PETITE HISTOIRE DES GRANDES DOCTRINES ÉCONOMIQUES DANIEL VILLEY t Professeur de
PETITE HISTOIRE DES GRANDES DOCTRINES ÉCONOMIQUES DANIEL VILLEY t Professeur de Sciences économiques à l'Université de Paris et COLETIE NEME Professeur à l'Université de Droit, d'Économie et de Sciences sociales de Paris PETITE HISTOIRE DES GRANDES DOCTRINES 1 ECONOMIQUES " Mon humeur n'est pas propre non plus à parler qu'à eserire pour les principians ... " Tout homme peut dire véritablement. Mais dire ordonnéement, prudemment et suffisam- ment, peu d'hommes le peuvent ... " Quay? s'il a emprunté la matière et empiré la forme, eomme il advient souvent? .. " MONTAIGNE: Essais III,VlII. NOUVELLE ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE ÉDITIONS M.-TH. GÉNIN LIBRAIRIES TECHNIQUES 26, rue Soufflot - Paris-ve CHEZ LE MÊME ÊDITEUR : Redevenir des hommes libres, 1946. A la recherche d'une doctrine économique, 1967. (En collaboration avec Marie-Thérèse GÉNIN, Florence VILLEY et Robert GOETZ) Traduction de Collectivist Economic Planning (ouvrage collectif publié sous la direction de Von HAYEK sous le titre L'Économie dirigée en régime collectiviste, 1939). I.S.B.N. 2-7111-0536-9 AVANT-PROPOS 1 Les histoires des doctrines économiques sont nombreuses déjà 2. Elles diffèrent par le contenu et la présentation selon les cont:eptions que, plus ou moi.ns consciemment, leurs auteurs ont. eues de l'économique, de la doctrine, de l'histoire. Le lec- teur voudra-t-il permettre qu'avant d'aborder le récit qu'il attend nous commencions par proposer un bref commentaire de chacun des trois termes qui composent notre titre? * • • Nous voilà déjà fort embarrassés, si d'abord il faut dire le sens d'économique. Allez donc trouver, même en des sciences beaucoup plus avancées que n'est la nôtre, deux savants qui soient d'accord sur l'objet de leur discipline! On enseignait autrefois - à la suite de Jean-Baptiste Say - que l'objet de l'économie politiqu.e était cette branche de l'activité humaine qui a trait à la production, à la circulation, à la répartition et à la consommation des richesses. Beaucoup d'économistes anglais contemporains ne disent guère autre chose, qui nomment éco- nomique u l'activité des hommes à la recherche du bien-être matériel» (material weI/are). Mais la difficulté reparaît alors 1. Cet avant-propos figurait dans la première édition (1944). 2. Parmi celles que nous avons utilisées, - et auxquelles nous devon. le plus - citons celles de MM. Gonnard, Gide et Rist, Dubois, Baudin, Bous- quet, Ottmar Spann, Haney; et de nombreux ouvrages spéciaux. La nou- velle éditioll revue et augmentée par M. Rist de L'Histoire des doctrine. économiques de Gide et Rist n'a pu être de nous utilisée; non plus que Le D~veloppement de la pensée économique de M. Nogaro. (Librairie générale de Droit, 1944) et Les Doctrines ~conomiques de M. Jean Chevalier, 1945. - [Note de la troisième édition.] Parmi les études d'histoire de la pensée écono- mique publiées depuis notre précédente édition, il convient d'e signaler tout particulièrement L'Hilfoire des théories économiques de M. ~mile James (Flammarion, Bibliothèque de Philosophie scientifique, 1950). 2 LES GRANDES DOCTRINES ÉCONOMIQUES entière dès qu'il s'agit de préciser ce que l'on entend par « richesses », ou par « bien-être matériel ». La définition clas- sique repousse le problème plutôt qu'elle ne le résout. Aussi plusieurs économistes modernes - et principalement de cul- ture germanique - se sont-ils engagés, à la poursuite d'une précision plus grande, sur le chemin d'une abstraction plus poussée. Nous ne les y suivrons point. De tous les critères pro- posés, il n'en est aucun peut-être qui me sache mieux séduire que celui-ci, dont M. Henri Denis sans doute a voulu seulement tenter l'essai, le jetant à tout vent dans une petite brochure de vulgarisation 1. Pour M. Henri Denis, l'activité économique serait l'activité calculée, par opposition à l'activité inspirée. Chaque fois que j'accomplis un acte en vu.e d'un résultat (par exemple je travaille pour gagner ma vie, je produis pour vendre, j'achète pour consommer ou pour donner; je m'instruis pour réussir un examen, je rends un service pour m'attirer de la reconnaissance; je me mortifie pour développer ma volonté, ou pour capitaliser des mérites); dans tous ces cas je balance un sacrifice (que je consens) avec une satisfaction qui s'en dis- tingue nettement (et que j'en espère devoir ultérieurement résulter). Mon activité est calculée: elle est économique. Que si au contraire, cédant à un mouvement de colère, je donne une bourrade à un enfant dont les cris m'exaspèrent; si je m'at- tarde à contempler un paysage parce que je le trouve beau; si je prie sans autre intention que d'être en présence de Dieu, mon activité trouve en soi-même sa fin. Elle ne relève d'aucun calcul. Elle est inspirée. Elle n'est point économique. En somme, l'économique serait le domaine du médiat, et l'immédiat lui échapperait. L'économique serait le domaine de l'activité ration- nelle. L'infra-rationnel (activité instinctive ou réflexe) et le supra- rationnel (activité esthétique ou mystique) lui échapperaient 2. 