Victor-Laurent T remblay Wilfrid Laurier University Sens du mythe et approches

Victor-Laurent T remblay Wilfrid Laurier University Sens du mythe et approches littéraires (Ce texte a paru dans Mythes dans la littérature contemporaine d'expression française, éd. M. Zupancic, Ottawa, Les Éditions du Nordir, 1994, pp. 133-46.) INTRODUCTION: T out chercheur s'intéressant au(x) mythe(s) se voit confronter à une problématique sémantique et épistémique qu'il se doit de résoudre avant de poursuivre sa recherche. Pour nous, critiques littéraires, des questions telles que: <<Qu'est-ce que le mythe? Quelles sont ses structures et ses fonctions?>> et surtout <<Quels sont ses rapports avec la littérature?>> sont d'autant plus épineuses que bien des théoriciens et des spécialistes en divers domaines, comme I'histoire des religions, I'anthropologie, la socio- logie et même la littérature, ont donné des réponses variées, divergentes et parfois contradictoires. En fait, si le mythe s'est si facilement plié à toutes sortes d'interprétations, c'est que, comme le soulignent Lévi-Strauss, Gilbert Durand et René Girard, celui-ci est le concept malléable et multiforme par excellence: il vit d'inversions, de substitutions, d'ajouts, d'emprunts, de retraits, de multiplications, de divisions, d'innombrables métamorphoses donc, à travers les cultures et les époques de I'humanité. <<Rationaliser>> l'irrationnel, l'imaginaire, le transcendental, dont semble se nourfir le mythe, paraît par conséquent une tâche paradoxale et insurmontable. Pourtant, bien qu'établir un consensus sur la nature du mythe - c'est-à-dire sa nomenclature, son organisation, sa <<raison d'être>> - puisse sembler improbable, utopique même, c'est le défi que j'ai essayé de relever, lorsque j'ai entrepris de faire la <<mythanalyse>> du Québec littéraire traditionnel (1). L'exposé qui suit rend compte brièvement du cheminement préparatoire à cette recherche. Voici, en effet, un résumé de mes efforts à circonvenir le mythe dans toutes ses ambiguïtés et ses avatars, tentant de démêler son écheveau sémantique, de déterminer ses structures et d'élucider sa praxis. Il va sans dire que cet inventaire, cette taxinomie du mythe se fera en rapport avec la littérature en général, bien que souvent les exemples utilisés pour illustrer mon sujet se réfèrent à la culture québécoise qui m'est plus familière. DU MENSONGE AU SYMBOLE Dire dans le langage courant que telle chose est un mythe équivaut à la réduire au mensonge. Nous sommes redevables au XVIIIe siècle français d'avoir le premier donné au mythe ce contenu péjoratif et mesquin, le ravalant au rang de la tromperie collective, consciente ou non. Le positivisme du XlXe siècle reviendra à la charge contre tout mystère, sûr de l'élucider grâce aux sciences. Au Québec, l'ère de la démystification tarda jusqu'à la mort de Duplessis en 1959, lequel fut accablé de la responsabilité de tous les maux sociaux. Derrière cette figure se devina bientôt celle d'un plus grand coupable, le catholicisme traditionnel qui entretenait le statu quo. La critique s'attaqua, en particulier, à la mythologie québécoise sacralisée autour du couple prêtre-mère: on opposa à la fiction ultramontaine une réalité historique et scientifique. Vouloir détromper ainsi ceux qui ont été abusés et illuminer d'explications claires le caractère ésotérique et mystique d'une idéologie, voilà ce qui résulte du mythe en son sens négatif de <<construction de l'esprit qui ne repose pas sur un fond de réalité>>, dit le Larousse. Le mythe, qui camoufle ou déforme toujours quelque chose qui est autre, invite donc à la démystification. Selon Roland Barthes, il est <<configuration idéologique spécifique [...] d'images [...] dissimulant une maxime idéologique qui lui est co-extensive(2)>>. Citons un exemple afin de cerner d'un peu plus près cette acception du mythe trompeur. Dans Mythes et images du Juif au Québec, V. T eboul dénonce la création d'un Juif imaginaire dans la littérature québécoise: certains romans, qui ont acquis un caractère classique, propagent dans la société une image simplificatrice et dépréciative du Juif ou, à l'opposé, une idéalisation de la Juive mystérieuse. T outefois, malgré le repérage par le critique des invraisemblances quant aux personnages ou aux habitudes des Juifs dans ces romans, on ne peut vraiment dire qu'il s'agit de tromperie sans aucun lien avec la réalité. Une deuxième définition du mythe se voit donc nécessaire, laquelle rendrait compte du fait qu'il s'accorde à une certaine vérité manipulée après coup. Selon le Larousse, le mythe est aussi <<amplification et déformation par l'imagerie populaire d'un personnage ou de faits historiques, de phénomènes sociaux>>. On rejoint ici la légende qui s'échappe <<dorée>> ou fantastique hors des cahiers de I'Histoire. Les figures de Charlemagne et de Napoléon dépasseront toujours les cadres trop étroits des interprétations des historiens pour atteindre le domaine mythique. Au Québec, quoique beaucoup plus humblement, Papineau, Duplessis et René Lévesque se sont vus