INTERPRÉTER LA BIBLE Paul Ricœur In Press | « Pardès » 2002/1 N° 32-33 | pages
INTERPRÉTER LA BIBLE Paul Ricœur In Press | « Pardès » 2002/1 N° 32-33 | pages 31 à 43 ISSN 0295-5652 ISBN 2912404827 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-pardes-2002-1-page-31.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Paul Ricœur, « Interpréter la Bible », Pardès 2002/1 (N° 32-33), p. 31-43. DOI 10.3917/parde.032.0031 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. 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C’est en effet dans un rapport de lecture qu’un texte écrit prend sens. Il nous faut donc d’abord mettre en place le rapport écriture-lecture. Or, le statut scripturaire de la Bible est lui-même très complexe. Notre mot «Bible» vient du grec biblion, biblia, le Livre par excellence – mais à l’origine de cette écriture est une parole, la Parole. Si bien que quatre termes forment le rapport initial : parole; écriture; lecture; écoute. La parole, il faut ajouter «vive», comporte elle- même deux niveaux. La transmission horizontale de ce que le légiste, le narrateur, le prophète, le sage ont entendu et reçu – même les lois ont cheminé oralement sur la ligne des générations – croise à chaque section la parole verticale, disant au premier lecteur qui devient premier écou- teur : « Écoute Israël ». Les dix Commandements s’appellent les dix «Paroles», c’est la parole entendue. Ce que nous appelons le Livre est ainsi la trace écrite, l’inscription d’une parole vive, reçue, entendue et transmise. Et l’exégète que nous sommes devenu intervient tardivement, quand le texte est refroidi, figé, doté d’autonomie, d’une indépendance sémantique. Il ne s’agit certes pas là d’un phénomène négatif, d’une perte de vivacité, mais d’ouver- ture à des lectures interprétantes qui confèrent une histoire à la signifi- cation. J’aime à citer, après tant d’autres, l’aphorisme médiéval : «L’écriture grandit avec ses lecteurs.» C’est de cette croissance de l’écriture par la lecture que je voudrais parler. Je le ferai en trois temps : je vais rappeler d’abord ce qui m’a paru être le cahier des charges de l’exégète amateur, dépendant de l’exégète scientifique, et situer dans ce contexte une lecture chrétienne de la Bible hébraïque; ensuite, je voudrais situer le moment de prise de responsa- PARDÈS N° 32-33/2002 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.158.96.64 - 18/08/2016 12h24. © In Press Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.158.96.64 - 18/08/2016 12h24. © In Press bilité intellectuelle du philosophe que j’essaye d’être; enfin, je voudrais me livrer à un bref exercice, sous le titre de «Penser la Création». EXÉGÈTE AMATEUR ET EXÉGÈTE SCIENTIFIQUE Le mouvement d’interprétation ne commence pas avec la lecture extérieure, postérieure au texte; il vient prolonger un travail du texte sur lui-même, ce que nous pourrions appeler l’interprétation interne à l’œuvre dans le texte. L’écriture biblique se présente comme un empilement de réécriture, telle est notre première dette à l’égard de l’exégèse scienti- fique – ou, dans notre culture moderne, «historico-critique». En voici quelques exemples : Le yahviste, le «sogennante Yahwist»* pour la critique allemande, écrit le premier chapitre de la Genèse; un auteur dit sacerdotal réécrit par la suite ce texte, corrigeant au troisième verset la métaphore de la Création comme lutte ou façonnement de potier en celle de la Parole qui fait être ce qu’elle dit. De même, dans le genre narratif, le passage de la mer des Roseaux est-il raconté à plusieurs reprises, sur le mode épique et guerrier, sur le mode lyrique, sur le mode de la célébration. La loi est plusieurs fois réécrite, nous donnant le Deutéronome. Un prophète comme Ezéchiel corrige par la suite ce qui, dans la parole par lui reçue, reste trop punitif à l’échelle des générations, osant écrire ou réécrire : La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes : «Qu’avez-vous à répé- ter ce proverbe au pays d’Israël, les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agacées? Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, vous n’aurez plus à répéter ce proverbe en Israël.» Ainsi la trajectoire de l’interprétation traverse-t-elle le texte avant de l’excéder, premier trait. La réinscription du texte dans une ou plusieurs traditions du commen- taire constitue le second moment. Dans le domaine à l’époque biblique ce rapport de commentaire, de texte sur un texte, a une signification fondamentale dès lors que les sages succèdent aux prophètes. L’histoire de l’interprétation est scandée par ce rapport à l’écriture, achevée d’une certaine façon, bien que toujours réouverte au-delà de la césure. Il y aurait beaucoup à dire ici au point de vue de la technique textuelle concernant le phénomène de la clôture du canon : la tradition juive et la chrétienne se plaisent à cette métaphore d’enceinte, d’une écriture à protéger tout en la traversant. C’est au-delà de ce franchissement de la césure que 32 LIRE LA BIBLE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.158.96.64 - 18/08/2016 12h24. © In Press Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.158.96.64 - 18/08/2016 12h24. © In Press l’interprétation pourra se faire audacieuse par augmentation de sens, et non répétition, ce qui ne va pas sans péril. C’est sur ce chemin de la réinterprétation par commentaire que je rencontre le lien fondamental entre le texte et une communauté vivante. Concernant la Bible hébraïque, ce lien revêt la figure concrète d’un rapport avec le peuple d’Israël. La réception du texte n’est alors plus seulement lecture, encore moins lecture savante comme elle l’est devenue pour nous, mais parole nouvelle prononcée à propos et sur le texte dans la communauté. Un rapport circulaire s’établit ainsi entre Torah écrite et Torah oralement transmise. C’est ce rapport que menace d’une certaine façon, pour nous modernes, l’établissement d’une exégèse savante. Coupé de ses liens avec une communauté vivante, le texte se fait texte mort, texte parmi les textes, exemplaire de bibliothèque, pièce de musée, archive; c’est tout le problème de la méthode historico-critique, certes légitime dans la mesure où la Bible est aussi un livre parmi les autres. La tâche de l’herméneutique est alors de restituer les besoins et les attentes de la communauté vivante à laquelle la composition et la rédaction des textes ont répondu; de retracer la trajectoire du sens dans le texte et hors du texte, en direction de communautés nouvelles. Je voudrais dire à cette occasion que je situe, pour ma part, une lecture chrétienne de la Bible hébraïque dans la ligne du Midrash comme l’une des réinterprétations par une communauté nouvelle. Dire «Midrash», c’est dire que l’accomplissement proclamé est une réinterprétation qui présup- pose la consistance propre des traditions déjà constituées, sans lesquelles la nouvelle foi serait restée un cri. Loin que les écritures hébraïques doivent être tenues pour des ombres que la lumière dissipe, elles sont le socle consistant d’un travail que la réinterprétation doit consolider. Les signi- fications disponibles du texte deviennent l’appui et la règle de lecture. À cet égard, la réinterprétation des écritures bibliques dans une prédication chrétienne s’inscrit dans le modèle herméneutique de la réinterprétation d’un texte ancien par un nouveau. Or, ce rapport a été posé dans l’écri- ture ancienne avec le thème de la nouvelle alliance : «Je ferai avec vous une alliance vive.» Prononcer le mot «accomplissement» signifie donc qu’un surcroît de sens est donné au texte fondateur. Cela dit, je ne pense pas un instant que la figure du Christ puisse être une figure d’achèvement par effacement de ses commencements; je parlerais plutôt de «renforce- ment de l’attente». Ce n’est pas le fait du hasard si la première généra- tion chrétienne attendait le retour du Christ. L’accomplissement n’est pas fermeture mais, d’une certaine façon, relance de l’attente messianique. INTERPRÉTER LA BIBLE 33 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.158.96.64 - 18/08/2016 12h24. © In Press Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.158.96.64 - 18/08/2016 12h24. © In Press Je n’en reconnais pas moins comme un fait culturel indépassable la bifurcation de la trajectoire de sens en deux branches majeures, porteuses de nombreuses branches secondes : des deux, l’une débouche sur l’or- thodoxie chrétienne; l’autre sur l’orthopraxie juive. À cet égard, dans notre propre culture, nous sommes invités à mettre en parallèle d’un côté le crible uploads/Litterature/ paul-ricoeur-interpreter-la-bible.pdf
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- Publié le Mar 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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