1. Henri Denis, professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Rennes: Inlroduction aux problèmes économiques, Bibliothèque du Peuple, 1942, passim. 2. [Note de la troisième édition.) Cf. la classification tripartite que pro- pose François Perroux (actes conditionnés, actes calculés, actes inspirés) dans son article intitulé: L'Alliance de l'exigence abslraite el de l'exigence expérimentale dans l'économie positive: une leçon de l'œuvre de G. Piroll, Rel'ue d'Économie politique, 1947, nO 4. AVANT-PROPOS 3 L'ingénieuse distinction que propose M. Henri Denis n'est peut-être point calculée pour rallier les suffrages des manuels. Elle me semble inspirée de la philosophiebergsonienne. Elle mériterait d'être approfondie et éprouvée. Plusieurs fois clle nous servira de guide, durant le parcours où nous nous engageons. * • • Mais une définition précise de l'économie politique s'impose d'autant moins ici que cette histoire est celle des doctrines. Or, les frontières du domaine économique sont beaucoup moins nettes encore sur le plan doctrinal que sur le plan scientifique. Liminaire distinction que nul sans doute mieùx que Gaëtan Pirou n'a mise en relief. La science, dit Pirou, en substance 1, se propose - et se pro- pose exclusivement - de connaitre la réalité économique. La doctrine au contraire la juge en fonction d'un critère supérieur - ordinairement moral; elle entend souvent la réformer. La science ne relève que de la vérité, la doctrine de quelque idéal. La science observe ce qui est, et constate ce que l'on fait; la doctrine proclame ce qui devrait être, et dicte ce qu'il faut faire. La science se veut neutre, la doctrine est partiale par essence. L'homme de science aborde la vie économique comme le phy- siologiste fait le corps humain: afin d'en connaitre les fonctions, les mécanismes et les lois. Le doctrinaire, comme le médecin : pour le guérir et le sauver. Le savant observe les faits, établit des lois, élabore des théories. L'auteur de doctrine dresse des échelles de valeurs et propose des pla.ns de réformes. En bref, la science économique est spéculative, et la doctrine normative. 1. Gaëtan Pirou, professeur à la Faculté de Droit de Paris : Doctrines sociales el science économique, Paris, Sire.y, 1929 (particulièrement la pré- face et le chapitre II intitulé «Science et doctrines économiques »J. Voir aussi du même auteur: Introduction à l'élude de l'économie politique, Sirey, 1939. - [Nole de la.seconde édition.) Cf. aussi H. Guitton: Le Calholicisme social, Paris, 1945; du même: Le Temps dans la théorie et dans la doctrine économiques (Mélanges Gonnard); D. Villey: Doctrines et science écono- miques (Mélanges GOllnard); et la préface de la 2° édition de l'Introduction à l'étude de l'économie politique de G. Pirou, Sirey, 1946. 4 LES GRANDES DOCTRINES ÉCONOMIQUES C'est ainsi entendu, tel que l'a défini G. Pirou, que le. dyp- tique science-doctrine a maintenant droit de cité dans le vocabu- laire des économistes français. Et l'on ne saurait certes contester le service rendu par une opposition si clairement et vigou- reusement définie. Que d'imprécisions et de confusions évitées, où trouvaient leur pâture les esprits nuageux et confus! Vais-je me ranger parmi leur cohorte si je confesse pourtant que le critère de distinction proposé par G. Pirou ne ~e satisfait pas pleinement? Ce qui gouverne le sens des mots, c'est l'usage, encore qu'il '\ppartienne parfois aux savants de l'orienter et redresser prudemment. Or quand l'usage parle de la doctrine catholique, de la doctrine de Spinoza ou de celle de Bergson, il n'entend point signifier un système de préceptes, mais bien une suite de propositions liées intimement les unes aux autres. Faudrait-il donc donner au mot « doctrine» en économie poli- tique une acception toute différente de celle qu'il a reçue dans les autres disciplines, et par exemple dans le vocabulai.re des théologiens, des philosophes et des juristes? Faudrait-il vio- lenter l'usage reçu chez les économistes eux-mêmes, au point de refuser le caractère doctrinal au message de l'École historique allemande, sous prétexte qu'il a trait à l'objet et à la méthode de la connaissance économique, et ne comporte point d'appré- ciations morales ni de plans de réformes? Mais il est un exemple plus saisissant encore: Karl Marx, nous le verrons, s'est piqué de ne point juger ni prêcher. Son œuvre prétend analyser seu- lement les mécanismes du régime actuel, observer les lignes de lSon évolution, prédire quel en doit être l'aboutissement uploads/Litterature/ petite-histoire-des-grandes-doctrines-economiques.pdf
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- Publié le Mai 27, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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