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Accueil bibliothèque SFLGC Vox Poetica LITTERATURE COMPAREE ET COMPARAISONS Les comparatistes entretiennent, me semble-t-il, avec la comparaison des rapports plutôt ambigus, voire conflictuels. Je plaide coupable. Qu'il me soit permis de citer les mots avec lesquels j'ouvre mon manuel La littérature générale et comparée (Paris, A. Colin, 1994) : Mais vous, les comparatistes, que comparez-vous ? À cette question, faussement naïve et vraiment malicieuse, le comparatiste se doit de répondre : rien. Mais peut-être ne faisais-je que mettre mes pas dans ceux de Jean-Marie Carré qui, dans sa préface à La littérature comparée (QSJ ? no 499, 1951) de Marius-Fr. Guyard, affirmait : La littérature comparée n'est pas la comparaison littéraire. Il ne s'agit pas de transposer simplement sur le plan des littératures étrangères les parallèles des anciennes rhétoriques [ ... ] Nous n'aimons pas beaucoup à nous attarder aux ressemblances et différences entre Tennyson et Musset, Dickens et Daudet, etc. À l'inverse, d'autres verraient volontiers dans la comparaison non seulement le symbole de nos activités mais l'apothéose de toute véritable activité intellectuelle. Ainsi George Steiner (Passions impunies, Gallimard, 1997) dans un chapitre au titre suggestif « Lire en frontalier » consacré à la discipline, n'hésite pas à qualifier de « comparatif » « tout acte de recevoir une forme signifiante (langage, art, musique). « Faire neuf », injonction d'Ezra Pound, est « en sa logique et en sa substance [ ... ] comparative ». La simple affirmation de préférence est une « comparaison avec ». « Lire c'est comparer ». L’herméneutique placée sous l'autorité d'Hermès (sans que Michel Serres soit cité) est une « comparaison tacite. » Et pour faire bon poids : Il se peut bien que les réflexes qui mettent en jeu la ressemblance et la dissemblance, l'analogie et le contraste, soient à la base de la psyché humaine et de l'intelligibilité. Mais si l'on récuse la comparaison, que faut-il invoquer pour définir la discipline? Jean- Marie Carré mettait en avant « l'étude des relations spirituelles internationales », les « rapports de fait » et j'ai pour ma part proposé une définition : Au départ, la littérature comparée procède d'une prise de conscience, donc d'une problématisation, de la dimension étrangère dans un texte, chez un écrivain, dans une culture. À mes yeux, en effet, la question de l'altérité est constitutive de la discipline ; elle lui est même consubstantielle, N'y aurait-il pas deux entrées possibles pour une discipline changée en Janus bifrons : la comparaison et la dimension étrangère ? Il conviendrait peut-être de réfléchir sur notre ou nos pratiques, sur l'acte comparatiste qui est prioritairement lecture, lecture comparatiste ou mieux comparante, pour parvenir peut-être à quelques mises au point bénéfiques et salutaires. Pour rendre compte de nos pratiques, je me propose d'en dresser successivement, mais avec une inégale attention, l'archéologie, l'anatomie, la typologie, la théorie et possiblement la philosophie. I C'est par un exemple quelque peu inhabituel par rapport au stock de noms rituellement avancés pour montrer qui étaient nos ancêtres les comparatistes que je voudrais commencer. Dans ses Nuits attiques (X, Ill), le grammairien et polygraphe Aulu Gelle se livre à une « étude comparée » de quelques « passages célèbres, tirés des discours de C. Gracchus, de Cicéron et de M. Caton ». Ce qui m'intéresse est la façon dont l'exercice de comparaison est amené, défini. Curieusement, deux mots sont nécessaires pour la définition : « Locorum quorumdam illustrium collatio contentioque facta ex orationibus C. Gracchi, M. Ciceronis et M. Catonis. » Pour comparer, Aulu Gelle a dû d'abord assembler (conferre, collatum) et aussitôt mettre en parallèle (collatio est le « parallèle » en rhétorique, cf. Quintilien V, 11, 23), comparer mais dans le sens d'un rapprochement. Ensuite il a fallu faire la démarche inverse : procéder à une distinction, à une mise en évidence de différences, contentio étant employé en rhétorique dans le sens d'antithèse (Quintilien, IX, 3, 81). De fait, il s'est agi de faire entrer des textes en dialogue, c'est-à-dire en coïncidence, en une sorte d'assemblage ; puis distinguer, séparer (dia-bâllein est l'action « diabolique » qui pratique la séparation, amène au jour l'antithétique). C'est dire que la différence ne peut être justifiée qu'après élucidation du projet global qui a présidé à la multiplication des textes. Une sorte de pré-synthèse est donc toujours à la base du geste comparatiste. Si séparer est compromettant, assembler l'est plus encore : dis-moi quel est ton corpus retenu et je te dirai ce que tu veux chercher... Je ne m'attarderai guère sur le parallèle qui a sans doute en