Inès Oseki-Dépré De Walter a nos jours f • # (Essais de traduetologie) HONORÉ C

Inès Oseki-Dépré De Walter a nos jours f • # (Essais de traduetologie) HONORÉ CHAMPION PARIS P r e m i è r e p a r t i e e n t r e h e r m é n e u t iq u e ET POÉTIQUE P r é l i m i n a i r e s Au regard de l’immense quantité de propos théoriques, paratextes, commentaires qui existent sur la traduction en général et la traduction littéraire en particulier8, un fait paraît assez surprenant : en effet, dans I» masse de textes parue en Occident, et particulièrement en France9, «culs trois noms se détachent parmi les auteurs des milliers de pages écrites sur la question : Cicéron au Ier s. av. J.-C., Hyeronimus (saint Jérôme) au cinquième siècle de l’ère chrétienne et Walter Benjamin à notre époque (1892-1940)1 0 . Ces trois auteurs ont su formuler de laçon essentielle et lapidaire les orientations qui sont à la base de la pratique du traduire. Bn ce qui concerne les deux premiers auteurs, ce fait s’explique par l’impact de leurs œuvres mais aussi pour des raisons historiques dans la mesure où Cicéron est le porte-parole de la latinité au moment de la pénétration grecque dans la culture romaine (106-43 av. J.-C.), et où Jérôme est le premier traducteur latin de la Bible hébraïque (347-420 1 1 À ce sujet, pour n’en donner que quelques exemples, la bibliographie de Roger Zuber (Les Belles infidèles et la formation du goût classique, Paris, Albin Michel, l%8) comporte environ 1000 auteurs dont la moitié écrivent sur la traduction ; George Stciner (Après Babel, Paris, Albin Michel, 1978) plus de 210 titres ; Jean-René I,admirai (Traduire : théorèmes pour la traduction, Paris, pbp, 1979) 85 auteurs ; Efim Etkind (Un Art en crise, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1982) 260 auteurs ; Antoine Berman (L’Épreuve de l ’étranger, coll. Les Essais, Paris, Gallimard, 1984) 82 auteurs ; Michel Ballard (De Cicéron à Benjamin, PUL, 1992) 150 auteurs ; Inès Oseki-Dépré (Théories et pratiques de la traduction littéraire, Paris, Armand Colin, 1999) 125 auteurs. 9 On s’attachera particulièrement au cas français, à quelques exceptions près (Cf. Qfiftki-Dépré, op. cit.). 1 0 George Steiner dit à peu près la même chose : « Prenez les noms de saint Jérôme, Luther, Dry den, Hölderlin, Novalis, Schleiermarcher, Nietzsche, Walter Benjamin, Quine, et vous avez pour ainsi dire la liste complète de ceux qui ont dit quelque chose d'essentiel ou de nouveau sur la traduction », Après Babel, Paris, A. Michel, 1978. 16 E n t r e h e r m é n e u t i q u e e t p o é t i q u e ap. J.-C.). Cicéron1 1 , on s’en souvient, prône en premier lieu l’imita­ tion des Grecs ; ce n’est qu’en second lieu que les valeurs de langue et d’usage (consuetudo) constituent, à ses yeux, la référence pour le texte traduit : « Non enim adnumerare sed tanquam adpendere. » La traduction orientée vers la cible (appelée plus tard target oriented), qui prévaudra jusqu’à nos jours, trouve ici son principe (décontextualisé dans les siècles classiques français) et sa justification. Quelques siècles plus tard, Jérôme, auteur latin de la chrétienté, se trouve confronté au dilemme entre traduction orientée vers la source et traduction orientée vers la cible, - termes contemporains - qui ne pouvaient se concevoir tels quels à l’époque cicéronienne. En effet, aux grands orateurs et poètes latins de la période classique la question de la fidélité à la lettre grecque ne se posait pas alors que la traduction religieuse médiévale se devait d’être « fidèle » (c’est-à-dire, littérale). Jérôme propose une bipartition : traduire le texte profane, à l’instar de Cicéron, Horace, Plaute, Térence, selon le sens, l’essentiel étant de produire quelque chose d’équivalent à la grandeur du texte hellénique, « sensum exprimere de senso » et traduire « mot à mot » le texte religieux où « même l’ordre des mots est un mystère »1 2 . C’est dire qu’au moment où il soulève le problème de la dualité de la traduction, il est à même - sur le plan théorique - d’y apporter une réponse. En gros, on pourrait dire que si les propos de l’auteur latin ont prévalu jusqu’à nos jours, c’est Jérôme qui a permis à l’époque actuelle de se poser le problème de la traduction autrement qu’en termes d’orientation vers la réception exclusive du public et sa satisfaction. La littéralité exigée pour la traduction des écritures saintes, si elle représentait un moindre mal pour l’auteur qui traduit, pouvait avoir l’avantage de préserver une certaine obscurité relevant du sacré. La position de Walter Benjamin est toute autre dans la succession des théories traductives bien que la religiosité ne soit pas tout à fait 1 1 Cicéron, Du meilleur genre d ’orateurs, Paris, Les Belles Lettres, 1921, traduction Henri Bomccque, p. 11. 