LE THÈME DES « DEUX VOIES » DANS LES PREMIERS ÉCRITS CHRÉTIENS Dominique Cerbel

LE THÈME DES « DEUX VOIES » DANS LES PREMIERS ÉCRITS CHRÉTIENS Dominique Cerbelaud In Press | « Pardès » 2001/1 N° 30 | pages 103 à 110 ISSN 0295-5652 ISBN 2912404460 DOI 10.3917/parde.030.0103 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2001-1-page-103.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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C’est pourquoi il a paru intéressant, dans le cadre d’une réflexion sur la morale judéo-chrétienne, de s’y arrêter. LE THÈME DES «DEUX VOIES» DANS LA BIBLE ET LA LITTÉRATURE INTERTESTAMENTAIRE C’est incontestablement dans le texte biblique que le thème des «deux voies» trouve sa première attestation, et notamment dans les écrits deuté- ronomistes et sapientiels. C’est dans le Deutéronome en effet qu’Israël se trouve placé devant un choix entre la vie et la mort, le bonheur et le malheur, la bénédiction et la malédiction : dans cette alternative, la première attitude s’identifie à l’observance des mitzvôt, la seconde à l’idolâtrie (cf. notamment Dt. 30,15-20). La littérature sapientielle enregistre cette dualité. On y retrouve l’op- position entre la vie et la mort (cf. Pr. 12,28), mais aussi d’autres harmo- niques : les deux voies représentent la lumière et l’obscurité (Pr. 4,18-19), mais aussi le salut et la perdition, «car le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des impies se perd» (Ps. 1,6), et encore : «À l’homme de bon sens, le sentier de la vie, qui mène en haut, afin d’éviter le shéol, en bas» (Pr. 15,24). PARDÈS N° 30/2001 © In Press | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) © In Press | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) À son tour, la littérature intertestamentaire va développer et enrichir ce thème fondamental. Le «quatrième livre d’Esdras» (un texte qui daterait de + 90 environ) fait parler ainsi l’ange qui révèle à Esdras les mystères : « “Suppose encore une ville bâtie et située sur un terrain plat, remplie de toutes sortes de biens. Mais son accès est étroit et situé en un lieu escarpé : à droite il y a du feu et à gauche une eau profonde. Entre le feu et l’eau, il n’y a qu’un sentier, pas plus large que la plante du pied humain. Si un homme recevait cette ville en héritage, comment pourrait-il en prendre possession s’il ne franchissait d’abord le passage dangereux?” Je répondis : “Bien sûr, Seigneur”. Il ajouta : “Ainsi en est-il de la part d’Israël. C’est pour ce peuple que j’ai fait le monde; mais lorsque Adam eut transgressé mes préceptes, le jugement fut porté sur ce qui avait été fait. Les voies de ce monde devinrent étroites, pénibles, difficiles, peu nombreuses, mauvaises, pleines de dangers et accompagnées de grandes peines. Mais les voies du monde futur sont spacieuses et sûres et produisent des fruits d’immortalité. Si donc ceux qui vivent n’entrent pas résolument dans ces lieux étroits et déserts, ils ne pour- ront obtenir ce qui leur est réservé”.» (IV Esd. 7,6-14.) Dans cette relecture, on assiste donc à une chronologisation : les voies étroites concernent ce monde-ci depuis la transgression d’Adam (et l’on pense aux peines et douleurs évoquées en Gn. 3,16-19, mais aussi à l’ob- turation du chemin qui mène à l’arbre de la vie en 3,24…), tandis que les voies spacieuses caractérisent le monde qui vient. Mais pour pouvoir emprunter ces dernières, il faut nécessairement passer par les premières! Tout autre est l’interprétation du thème proposée par les écrits qumra- niens. Selon la «Règle de la communauté» en effet, « Dans la main du Prince des lumières est l’empire sur tous les fils de justice : dans des voies de lumière ils marchent; et dans la main de l’Ange des ténèbres est tout l’empire sur les fils de perversion : et dans des voies de ténèbres ils marchent.» (R. Com. 3, 20-21.) Ici, c’est bien en ce monde-ci que l’alternative se déploie. Non