LA COMÉDIE DU PHALLUS Pierre Naveau L'École de la Cause freudienne | « La Cause

LA COMÉDIE DU PHALLUS Pierre Naveau L'École de la Cause freudienne | « La Cause Du Désir » 2017/1 N° 95 | pages 25 à 32 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040985 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2017-1-page-25.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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En tant que signifiant, il peut être celui du désir ou celui de la jouissance. Mais il peut être aussi un signifiant tout seul. Et cela, alors même qu’il est exclu du lieu du signifiant et qu’il n’a pas de signifié. Dans son Séminaire L’Angoisse 1, il est considéré par Lacan comme étant un organe qui connaît différentes vicissitudes : l’érection, certes ; mais, après la tumescence, vient la détumescence. En tant que fonction enfin, il écrit celle d’entre les jouissances qui est la phallique. Aurélie Pfauwadel — Le phallus est abordé comme étant soit imaginaire, soit symbo- lique, soit réel. Il peut être négativé ou positivé, dévalorisé ou valorisé, mortifié ou vivi- fié, être lié à la parole ou à l’écriture, être abordé dans sa dimension comique ou tragi- comique, etc. Pourquoi la définition du concept de phallus connaît-elle d’aussi impor- tantes variations ? P . N. — Une remarque, tout d’abord, sur l’usage du terme de concept. Lorsque Frege, dans un article daté de 1892, s’interroge sur ce qu’est une fonction, il oppose au Gegenstand, (à l’objet), le Begriff, (le concept). Or, Begriff vient du verbe greifen, qui veut dire saisir. Lacan le souligne, à la fois dans la leçon du 11 mars 1975 du Séminaire XXII2 et dans celle du QU’EST-CE QUE… LE PHALLUS ? Pierre Naveau est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne. Mettre au travail les concepts de la psychanalyse : tel est l’objectif de la rubrique « Qu’est-ce que...? ». L’équipe de rédac- tion de La Cause du désir a adressé ses questions à Pierre Naveau par courriel, qui s’est prêté au jeu d’y répondre on line. 1. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse (1962-1963), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2004. 2. Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « RSI » (1974-1975), inédit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 132.174.250.76 - 21/06/2020 16:45 - © L'École de la Cause freudienne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 132.174.250.76 - 21/06/2020 16:45 - © L'École de la Cause freudienne Qu’est-ce que… le phallus ? 26 10 février 1976 du Séminaire XXIII3 – il existe ainsi un rapport entre le concept et ce qui peut, à la manière d’une arme, se saisir dans la main. Évoquant à ce propos le singe, Lacan s’en amuse : « Le singe aussi se masturbe, et c’est en quoi il ressemble à l’homme. Dans le concept, il y a toujours quelque chose de l’ordre de la singerie. » Il y a, cependant, dans le phallus, quelque chose d’insaisissable qui, par là même, échappe à la prise du concept. Car, de quelque façon que l’on veuille saisir le phallus, l’ambiguïté est ce qui caractérise le concept qui cherche à le cerner. Dans « Die Bedeutung des Phallus4 » (« La signification du phallus »), Lacan attra- pe le phallus en se référant au fameux article de Frege également publié en 1892 et inti- tulé « Über Sinn und Bedeutung ». Il met alors l’accent sur une dialectique qui tourne autour de la question de la valeur. D’un côté, le phallus est élevé au rang de signifiant par le biais d’une « positiva- tion » qui constitue le signe d’une valorisation : F. De l’autre, la signification phal- lique porte la marque de la trace d’une « négativation » qui, elle, correspond, au contraire, à une dévalorisation : (-f). À cet égard, Lacan utilise les termes d’Aufhebung et d’Erniedrigung, qui signifient, respectivement, être « élevé au rang de » et « être rabaissé au rang de ». Il est donc alors question d’exaltation ou de ravalement, voire de mépris. L’habitude de dénigrer et de rabaisser, à laquelle l’homme politique, par exemple, ne peut faire autrement que de se plier, vise, chez l’adversaire, le (-f) ou la réduction au (-f). Dans cette lutte à mort pour rire, il s’agit là d’une intense pratique de l’Erniedrigung. La rivalité implique que ce soit, bien sûr, d’abord lui-même qui soit visé par cette jouissance mauvaise que comporte le fait de médire. Le fantasme « Un enfant est battu » qui, selon Freud, débouche sur une jouissance masturbatoire, montre que le phallus peut être identifié à la fois à l’autre que l’on frap- pe et que l’on envie et à l’instrument avec lequel on frappe – le bâton, comme chez Molière, ou le fouet, comme chez Sade ou Sacher-Masoch. Autre exemple venu de la clinique de la névrose obsessionnelle : le fantasme d’une patiente de Maurice Bouvet consistait à vouloir, selon un mode blasphématoire, frap- per le phallus du Christ5. C’est ce que Lacan a appelé « l’insulte faite à la présence réelle ». Comme on le voit, le phallus peut servir à bien des choses. Carole Dewambrechies-La Sagna — Le phallus est-il si mystérieux ? P . N. — Le phallus était célébré à Éleusis en tant que semblant. Tertullien est le premier à avoir révélé qu’un mystère entourait alors ce phallus qui, à titre de simulacre, était 3. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome (1975-1976), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2005. 4. Lacan J. « La signification du phallus. Die Bedeutung des Phallus » (1958), Écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1966, p. 685-695. 5. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert (1960-1961), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2001, p. 295. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 132.174.250.76 - 21/06/2020 16:45 - © L'École de la Cause freudienne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Chile - - 132.174.250.76 - 21/06/2020 16:45 - © L'École de la Cause freudienne Pierre Naveau, La comédie du phallus 27 gardé secret et caché jusqu’à ce qu’il soit dévoilé et exhibé lors d’une cérémonie. Alors un rite d’adoration s’amorçait. Le phallus renvoie en effet au voile, car, dit Lacan, « il ne peut jouer son rôle que voilé6 ». C’est pourquoi, précise-t-il, le Démon de la pudeur surgit dans le moment même où, dans le mystère antique, le phallus est dévoilé. Il évoque alors la fresque bien connue de Pompéi où une femme recule d’effroi devant le phallus dévoilé – l’effroi étant l’envers de l’attrait qui, comme l’a montré Pascal Quignard, provient d’une fasci- nation. Il y a ainsi une relation étroite entre le phallus, la féminité et la pudeur. C’est ce que Freud notait dans son livre sur le trait d’esprit, lorsqu’à propos du mot d’esprit dit « obscène », il évoquait la relation de la femme à la nudité et à l’Entblössung (la mise à nu). Lacan renvoie ainsi à la fonction du voile, lorsqu’il donne cette indication : « Telle est la femme derrière son voile : c’est l’absence du pénis qui la fait phallus, objet du désir.7 » Cette absence même, c’est, dit Lacan8, ce que le voyeur sartrien, en tant que regard caché, cherche à surprendre en collant son œil contre le trou de la serrure. Sophie Simon — Après qu’un patient ait pu expliquer, lors d’une présentation de mala- de, ne vivre que pour être une femme, comment entendre la remarque que lui a faite Lacan : Vous vous êtes quand même senti homme, vous êtes pourvu d’un organe masculin. C’est terrible “d’être un homme”, mais il faut que vous vous y fassiez ? P . N. — C’est, si je puis dire, de la « politique lacanienne » au sens où Jacques-Alain Miller l’a uploads/Litterature/ p-naveau-la-comedie-du-phallus.pdf

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