collection eupalinos série archi tecture et urbanisme Lewis Mumford Technique
collection eupalinos série archi tecture et urbanisme Lewis Mumford Technique et civilisation Traduit de l’anglais par Natacha Cauvin et Anne-Lise Thomasson Préface d’Antoine Picon Parenthèses www.editionsparentheses.com / Lewis Mumford / Technique et civilisation / ISBN 978-2-86364-672-4 technique et civilisation Préface à la présente édition Par Antoine Picon Publié pour la première fois en 1934, Technics and Civilization (Technique et civilisation), de Lewis Mumford s’est rapidement imposé comme un jalon essentiel dans le développement de l’histoire des techniques. Il faut dire qu’à l’époque de sa parution, il n’existait encore que fort peu de tableaux d’ensemble de l’évolution technicienne de l’humanité. Encore plus rares étaient les tentatives de croiser cette histoire avec celle des sociétés et des cultures. Bien avant qu’on parle de « construction sociale des techniques », Mumford avait livré des analyses pénétrantes de la façon dont techniques et sociétés se déterminent mutuellement, ou encore se « co-produisent », pour reprendre l’expression d’une spécialiste contemporaine de ces questions, Sheila Jasanoff 1. En dépit de ce succès à la fois rapide et durable, puisque l’ouvrage a été constamment réédité depuis sa publication initiale, Technics and Civilization n’est pas un livre savant comme il y en a tant. Son auteur n’est d’ailleurs pas un universitaire, mais un intellectuel engagé, un profil suffisam- ment rare aux États-Unis pour qu’il soit nécessaire d’en dire quelques mots avant d’en venir à l’ouvrage lui‑même. Son propos se révèle beaucoup plus ambigu qu’il pourrait y paraître au premier abord. Sur des points pourtant essentiels comme la question de savoir si le progrès technique est ultimement bénéfique ou nuisible, Mumford semble à plusieurs reprises se contredire. Ces incohérences ne sont toutefois qu’apparentes. Elles renvoient à des prises de position qui ne s’éclairent complètement qu’en examinant de plus près la trajectoire de Lewis Mumford ainsi que les convictions profondes qui l’animent. Né en 1895 et mort en 1990, Lewis Mumford est issu d’un milieu extrêmement modeste 2. New York, la ville où il est né et où il passera une grande partie de son existence, exerce une influence profonde sur lui. Très tôt, il prend l’habitude d’effectuer de longues promenades dans les rues où il peut observer la richesse foisonnante de la vie urbaine. Comme l’activiste Jane Jacobs, Collection publiée avec le concours financier de la région Provence‑Alpes‑Côte d’ Azur. Titre original : Technics and Civilization copyright © 1934 Harcourt, Inc. copyright © 1962 renewed by Lewis Mumford “Introduction” copyright © 1963 Harcourt Published by special arrangement with Houghton Mifflin Harcourt Publishing Company copyright © 2016 Éditions Parenthèses www.editionsparentheses.com isbn 2‑86364‑672-4 / issn 1279-7650 www.editionsparentheses.com / Lewis Mumford / Technique et civilisation / ISBN 978-2-86364-672-4 6 7 7 Lawrence J. Vale, « Designing Global Harmony : Lewis Mumford and the United Nations Headquarters », in Thomas P. Hughes, Agatha C. Hughes (ed.), Lewis Mumford Public Intellectual, New York, Oxford, Oxford University Press, 1990, p. 256-282. 8 Sur l’organicisme de Mumford, cf. par exemple les articles réunis dans Thomas P. Hughes, Agatha C. Hughes, op. cit., ainsi que Robert Casillo, « Lewis Mumford and the Organicist Concept in Social Thought », Journal of the History of Ideas, vol. 53, no 1, 1992, p. 91-116. 1 Sheila Jasanoff (ed.), States of Knowledge : The Co-Production of Science and the Social Order, New York, Routledge, 2004. 2 Donald L. Miller, Lewis Mumford : A Life, New York, Weidenfeld & Nicolson, 1989. 3 Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines [1961], traduit de l’américain et présenté par Claire Parin, Marseille, Parenthèses, 2012. 4 Hilary Ballon, Kenneth T. Jackson, Robert Moses and the Modern City : The Transformation of New York, New York, W. W. Norton & Company, 2007. 5 Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire [1961], traduction de l’américain par Guy Durand, Marseille, Agone, 2011. 6 Lewis Mumford, Le Mythe de la machine, 1. La technologie et le développement humain [1967], 2. Le Pentagone de la puissance [1970], Paris, Fayard, 1973-1974. Fort peu académique, cette diversité de centres d’intérêt possède ses détracteurs. Mumford échappe aux catégories habituelles de classe- ment des universitaires et sa plume l’entraîne souvent assez loin de ce que recom- mande la prudence scientifique. C’est qu’il se veut avant tout un écrivain et un intellectuel capable de s’élever au-dessus des minuties du regard spécialisé, un écrivain et un intellectuel engagé de surcroît dans des combats menés au nom de ses idéaux. Dès le milieu des années vingt, Mumford milite par exemple contre le plan régional de New York élaboré sous la conduite de l’urbaniste Thomas Adams auquel il