LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE : De l'intégrité du corps et de la lutte pour
LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE : De l'intégrité du corps et de la lutte pour la reconnaissance Tanella Boni Presses Universitaires de France | « Diogène » 2006/3 n° 215 | pages 65 à 76 ISSN 0419-1633 ISBN 9782130557319 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-diogene-2006-3-page-65.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Mais l’honneur, comme le fait remarquer Simone Weil, est « ce besoin vital de l’âme humaine » qui n’est pas comblé par le respect, car celui-ci est « identique pour tous et im- muable » tandis que « l’honneur a rapport à un être humain consi- déré non pas simplement comme tel mais dans son entourage so- cial1 ». L’honneur a besoin d’être reconnu parce qu’il est lié à quel- que haut fait, à une tradition, à une histoire qui est celle d’un indi- vidu, d’une famille, d’un groupe. L’honneur est de l’ordre de la grandeur et de la réputation. Il peut être aussi terni et bafoué. Voilà pourquoi, dans de nombreuses cultures, il doit être vengé dans la violence ou dans le sang, par une action d’éclat qui, seule, « lave » la honte qui pourrait l’entacher. Peut-être doit-on aller plus loin que le respect et l’honneur, car aujourd’hui, dans tous les do- maines de la vie, c’est le manque de dignité humaine qui pose pro- blème. Du droit à la politique en passant par la philosophie, l’économie, la médecine, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les approches de la dignité humaine sont aussi diverses que les cultures, les savoirs et les croyances qui nourrissent les débats2. Pourtant, par-delà la multiplicité des points de vue, c’est de l’humanité qu’il s’agit, de son présent, de son avenir, d’une humanité non pas abstraite mais incarnée dans la « personne humaine » au singulier, celle qui pourrait être recon- naissable partout où elle se trouve ; celle qui, indivisible, résume à elle seule l’humanité toute entière. L’humanité est sans commune mesure, parce qu’elle semble être la mesure, le principe ou la fin que nous cherchons. Et pourtant, on serait tenté de dire qu’elle existe sous nos yeux. Car nous apercevons d’abord des corps hu- 1. Simone WEIL, L’enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Paris, Gallimard 1949. (Voir coll. Folio essais, pp. 31- 32.) 2. Thomas DE KONINCK, Gilbert LAROCHELLE, La dignité humaine, Paris, PUF 2005. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 03/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.58.38.22) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 03/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.58.38.22) 66 TANELLA BONI mains. C’est sans doute là que peut commencer notre enquête sur la dignité humaine. L’intégrité du corps humain, vivant ou mort, sa transformation en objet, en animal ou en chose nous donne l’occasion de penser la dignité humaine ou son manque, mais aussi l’une des manières qu’elle a de conforter sa présence : par la parole. Connaître l’homme, se connaître soi-même, c’est connaître son âme, comme le pense Platon. Mais est-il possible de se connaître ? De reconnaître l’autre humain ? En quoi consiste la connaissance et la reconnais- sance réciproques ? Chez Aristote, l’homme est d’abord intelligence avant d’être par exemple animal politique. L’être qui parle est doué d’intelligence et de pensée par opposition à l’animal. Mais qu’en est-il de l’homme face à l’homme ? Que devient l’humain en l’homme par l’action ou le regard de l’autre homme ? L’homme face à l’autre homme Car l’humanité n’est pas seulement, comme on pourrait le pen- ser, l’arrachement à la nature, privilège d’une raison toujours conquérante, grâce à la science et à la technique. Elle n’est pas le passage progressif à une culture et à un esprit de plus en plus éle- vés, sans doute à une « civilisation » à partir de laquelle on pour- rait classer toutes les autres cultures. Nous savons comment une telle vision, à partir du siècle des lumières, a permis de justifier l’exploration, la conquête et la colonisation de certains peuples par d’autres venus d’Europe3. L’humanité