1 2 En fait le problème est plus complexe et les deux positions s’interpénétrant dans la pratique (voir Vulgate, traduction latine de la Bible, par saint Jérôme). De même, chez Cicéron, son statut d’auteur prime sur le public. E n t r e h e r m é n e u t i q u e e t p o é t i q u e 17 exclue de son propos1 3 . En quelque sorte, en refusant de poser le problème de la dualité de la traduction, du choix unique entre le fait de privilégier la source ou la cible1 4 , il ouvre au traducteur un nouvel espace de liberté et c’est ce point qui constitue le sujet de notre réflexion. S’opposant aux idées de Kant qui introduit une dissociation trop nette entre contenu et forme de la langue et pour qui le langage relève d’un acte intentionnel qui prendrait forme dans le langage, Walter Benjamin prend le parti des Romantiques allemands qui anticipent sur la théorie de von Humboldt de la « forme interne » que représente chaque langue nationale. Le langage cesse d’être le moyen d’accès à la connaissance pour devenir plutôt une forme originaire et irréductible qui exprime une vision particulière du monde1 5 . « -, Parmi les nombreux hypertextes théoriques que sa préface a suscités, - car il s’agit dans le présent ouvrage d’en signaler quelques-uns qui nous paraissent significatifs -, il est important de proposer d’abord notre « traduction » du texte benjaminien (à partir de celle de Maurice de Gandillac et alii (1971, trad. fr. : 261))1 6 , puis, dans un second temps (ce qui se voudrait notre contribution à la traductologie) d’examiner des cas qui relèvent d’une telle théorie de la traduction, ou en d’autres termes, les « effets Benjamin ».\On peut ajouter que ce texte, en raison de sa complexité fondamentale, de son usage des métaphores, de sa syntaxe, a donné naissance à des versions différentes voire contradictoires. 1 3 « Le fondement de la fidélité (littéralité) du traducteur est extra-littéraire : il relève à la fois de l’éthique, de la poétique et dans le cas présent (de Chateaubriand), de la religiosité. » Antoine Berman, Des Tours de Babel, Mauvezin, TER, 1985. 1 4 Voir Humboldt, Georges Mounin, Itamar Even-Zohar, Van der Meershen, Umberto Eco. 1 5 Idée déjà présente dans l’essai Sur le langage en général et sur la langue humaine, Œuvres I, Paris, Gallimard, 2001, pp. 142-165. 1 6 Nous avons consulté également les retraductions de Martine Broda, d’Alexis Nouss, le commentaire de Paul de Man, mais nous nous sommes également aidée du travail (Mémoire de DEA) de M. Christian Winterhalter (2001/2002) consacré à l’analyse comparative des traductions françaises du « Die Aufgabe des Übersetzer ». 1. Wa l t e r B e n j a m i n e t l a b i p o l a r i t é 4 DE LA TÂCHE DU TRADUCTEUR17 I t A Î \M& < k ~ > M lX * C v 1. X? b \ O -*> J Les présupposés de la théorie de Walter Benjamin peuvent se résumer en trois points dont le premier, étonnamment nouveau, est le \ refus de la référence au public : « En aucun cas, en face d’une œuvre d’art ou d’une forme d’art, la référence au récepteur ne se révèle fructueuse pour la connaissance de celles-ci. » La raison en est que l’œuvre d’art ne s’adresse pas à un public donné, immédiat, mais à l’homme dans son essence historique. De même, et en deuxième lieu, l’œuvre d’art ne communique pas, ce qu’elle a d ’essentiel n ’est pas communication. Les principes classiques et généralisés se trouvent ainsi annulés : la traduction ne doit ni se conformer au goût du public, ni, par conséquent, traduire le sens. - En fait, la traduction est une forme dont les lois sont à chercher dans F original. Benjamin va ainsi à rencontre de ce qui caractérisera la pensée des linguistes de la communication et des théoriciens de la , traduction pour qui uploads/Litterature/ oseki-depre-ines-de-walter-benjamin-a-nos-jours.pdf

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