sans un certain dualisme (le fragment prend place dans la longue section du texte sur les «deux Esprits» : R. Com. 3, 13-4,26), les esséniens distin- guent en effet dans l’humanité deux catégories antagonistes – comme on peut aisément l’imaginer, eux-mêmes se rangent parmi les «fils de lumière»… C’est dans une direction plus nettement «morale» que s’engage pour sa part le Testament d’Asher, quand il fait dire à ce patriarche : « Deux voies, c’est ce que Dieu a donné aux fils des hommes, deux penchants, deux actions, deux conduites et deux fins. C’est pourquoi toutes choses vont 104 DOMINIQUE CERBELAUD © In Press | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) © In Press | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) par deux, l’une en face de l’autre. Car il y a deux voies, celle du bien et celle du mal. C’est au bien et au mal qu’appartiennent les deux penchants dans nos poitrines, quand ils distinguent ces deux voies. Si donc une âme veut marcher dans le bien, chacune de ses actions est dans la justice; vient-elle à pécher, aussitôt elle se repent. Car, méditant sur la justice et rejetant la malice, elle détruit aussitôt le mal et extirpe le péché. Mais, si cette âme incline au mal, toute son action est dans la malice. Elle abandonne le bien, s’attache au mal et est asservie par Béliar. Quelque bien qu’elle fasse, il le change en mal.» (Test. Ash. 1, 3-8.) Le thème des «deux voies» se trouve dès lors clairement entrelacé à celui des «deux penchants». Or, si la tradition rabbinique a peu déve- loppé le premier, elle a en revanche, comme on le sait, inlassablement déployé le second. Une telle insistance (cf. par exemple T.B. Nid. 16b) a pour effet de responsabiliser l’être humain, toujours capable de choi- sir entre le bien et le mal (cf. sans doute déjà Gn. 4, 7) – aux antipodes, donc, de la conception augustinienne d’une «prédisposition au mal» due au péché originel… LE THÈME DES «DEUX VOIES» DANS LES TEXTES CHRÉTIENS DU IIe SIÈCLE Dans un seul évangile, celui de Matthieu, apparaît le thème des deux voies – d’ailleurs combiné à celui de la porte étroite (cf. Lc. 13, 23-24). Dans sa forme matthéenne, le logion se lit ainsi : «Entrez par la porte étroite, car large est la porte et spacieux le chemin qui conduit à la perdi- tion, et nombreux sont ceux qui entrent par lui; car étroite est la porte et resserré le chemin qui conduit à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent» (Mt. 7, 13-14). Cette opposition entre la «perdition» et la «vie» rappelle Pr. 15, 24. Mais la péricope comporte également une notation quantitative, en oppo- sant les «nombreux» qui vont à la perdition aux «peu nombreux» qui vont à la vie. Ce pessimisme, assez rare dans la prédication de Jésus, pourrait rappeler celui des esséniens. On peut noter, dans la recension longue du Testament d’Abraham, un passage très proche de ce logion matthéen : « Là, Abraham vit deux chemins, l’un étroit et resserré, l’autre large et spacieux; et il vit à cet endroit deux portes, une porte large sur le chemin large et une porte étroite sur le chemin étroit.» (Test. Abr. 11, 2-3.) LE THÈME DES « DEUX VOIES » 105 © In Press | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) © In Press | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) Mais il se pourrait qu’il y ait ici une interpolation chrétienne s’inspi- rant précisément du texte de Matthieu. La recension courte de ce passage, plus originelle, ne mentionne que les deux portes. Quoi qu’il en soit, la présence du thème dans l’évangile pouvait inci- ter les premiers auteurs chrétiens à le reprendre. Mais à vrai dire, certains chercheurs supposent l’existence d’une source commune (et perdue) du logion matthéen et des textes que nous allons évoquer maintenant. Ce livret aurait comporté entre autres l’enseignement sur les uploads/Litterature/ parde-030-0103.pdf

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