Plutarque son ancêtre et en August-Wilhelm Schlegel son précurseur, du point de vue comparatiste. Sa comparaison entre la Phèdre d'Euripide et celle de Racine (1807) reprise dans son Cours de Littérature dramatique (Paris, 1814), inspirée peut-être par les talents dramatiques de Madame de Staël dans le rôle de la fille de Minos et de Pasiphaë sur son théâtre de Coppet, peut à bon droit passer pour un modèle du genre et pour le point de départ du mouvement romantique en France. Il fut en tout cas durement attaqué par l'Abbé Geoffroy dans le très académique Journal de l'Empire. Sur ce chapitre des « parallèles », peut-être faudrait-il ne pas se cantonner à l'exercice rhétorique. On ne saurait oublier la tradition herméneutique des « passages parallèles », issue des « concordances » telles qu'on les pratique dans le texte biblique. On la trouve exposée au xviiiP- siècle dans l'ouvrage de Georg Friedrich Meier (1718-1777), Versuch einer Allgemeinen Auslegungskunst/Essai d'un art universel de l'interprétation (1748), réimprimé en 1965 par Lutz Geldsetzer (Peter Szondi, Introduction à l'Herméneutique littéraire, Paris, éd. du Cerf, 1989 : 69-87). Je n'insisterai pas non plus sur le premier Cours de Littérature comparée de MM. Noël et Delaplace qui, dès 1816, offre déjà les deux défauts rédhibitoires de la discipline qui n'était pas même réellement née : la juxtaposition (en une suite de volumes consacrés aux littératures étrangères sous forme de leçons littéraires et morales) à laquelle il faut ajouter la comparaison spontanée, ingénue qui est suggérée mais non développée : Ils aimeront sans doute comparer Pascal avec Addison, Clarendon avec Bossuet, Voltaire tour à tour avec Shakespeare, Pope et Parnell, Massillon avec Blair, Delille avec Denham, Goldsmith et Darwin, Thomson avec Saint Lambert, Florian avec Byron ( ... ] M. de Chateaubriand avec Goldsmith, etc. Parallèles, mises en parallèles et comparaisons aboutissent à la première littérature comparée illustrée par Villemain à la Sorbonne en 1828-29 avec son « Tableau comparé » grâce auquel on pouvait voir « ce que l'esprit français avait reçu des littératures étrangères et ce qu'il leur rendit » et défendue à la fin du siècle par Ferdinand Brunetière en ces termes dans L'Évolution des genres : S'il est intéressant de comparer l'ornithorynque et le kangourou, les mêmes raisons, absolument les mêmes, rendent nécessaires la comparaison du drame de Shakespeare avec celui de Racine. Cette littérature comparée représente, je l'espère, une espèce disparue. Je souhaiterais plutôt discuter le privilège dont jouit Mme de Staël qui passe pour la pionnière, la marraine ou la patronne de nos études comparatistes. Si j'en crois Georges Poulet (La conscience critique, Corti, 1986 : 15-25) et Jean Starobinski (Table d'orientation, L'âge d'Homme, 1989 : 57-110), elle pourrait plutôt apparaître, par le principe d'enthousiasme qu'elle applique à ses lectures, à commencer par celle de Rousseau, comme l'initiatrice d'une critique d'identification ou créatrice, réflexive. Je verrais beaucoup plus notre discipline sous le double patronage quelque peu ambigu de Mme de Staël, sans doute, mais aussi d'Hérodote, l'ethnographe, le voyageur, l'affabulateur. Ainsi l'on comprendrait mieux la double face de notre discipline : pensée de l'altérité et activité comparante. François Hartog dans sa grosse étude Le miroir d'Hérodote (Gallimard, 1980) met en évidence la logique d'une écriture qui fait passer une altérité opaque (le monde non grec) à une « altérité porteuse de sens » pour reprendre les mots des deux historiens Guy Bourdé et Hervé Martin (Les écoles historiques, Le Seuil, 1983 : 16). François Hartog a très utilement distingué quatre opérations qui sont en fait des variations comparatives entre les Grecs et les autres. 1. L'opposition terme à terme avec cas d'inversion : les Égyptiens font l'envers des Grecs (les femmes vont au marché et les hommes restent chez eux et tissent). Il joue du schéma binaire avec images contrastées. 2. La comparaison, l'analogie, autre façon de ramener l'autre au même. La course des messagers du roi de Perse ressemble à la course des porteurs de flambeaux en Grèce. Il établit en ce sens des parallèles : cela ressemble à... 3. Il pratique parfois la traduction pour faire mieux comprendre Xerxes signifie le guerrier. 4. Enfin et surtout il décrit, inventorie, c'est-à-dire il apprivoise par le discours l'inconnu, il colonise le différent et F. Hartog a bien montré comment, en décrivant les Scythes, Hérodote construit une « figure de nomade » qui rend « pensable » son altérité. À ce schéma, ce système, Guy Bourdé et Hervé Martin ont cependant pu proposer deux compléments : 1. L’autre est uploads/Litterature/ pageaux-comparaison.pdf

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