reproche des hypothèses de croissance métropolitaine démesu- rées, s’opposant selon lui aux exigences d’un développement harmonieux de la ville et de ses environs. Il s’investira par la suite dans de nombreux débats publics concernant l’urbanisme, l’architecture, mais aussi les technologies et le poids croissant de l’appareil militaro-industriel dans l’économie américaine. Un certain nombre de fils conducteurs traversent cette vie scandée par la publication de très nombreux articles, de vingt-neuf livres, ainsi que par des prises de position souvent retentissantes, comme lorsque Mumford s’élève contre le parti architectural retenu pour le siège des Nations unies à New York dont il juge la modernité abstraite et desséchante 7. Au plan des principes fondamentaux, sa dette à l’égard du biologiste, sociologue et urbaniste écossais Patrick Geddes (1854-1932) est immense. Mumford découvre Geddes au cours de ses années de formation qui le voient dévorer toutes sortes d’auteurs. Il entre- tiendra par la suite des relations régulières avec lui au point d’apparaître par moments comme une sorte de fils spirituel d’un homme doté d’un indéniable ascendant intellectuel. Mumford emprunte tout d’abord à Geddes une vision unitaire et organique du développement social, du moins tel qu’il devrait se dérouler, car de nombreux facteurs, à commencer par la technologie, on y reviendra, sont susceptibles de compromettre l’harmonie censée régner entre les hommes ainsi qu’entre la société dans son ensemble et son environnement naturel 8. Pionnier de l’écologie, Geddes élabore sa célèbre coupe-type de la l’auteur du célèbre manifeste The Death and Life of Great American Cities 3, il s’insurgera dans les années cinquante et soixante contre la politique de moder- nisation brutale menée par Robert Moses, souvent présenté comme l’équiva- lent new-yorkais du baron Haussmann, qui avait imaginé de faire passer une autoroute au sud de Manhattan en rasant au passage une partie des quartiers de SoHo et Little Italy 4. Animé du désir de se faire un nom dans la vie tout en préser- vant son indépendance, Mumford choisit une voie originale en renonçant à faire des études supérieures pour vivre de sa plume comme écrivain. Après un court passage par la Marine à la fin de la Première Guerre mondiale, il colla- bore à différents journaux et publie des études dédiées à la littérature améri- caine. Parus respectivement en 1926 et 1929, The Golden Day, consacré à l’école transcendantaliste et surtout Herman Melville : A Study of his Life and Vision sont accueillis favorablement par la critique. Les deux ouvrages exerceront une influence durable sur l’histoire de la littérature américaine. Mumford s’inté- resse également à l’histoire de la pensée utopique, ainsi qu’en témoigne son premier livre, The Story of Utopias, publié en 1922. Mais ses deux sujets de prédi- lection deviennent assez vite le cadre bâti et les techniques. C’est dans le champ de l’architecture et de la planification urbaine qu’il connaîtra ses plus grands succès. Son livre de 1961, The City in History 5 lui vaudra le National Book Award, l’une des distinctions littéraires les plus prestigieuses des États-Unis. Dans le champ des études consacrées à l’évolution technique de l’humanité, les idées de Mumford évoluent tout en continuant à marquer les esprits. L’optimisme qui imprègne Technics and Civilization cède la place à une attitude beaucoup plus inquiète dans The Myth of the Machine 6 dont les deux volumes, Technics and Human Development et The Pentagon of Power, paraissent en 1967 et 1970. www.editionsparentheses.com / Lewis Mumford / Technique et civilisation / ISBN 978-2-86364-672-4 8 9 12 Rosalind Williams, op. cit., p. 41. Voir aussi, du même auteur, « Lewis Mumford’s “Technics and Civilization” », in Technology and Culture, vol. 43, no 1, 2002, p. 139-149. 9 Rosalind Williams, « Lewis Mumford as a Historian of Technology in Technics and Civilization », in Thomas P. Hughes, Agatha C. Hughes (ed.), op. cit., p. 43-65, p. 56 en particulier. 10 Mark Luccarelli, Lewis Mumford and the Ecological Region : The Politics of Planning, New York, Londres, The Guilford Press, 1995. 11 Leo Marx, « Lewis Mumford : Prophet or Organicism », in Thomas P. Hughes, Agatha C. Hughes (ed.), op. cit., p. 164-180, p. 168 en particulier. Car Mumford avait projeté initialement d’écrire un ouvrage de grande ampleur traitant de l’histoire de la civilisation occidentale dans son ensemble, ainsi que des causes ayant provoqué la dislocation de certaines de ses structures fonda- mentales, une « perte de forme », selon sa propre expression, une fragmenta- tion et un désordre croissants contre lesquels il s’agissait de lutter. Intitulé Form and Personality, le livre devait uploads/Litterature/ p672-technique-civilisation-extrait 1 .pdf
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- Publié le Oct 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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