amplifiés dans l'imagination populaire. Même les choses n'échappent pas à cette boursouflure sémantique, il suffit de se souvenir, par exemple, du Paris de Balzac ou de son monstrueux moteur, l'argent, qu'il dénonce au début de La Fille aux yeux d'or. Le domaine littéraire n'est pas non plus exempt de ces exagérations que René Étiemble définit comme grilles-forçages que l'idéologie littéraire impose sur la biographie et l'œuvre d'un écrivain. Ce projet de dénonciation qu'il poursuivit dans Le Mythe de Rimbaud, on le retrouve aussi au Québec. Dans Le Mythe de Maria Chapdelaine, les auteurs exposent les manipulations subies par le texte original. Et rapidement, ce récit, qui dénonçait la tragique résignation, la plainte sans révolte de Maria convaincue par les <<voix>> (idéologies) de se soumettre, se transforma en apologie d'une société traditionnelle et au service de la colonisation. Vers la même époque, la mythification de Nelligan fut pour les intellectuels ce que celle de Maria Chapdelaine fut à la classe paysanne: une voie à suivre dans un combat stérile. Comme on l'avait fait avec Hémon, Jean Larose, dans Le Mythe de Nelligan, démontre qu'on a manipulé les poèmes de Nelligan en les corrigeant. Les meilleurs qu'il composa juste avant de sombrer dans la névrose furent probablement détruits par son maître Dantin qui les jugeait inférieurs. Ce dernier et d'autres biographes auraient interprété les faits de sa vie afin de l'identifier au héros romantique qui s'oppose à la société et meurt proscrit. Cependant, tout en s'attaquant à ce mythe trompeur, le critique identifie Nelligan comme incarnation de la nation québécoise: il serait le Canadien français type, en adoration pour sa mère de langue française qui représente pour lui la culture, la tendresse et la sécurité d'antan, et plein de rage envers son père de langue anglaise qu'il considère comme un étranger matérialiste et violeur. Cette représentation de Nelligan comme allégorie d'une nation atteint un troisième niveau du mythe où les faits réels n'existent plus que pour une deuxième signification, comme si le contenu débordait la forme. Avant de développer, il importe de signaler que, en France, après deux périodes de rationalisme vouées à rectifier les erreurs du merveilleux, le romantisme et le surréalisme réhabilitèrent le mythe, lui reconnaissant, comme à la poésie, un caractère de véracité non pas en compétition avec la vérité historique ou scientifique, mais en supplément. De la même façon, on a pu voir au Québec, après les années de dénonciation des structures sociales aliénantes d'autrefois, une résurgence d'intérêt pour ce <<patrimoine méprisé>> dont on tend à reconnaître de plus en plus la valeur culturelle(3). DU THÈME AU MYTHE D'abord pur mensonge à démystifier, nous avons vu ensuite que le mythe rapportait un fait réel, souvent concernant des personnages historiques, mais d'une façon toute fantaisiste, il ajoutait des péripéties fantastiques pour créer une légende. Enfin, dans une troisième étape, nous avons vu que le mythe présente une signification symbolique, passage d'une réalité matérielle ou corporelle à une réalité conceptuelle ou même psychique. Au delà du sens littéral du récit, le critique littéraire à ce stade recherche et trouve d'autres correspondances significatives grâce à l'organisation systématique des <<thèmes)> de I'œuvre: [D]éfini comme qualificatif substantiel, le thème, souligne Pierre Albouy, sera une qualité sensible, ou un objet, voire un être, offrant cette qualité sensible à un degré éminent; [...] non idéique le thème est existentiel et traduit un rapport immédiat du sujet avec l'objet, sous la forme de l'adhésion ou de la répugnance [...] toute thématique se présent[ant] comme un réseau. (11) Cette recherche de significations plus profondes s'oriente selon trois axes - psychique, social ou diachronique - dépendant de la priorité, fonctionnelle accordée aux thèmes. A) L'AXE PSYCHIQUE Le propre de la psychocritique, inspirée par la psychanalyse et fondée par Charles Mauron, est de reconstituer, à partir de <<métaphores obsédantes>>, un <<mythe personnel>> qui traduit la personnalité inconsciente de I'écrivain et rend compte des structures et de la dynamique de son œuvre. La critique <<thématique>> d'un Poulet, d'un Richard ou d'un Starobinski, relève d'un même <<structuralisme génétique>> lorsqu'elle découpe des réseaux de formes signifiantes, <<reconna[issant] à I'œuvre un signifié implicite, qui est, en gros, le projet existentiel de l'auteur(4)>>. De ce côté-ci de l'Atlantique, André Brochu s'est inspiré de cette critique avec succès dans son essai sur Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy . Parti à la recherche des intentions d'une œuvre, c'est finalement celles de I'auteur qu'il trouve et de sa hantise de l'enfance: <<tous les moments heureux renvoient à cet univers premier>>, à son <<aspect féerique, mythique>>: foyer d'où rayonnent toutes structures et toute uploads/Litterature/ mythe-symbole-mythanalyse.pdf

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