ne réside pas dans l’aptitude à se replier autour d’une terre, autour des valeurs ancestrales d’un terroir ou d’une nation4. Une telle conception a ses limites qui, aujourd’hui, peuvent être pensées comme quêtes et replis identitai- res. L’humanité se dévoile aussi dans cet accompagnement et ac- complissement de toute action par la parole5. Celle-ci peut être analysée dans ses modalités de mise en mots, de mise en scène, dans ses procédures d’un point de vue politique, juridique et so- cial6. Si la parole se donne en spectacle sur la place publique, sous 3. Voir, entre autres, Robert LEGROS, L’idée d’humanité, Paris, Grasset 1990. 4. Au 18e siècle, en Allemagne, Herder fut l’un de ceux qui pensèrent ces valeurs. Voir, entre autres, Pierre PÉNISSON, Johann Gottfried Herder. La raison dans les peuples, Paris, Cerf 1992 ; et Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales, Europe, XVIIIe- X Xe siècle, Paris, Seuil 1999. (Coll. Points, pp. 34-43.) 5. Comme le montrent ces textes choisis et présentés par Germaine DIETERLEN, Textes sacrés d’Afrique Noire, Paris, Gallimard, coll. L’aube des peuples, 2e édition, 1965. 6. Voir Jean-Godefroy BIDIMA, La palabre, une juridiction de la parole, © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 03/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.58.38.22) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 03/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 181.58.38.22) LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE 67 l’arbre à palabre en Afrique, dans les assemblées et les tribunaux, elle précède et favorise la reconnaissance réciproque des humains en présence. Car la parole, par la voix et le souffle sortant d’un corps humain, n’est-elle pas toujours adressée à un autre corps ? Elle est, dans une certaine mesure, entendue par un autre corps qui la reçoit ou ne la reçoit pas. Comme le dit Louis Lavelle : « Si les hommes sont toujours si sensibles au prestige de la parole, s’il n’y a qu’elle qui puisse à la fois les toucher, les ébranler et les éclairer, c’est qu’elle nous livre la présence d’autrui et affermit notre présence à nous-mêmes en manifestant notre commune par- ticipation à la même vérité7 ». Et cette vérité ne mérite-t-elle pas d’être appelée dignité humaine ? Les textes littéraires ainsi que d’autres productions artistiques nous donnent l’occasion de suivre quelques axes de la question de la dignité humaine en tenant compte de situations concrètes, car nous avons à faire à des personnages auxquels chaque lecteur peut s’identifier. Ainsi, dans Les sept solitudes de Lorsa Lopez8 de Sony Labou Tansi, un homme, Lorsa Lopez, tue sa femme pour cause d’infidélité et toute la ville de Valancia, empêtrée dans des problè- mes politiques et des rivalités interminables avec la nouvelle capi- tale, le laisse faire, indifférente. Puis la ville se réveille le matin parmi les commentaires de ce crime passionnel. Elle attendra la police pendant quarante sept ans. Pendant toutes ces années, Lor- sa Lopez expie ses fautes, il vit en marge de la société, se plante des clous dans le corps. Pour tous, il est devenu fou. Quand arrive la police, le tribunal et sa palabre publique préfèrent la parole d’un perroquet à celle de l’homme qu’il est. Lorsa Lopez comprend, de- venu un homme nu, étant mis à l’écart de son propre procès, qu’il a quitté la raison humaine et le cercle de la parole instrumentalisée sans jamais abandonner, à ses propres yeux, le lieu de la dignité. Il n’a pas été déclaré coupable par la loi mais il se sent responsable, il n’attend plus la justice des hommes. Nu, privé de parole et d’honneur dans sa communauté, est-il pour autant déchu de son humanité ? La dignité humaine semble être, à l’analyse, le lieu avant tout droit positif dans cette société où le fossé se creuse entre les représentants de l’État et les citoyens9 qui offrent l’hospitalité à Paris, Éditions Michalon 1997. 7. Louis LAVELLE, La parole et uploads/Litterature/bonni-la-dignite-de-la-personne-humaine.pdf
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- Publié le Mai 03, 2022
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