Sa mère, constatant que dès quatre ans elle cherchait à faire des rimes, nota dans son journal : « Peut-être sera-t-elle poète ? » Chez les Tsvétaïev, le portrait de la première épouse d’Ivan Tsvétaïev, morte à 32 ans de tuberculose, trônait dans le salon de la grande maison du 8 rue des Trois- Etangs: «Toi dont le sommeil est encore pro- fond/Et les mouvements encore paisibles,/Va dans la rue aux Trois-Etangs/Si tu aimes ma poésie/[…] Ce monde merveilleux, sans re- tour,/Tu le trouveras encore, va vite,/Va dans la rue aux Trois-Etangs/Cette âme profonde de mon âme12. » Alors que Marina avait à peine dix ans, on s’aperçut que sa mère avait, elle aussi, contracté la tuberculose. S’ensuivit une période de voyages, Marina et sa sœur accompagnant leur mère sous des climats moins rigoureux en Italie, en Suisse, en Forêt- Noire, puis en Crimée. Les deux jeunes filles ne rentrèrent à Moscou qu’après le décès de leur mère en 1906. En 1909, Marina prit l’initiative de se ren- dre seule à Paris pour y étudier la littérature française. Elle se retrouvait dans la ville de Napoléon, l’un des héros de son panthéon personnel, s’enflammant pour les vers de Rostand que déclamait Sarah Ber nhardt dans L’Aiglon. Cette année-là, elle publia aussi ses premiers poèmes. En 1910, parut à compte d’auteur un premier recueil, L’Album du soir, puis, en 1912, un second, La Lanterne ma- gique, en tout 234 poèmes plutôt intimistes, évoquant son enfance et son adolescence à travers les événements de sa vie familiale. Dans un volume, signé « Marina Efron, née Tsvétaïéva », qui rassemblait des pièces des deux premiers, elle formulait la profession de foi à laquelle elle se tint toute sa vie: «Ecrivez, écrivez davantage ! Fixez chaque instant, chaque geste, chaque soupir ! […] Il n’y a rien qui ne soit important13. » > Une faille dans le temps D ans l’entourage du poète et peintre Maximilian Volochine, elle rencon- tra Sergueï Efron, alors encore ly- céen. Elle l’épousa en 1912, une petite Ariane (Ariadna, Alia) naquit l’année suivante. En 1913, Ivan Tsvétaïev mourut. Matériellement, l’avenir de Marina semblait assuré. Elle avait hérité d’un hôtel particulier confortable à Moscou et de revenus substantiels, une rente sur capital vingt fois supérieure au salaire moyen de l’ouvrier qualifié. La guerre ne changea pas grand-chose, sinon qu’en 1914 Sergueï s’enrôla dans l’armée comme infir- mier. Pendant cette période, Marina, jeune mère et poète, vécut plusieurs passions amou- reuses plus ou moins réelles – des «idylles cé- rébrales » – le plus souvent pour des poètes, qu’il s’agisse d’une poétesse de second ordre comme Sofia Parnok ou d’un très grand poète comme Ossip Mandelstam. Ces élans pas- sionnés emplissaient son âme et servaient de catalyseurs à sa création. « L’amour est une faille dans le temps14 », qu’il soit ou non sexuellement consommé. « Mon amour ne correspond à aucun temps, à aucun lieu. Ce ne sera jamais une entrée dans telle chambre à telle heure. C’est une sortie de tout, com- mençant par ma propre peau15 ! » S’il se fixait aussi sur les femmes, rien n’atteste pour au- 1 0 4 • L I R E S E P T E M B R E 2 0 1 3 e31 août 1941, on retrou vait Marina Tsvétaï é va, pendue dans la pièce qu’elle louait chez des habitants d’Iéla - bouga, petite bourgade de l’Oural sur les bords de la Kama, où elle s’était réfugiée à l’approche des troupes allemandes. Le monde en guerre n’attacha guère d’importance à la mort d’un poète qui n’avait rien publié depuis 1928 et qui était revenu deux ans plus tôt d’un exil de dix-sept ans hors de l’U.R.S.S. Si peu parmi ses contemporains auraient prédit de son vi- vant l’extraordinaire fortune posthume de son œuvre littéraire, elle n’en doutait pas : « On m’aimera (enfin, on me lira !) dans cent ans1. » Nina Berberova, fine observatrice de l’immigration russe, la décrivait ainsi : « Elle a cédé à la vieille tentation décadente de s’in- venter des rôles ; elle était tour à tour le poète maudit et incompris, la mère et l’épouse, l’a- mante d’un jeune éphèbe, un personnage au passé glorieux, le barde d’une armée en dé- route, une jeune disciple et une amie passion- née. [...] Mais elle n’arrivait pas à se dominer, à se façonner, à se connaître. Elle cultivait même cette méconnaissance de soi. Elle était vulnérable, impulsive, malheureuse, et, au mi- lieu de son “nid” familial, restait solitaire. Elle ne cessait de s’enthousiasmer, de se désen- chanter et de se tromper2. » Le lecteur de ses écrits autobiographiques sait que Marina, loin de se méconnaître, était d’une lucidité et d’une conscience absolues d’elle-même. > Sténographe de la Vie O n ne peut comprendre Marina Tsvé - taïéva sans évoquer au préalable son esthétique littéraire indissociable de son éthique propre. Marina Tsvétaïéva, comme Rilke ou Proust, ne séparait pas la vie de la pratique de l’écriture. « Il ne s’agit pas du tout de : vivre et écrire, mais vivre-écrire et : écrire – c’est vivre3. » Ou encore : « Tout, l’écriture exceptée, – n’est rien4.» Comme en un cercle, l’œuvre se fait vie, et la vie, œuvre: « Mes vers sont un journal intime, ma poésie une poésie de noms propres5 » écrivait-elle dès 1913. Elle voulait qu’on grave sur « son monument»: «Sténographe de la Vie6». Pour autant, elle ne jouait pas au philosophe : « A défaut d’avoir une conception du monde, j’ai une sensation du monde7. » Qu’ils soient pu- bliés ou non, qu’il s’agisse de poésie ou de prose, de correspondance ou d’écrits intimes, ses textes forment pour ainsi dire un ensemble de forces qui résistent à la mort. « Je n’aime pas la vie telle qu’elle est – pour moi, ce n’est que dans l’art qu’elle commence à avoir un sens, c’est-à-dire à se revêtir de poids et de si- gnification8. » C’est pourquoi elle fut le sis- mographe de ses passions impossibles : Les écrivains DU BAC TSVÉTAÏÉVA Considérée comme l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, malgré un destin bouleversé par la révolution d’Octobre, celle qui notait dans ses carnets – « en moi, tout est incendie » – a montré qu'elle était « un poète qui sait aussi penser ». BIOGRAPHIE 26 septembre 1892 : naissance à Moscou. 5 juillet 1906 : sa mère meurt de tubercu- lose. 1910 : L’Album du soir (premier recueil de poèmes). 1912 : mariage avec Sergueï Iakovlé vitch Efron. La Lanterne magique (se- cond recueil de poésies). 5 septembre : naissance d’Ariadna. 30 août 1913 : mort d’Ivan Tsvétaïev. 1917 : Sergueï rejoint les ar- mées blanches. 13 avril : naissance d’Irina. 20 février 1920 : Irina meurt de faim. Com - position du poème-conte : « La Vierge-Tsar » et du cycle de poèmes Le Camp des cygnes. 1922 : publie Averse de lumière, uploads/Litterature/ mtsetaeva-bat.pdf
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- Publié le Mai 07, 2022
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